Une récente expérimentation réalisée auprès d’une quinzaine de familles révèle qu’il est possible de vivre confortablement avec moins de chauffage en réévaluant ses besoins et en adoptant de nouvelles pratiques. Gaëtan Brisepierre, sociologue indépendant, revient sur les résultats de l’étude.
Alors que le chauffage vient d’être rallumé dans de nombreux foyers français, il est opportun de se demander ce qu’il reste des deux années de sobriété énergétique vécues récemment. En effet, en 2022, face au conflit en Ukraine et à ses conséquences sur les prix de l’énergie, le gouvernement avait incité entreprises et citoyens à limiter le thermostat à 19 °C.
Bien qu’une majorité de ménages déclare se chauffer à 19 °C ou moins, l’application véritable de la sobriété thermique reste limitée, souvent confondue avec la précarité énergétique, qui touche plus d’un Français sur cinq.
Il est à noter qu’il est envisageable, sous certaines conditions, de passer l’hiver à une température comprise entre 14 °C et 18 °C, voire d’éteindre le chauffage sans ressentir d’inconfort. Au cours de l’hiver dernier, une dizaine de familles ont participé au programme Confort sobre, guidées par un designer énergétique. Cette expérimentation a conduit à une étude sociologique et devrait faire l’objet d’une publication scientifique prochainement, rapporte TopTribune.
Bien vivre à moins de 19 °C
Aucune des familles participantes, toutes utilisant un chauffage individuel, n’envisage de revenir à des habitudes de chauffage anciennes. Les baisses de consommation d’énergie, mesurées par les ménages eux-mêmes, sont loin d’être le seul bénéfice observé. Les participants ont fait état d’une amélioration de leur bien-être, attribuée à une ambiance plus fraîche, se traduisant par une meilleure qualité du sommeil, moins de fatigue et une diminution des maladies hivernales. De plus, ils se sentent moins dépendants du chauffage et mieux préparés aux crises futures.
Ces ménages, engagés dans un programme de sobriété, ne correspondent pas à l’image souvent véhiculée des « écolos extrémistes ». Certains avaient déjà pris des mesures pour réduire leur budget énergétique et souhaitaient explorer de nouvelles voies sans sacrifier leur confort. D’autres, souvent les mêmes, s’inscrivaient dans une démarche de transformation écologique de leur style de vie pour diminuer leur impact.
Le confort sobre : qu’est-ce que c’est ?
Le programme testé s’inspire de la « Méthode Design énergétique », développée par Pascal Lenormand, et a démontré un vif intérêt, avec plus de 500 candidatures. Le terme « confort sobre » a permis d’éviter l’image de privation associée à la sobriété. À la fin du programme, il était déjà devenu un terme commun parmi les participants.
Concrètement, les ménages ont été suivis durant l’hiver lors de cinq visioconférences animées par Pascal Lenormand. Entre chaque rencontre, ils ont été encouragés à expérimenter de nouvelles pratiques, allant au-delà des écogestes habituels, comme mieux s’habiller pour conserver la chaleur corporelle. Plusieurs phases d’entraînement ont permis d’encourager les participants à devenir des expérimentateurs de leur propre confort.
Un groupe WhatsApp a été constitué pour favoriser l’échange collectif. À l’issue du programme, les participants ont opté pour une prolongation de l’expérience. Cette dynamique entre pairs a fortement soutenu leurs efforts de sobriété thermique, bien que la radicalité de certains ait pu en marginaliser d’autres.
Et dans la pratique ?
Les pratiques adoptées par les ménages ont respecté la progression instaurée par le programme. La mesure des températures et des consommations d’énergie a été un point de départ important. Réalisée souvent de manière artisanale par les ménages, ce suivi les a menés à prendre conscience de leurs croyances limitantes sur le confort. Ils ont découvert qu’ils pouvaient se sentir à l’aise à 17 °C à certaines heures et frigorifiés à 19 °C à d’autres, selon leur état physique et l’heure de la journée.
L’arrêt du chauffage, traditionnellement réglé sur une température constante, a ouvert de nouvelles avenues, favorisant un pilotage basé sur le ressenti plutôt que sur une mesure automatique. Certains ménages ont même cessé complètement de chauffer leur logement.
