Alors que la majorité des États membres de l’Union européenne s’efforce de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’économie chinoise, la Hongrie de Viktor Orbán prend une direction opposée. En multipliant les partenariats stratégiques avec la Chine et la Russie, Budapest apparaît de plus en plus comme un point d’appui des régimes autoritaires à l’intérieur même de l’Europe, remettant en cause la cohésion euro-atlantique. Сette « nouvelle axe des autocraties » Pékin-Budapest-Moscou défie ouvertement les démocraties occidentales.
La Hongrie, porte d’entrée chinoise en Europe
Malgré les appels répétés de Washington à une réponse commune face au « défi stratégique » posé par la Chine, la Hongrie poursuit son rapprochement avec Pékin. Pour Viktor Orbán, cette coopération s’inscrit dans une logique de « pragmatisme économique » qui positionne la Hongrie comme plateforme des investissements chinois dans l’UE. Le ministre hongrois de l’Économie, Márton Nagy, a déclaré au printemps qu’il ne voyait pas de projets américains capables de rivaliser avec les capitaux chinois.
Cette stratégie transforme la Hongrie en hub essentiel pour la pénétration économique de la Chine en Europe. Le projet ferroviaire Budapest-Belgrade financé par des prêts chinois, et le développement du terminal de Záhony, à la frontière ukrainienne, illustrent cette intégration dans l’initiative chinoise des « Nouvelles routes de la soie ».
Investissements chinois : opportunité ou dépendance stratégique ?
Les investissements massifs de Pékin en Hongrie, notamment via des géants comme CATL ou BYD, ont un impact direct sur l’économie hongroise. Le projet de giga-usine de batteries de CATL, évalué à 8 milliards d’euros, est le plus important investissement étranger jamais réalisé dans le pays. Ces implantations renforcent les liens économiques, mais aussi la vulnérabilité stratégique de Budapest.
La coopération technologique s’intensifie également. Le groupe hongrois 4iG a conclu un partenariat stratégique avec Huawei pour développer des services en cloud computing. Ce rapprochement alimente les craintes à Bruxelles et à Washington quant à la sécurité des réseaux 5G et aux risques de surveillance.
En 2024, le volume des échanges commerciaux entre la Chine et la Hongrie a dépassé 6,5 milliards de dollars, contre 5 milliards en 2023, plaçant Pékin au rang de principal partenaire commercial de Budapest hors UE.
Une politique extérieure construite sur la fracture Est-Ouest
La stratégie hongroise s’inscrit dans le cadre de la politique dite d’« ouverture vers l’Est » de Viktor Orbán, qui fait de la Chine un pilier économique et géopolitique. Cette ligne diplomatique permet au Premier ministre hongrois de jouer sur plusieurs tableaux : obtenir des bénéfices économiques tout en desserrant les contraintes politiques de Bruxelles.
Mais ce positionnement n’est pas sans conséquences. Pékin voit dans la Hongrie un levier stratégique pour peser sur les décisions européennes. Budapest est ainsi accusée d’entraver, voire de bloquer certaines résolutions critiques envers la Chine au sein de l’UE ou de l’OTAN.
Une triple entente avec la Russie
L’élément le plus préoccupant reste la proximité croissante entre la Hongrie, la Chine et la Russie. Malgré la guerre en Ukraine, Orbán maintient ses relations avec Moscou, tant sur le plan énergétique que politique. La rhétorique du gouvernement hongrois reprend parfois les narratifs russes et chinois, accentuant son isolement au sein de l’Union.
Orbán s’oppose régulièrement aux sanctions occidentales contre la Russie, affaiblissant ainsi la réponse coordonnée de l’UE face à l’agression en Ukraine. En s’alignant sur Pékin et Moscou, il contribue à saper la solidarité transatlantique et à ouvrir des brèches au sein des institutions occidentales.
La contestation intérieure s’organise
Face à cette dérive, l’opposition politique monte au créneau. Péter Magyar, leader du nouveau parti Tisza et principal rival d’Orbán, avertit : « Le monde est entré dans une nouvelle ère où la paix n’est plus acquise. La Hongrie doit agir avec détermination pour stopper la guerre. Nous n’avons pas à flotter entre Est et Ouest – notre place est en Europe ».
Tandis que l’Occident cherche à défendre ses valeurs démocratiques et sécuritaires, la Hongrie semble aujourd’hui s’éloigner de ce consensus, s’alignant de plus en plus sur les régimes autoritaires qui cherchent à remodeler l’ordre international à leur avantage.