La tragicomédie indépendante « Anora » remporte cinq statuettes, tandis qu' »Emilia Pérez » de Jacques Audiard, à la campagne torpillée par les tweets de son actrice principale, ne repart qu’avec deux statuettes.
C’est une consécration pour la tragicomédie indépendante Anora de Sean Baker. Le film, déjà Palme d’or au dernier Festival de Cannes, a été récompensé par cinq prix, et pas des moindres, dans la nuit du dimanche 2 au lundi 3 mars, lors de la 97e cérémonie des Oscars : meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario original, meilleur montage et meilleure actrice pour la jeune Mikey Madison. Côté français, Emilia Pérez de Jacques Audiard, à la fin de campagne plombée par les polémiques, a récolté seulement deux récompenses, lors d’une cérémonie ponctuée par quelques prises de parole politiques. Franceinfo vous résume cette 97e cérémonie des Oscars.
Le triomphe d' »Anora »
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Ce faux conte de fées, où une strip-teaseuse new-yorkaise s’amourache du rejeton d’un oligarque russe avant d’affronter le mépris de classe de sa belle-famille ultra-riche, a été sacré meilleur film, une consécration rare pour un long-métrage indépendant tourné pour seulement 6 millions de dollars. « Ce film a été réalisé grâce au sang, à la sueur et aux larmes d’artistes indépendants incroyables », a lancé le réalisateur Sean Baker en remerciant l’Académie d’honorer « un film véritablement indépendant ».
Après sa Palme d’or à Cannes, son Cendrillon moderne rafle non seulement la récompense suprême, mais aussi le prix de la meilleure actrice pour Mikey Madison, révélation du film à seulement 25 ans, qui a tenu à « rendre hommage » aux travailleuses du sexe.
Sean Baker, 54 ans, figure du cinéma d’auteur américain, a aussi reçu les Oscar du meilleur réalisateur, du meilleur scénario et du meilleur montage, devenant la première personne récompensée dans quatre catégories pour un même film, selon le magazine Variety (Nouvelle fenêtre).
Un deuxième sacre pour Adrien Brody
L’autre succès critique du cinéma indépendant américain, The Brutalist, a obtenu le prix de la meilleure photographie et de la meilleure musique, et le prix du meilleur acteur est revenu à son interprète principal, Adrien Brody. Le comédien américain de 51 ans rejoint Marlon Brando et Jack Nicholson dans le club prestigieux des doubles vainqueurs de cette statuette, 22 ans après avoir été récompensé pour Le Pianiste, où il jouait déjà un artiste confronté à la Shoah. Il récidive donc avec ce portrait d’un architecte hongrois survivant de l’Holocauste dans cette fresque monumentale sur le mythe américain de l’intégration.
L’acteur de 51 ans en a profité pour livrer un plaidoyer politique, dans une référence à peine voilée à la nouvelle présidence de Donald Trump. « Si le passé peut nous enseigner quelque chose, c’est de nous rappeler de ne pas laisser la haine s’exprimer sans contrôle », a-t-il insisté, en appelant de ses vœux « un monde plus sain, plus heureux et plus inclusif ».
Kieran Culkin a quant à lui obtenu le prix du meilleur acteur dans un second rôle pour A Real Pain, un long métrage bouleversant sur la famille et l’amitié, avec en toile de fond, là aussi, la mémoire de la Shoah.
Déceptions pour « Emilia Pérez » et « The Substance »
La comédie musicale Emilia Pérez de Jacques Audiard, nommée dans treize catégories, est loin d’avoir fait carton plein. Elle obtient tout de même l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour Zoe Saldaña, dans son rôle d’avocate mexicaine désabusée. L’actrice américano-dominicaine s’est dite « fière d’être l’enfant de parents immigrés qui ont des rêves, de la dignité et des mains qui travaillent dur ». « Je suis la première Américaine d’origine dominicaine à recevoir un Oscar, et je sais que je ne serai pas la dernière », a-t-elle ajouté, avant de conclure par des remerciements en espagnol.
La comédie musicale a également remporté l’Oscar de la meilleure chanson pour El Mal, de Camille et son compagnon Clément Ducol. A noter que ce prix a été remis par le Rolling Stone Mick Jagger.