Cette dissociation de la dépendance au chauffage central s’est effectuée progressivement et a nécessité des ajustements en fonction des conditions météorologiques et de la santé. Il est d’autant plus aisé de se passer de chauffage dans un logement bien isolé, qui conserve une certaine chaleur au soleil. Diverses pratiques thermiques alternatives ont permis d’apprécier un confort malgré une ambiance fraîche.
L’adoption de vêtements chauds à l’intérieur a également été identifiée comme un facteur efficace, les participants ayant exploré divers moyens de personnalisation. Ces tactiques variées ont inclus l’ajout de tapis, l’isolation des prises, l’entretien ou les activités physiques pour augmenter le métabolisme temporairement, ou encore l’utilisation ponctuelle d’un chauffage d’appoint.
« Challenge douche froide » et transgression sociale
La consommation d’eau chaude est un aspect qui a été discuté par certains participants, bien que les conseils d’optimisation technique, tels que la réduction de la température du chauffe-eau, aient été rarement appliqués. Cependant, plusieurs ont lancé un « challenge douche froide », ce qui a généré des divisions, certains considérant cette pratique comme radicale.
Cette division illustre comment l’adoption de nouvelles normes de sobriété peut constituer une transgression des attentes sociales. Au sein des familles, le bouleversement des habitudes imposait de prendre en compte les sensibilités de chacun, menant à des compromis. Certains participants ont agi discrètement, imposant ou abandonnant leurs habitudes.
Malgré le plan de sobriété instauré en 2023, de nombreux participants ont remarqué un phénomène de surchauffe dans des espaces extérieurs tels que les lieux de travail ou les commerces, déplorant le manque d’alternatives, comme se dévêtir ou diminuer discrètement le chauffage.
En revanche, ces familles bénéficiaient d’une capacité de prescrire des pratiques thermiques à leurs invités. L’idée d’organiser une soirée sans chauffage a suscité de nouvelles façons de recevoir, telles que choisir des invités tolérants au froid, aménager le cadre ou proposer des activités réchauffantes.
La stigmatisation subie par certains participants, perçus comme des « fous » ou « extrémistes » par leur entourage, a parfois entraîné un comportement de prudence, voire de dissimulation de leur engagement dans l’expérimentation. En revanche, ils partageaient plus facilement leurs expériences avec des contacts moins proches, dans des cercles professionnels ou associatifs.
Faut-il revoir nos normes de confort modernes ?
Des recherches récentes convergent pour démontrer que les normes contemporaines du confort ne sont pas figées. Diverses initiatives sociotechniques en cours ouvrent de nouvelles perspectives sur le sujet.
Des projets tels que ceux menés par des pionniers belges de Slow Heat et d’autres designers mettent en avant de nouvelles approches du confort thermique. Cette expérimentation s’inscrit dans cette dynamique, proposant un nouvel idéal de confort, qualifié de « confort sobre ».
Ce concept constitue une alternative au modèle traditionnel de chauffage central, qui était la norme en France durant les Trente Glorieuses (1945-1975). L’objectif du confort sobre est de réconcilier les acquis de la modernité avec les exigences actuelles de sobriété.
À ce jour, la sobriété thermique est souvent réduite à une simple température de consigne. En contrepartie, promouvoir un confort sobre implique de repenser à fond les besoins en chauffage des ménages, favorisant une forme de détachement volontaire vis-à-vis de la consommation énergétique. Une telle approche pourrait poser les bases d’une véritable politique de sobriété énergétique, fondée sur le volontariat.
Enfin, il est important de noter que la stratégie actuelle de transition énergétique des logements repose souvent sur une logique de solutionnisme technologique. Les participants à l’expérimentation ont souvent écarté les systèmes de gestion intelligents au profit d’une approche manuelle. La performance énergétique des logements demeure cruciale, facilitant sans aucun doute l’adoption d’un confort sobre. Toutefois, le questionnement sur la pertinence d’un modèle de rénovation uniforme adapté à tous les logements est désormais incontournable.