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La chanteuse française n’a pas pu s’empêcher de pousser la chansonnette en recevant sa statuette dorée.
Mais le prix du meilleur film étranger a échappé à Emilia Pérez au profit du drame Je suis toujours là, réalisé par le Brésilien Walter Salles. « Je veux que ça cesse. Je veux partir sur autre chose », confiait à l’AFP Jacques Audiard juste avant la cérémonie, lassé par les polémiques autour, notamment, des tweets de l’actrice principale Karla Sofia Gascon et de la réception du film au Mexique.
Toujours côté français,The Substance , de la Française Coralie Fargeat, a remporté l’Oscar du meilleur maquillage et coiffure, pour la transformation physique impressionnante de Demi Moore en créature accro à un sérum de jouvence aux effets dévastateurs. Grand concurrent d’Anora, le thriller papal Conclave et son intrigue sur les arcanes mouvementées de l’élection d’un nouveau pape au Vatican, n’est finalement reparti qu’avec un seul Oscar, celui du meilleur scénario adapté.
Le prix du meilleur film d’animation est revenu au film letton Flow, coproduit en France, qui suit les aventures bouleversantes d’un chat à la dérive, confronté à l’engloutissement de sa planète par la montée des eaux.
Une cérémonie assez peu politique, malgré des allusions à l’invasion russe et à la guerre à Gaza
Les discours d’Adrien Brody et Zoe Saldaña ont compté parmi les rares allusions politiques de la soirée, lors d’une cérémonie bien moins virulente qu’en 2017 après la première élection de Donald Trump. Contrairement à Jimmy Kimmel à l’époque, l’humoriste Conan O’Brien, maître de cérémonie, a largement évité le sujet, illustrant le malaise d’Hollywood face au milliardaire républicain, élu cette fois avec le vote populaire des Américains.
Il a néanmoins fait une allusion à l’invasion russe de l’Ukraine. « Anora passe une bonne soirée. Deux Oscars déjà. Je suppose que les Américains sont ravis de voir quelqu’un s’opposer enfin à un Russe puissant », a-t-il lancé sur scène. Une allusion au film de Sean Baker mais aussi à Donald Trump et à sa proximité avec Vladimir Poutine, qui fait craindre un abandon de l’Ukraine, trois ans après le début de l’invasion russe. L’actrice Daryl Hannah (Kill Bill, Blade Runner) a quant à elle lancé un message de soutien à l’Ukraine, « Slava Ukraine ».
Le conflit israélo-palestinien s’est aussi invité au programme lorsque le film sur la colonisation israélienne en Cisjordanie, No Other Land a remporté l’Oscar du meilleur documentaire. « Je souhaite à ma fille de ne jamais avoir à vivre la vie que je vis, avec tant de violence, tant de destructions de maisons », a lancé le coréalisateur palestinien Basel Adra, qui a demandé que cesse le « nettoyage ethnique » des Palestiniens. « Nous avons fait ce film, Palestiniens et Israéliens, parce qu’ensemble, nos voix sont plus fortes », a renchéri son compère israélien Yuval Abraham. « Quand je regarde Basel, je vois mon frère, mais nous ne sommes pas égaux », a-t-il ajouté, avant de critiquer la diplomatie américaine. Ils ont été chaleureusement applaudis.
Hormis ces quelques moments, la cérémonie est restée consensuelle, avec un spectacle assuré par Ariana Grande et Cynthia Erivo, stars de la comédie musicale Wicked, lauréate du prix des meilleurs décors et des meilleurs costumes.
Un hommage a aussi été rendu aux pompiers de Los Angeles, ovationnés par la salle pour avoir combattu les incendies meurtriers qui ont ravagé les environs de la ville en janvier.
Le palmarès complet
Meilleur film : Anora
Meilleure réalisation : Sean Baker (Anora)
Meilleur scénario original : Sean Baker (Anora)
Meilleur scénario adapté : Peter Straughan (Conclave)
Meilleur acteur : Adrien Brody (The Brutalist)
Meilleure actrice : Mikey Madison (Anora)
Meilleur second rôle masculin : Kieran Culkin (A Real Pain)
Meilleur second rôle féminin : Zoe Saldana (Emilia Pérez)
Meilleure musique originale : Daniel Blumberg (The Brutalist)
Meilleure chanson originale : El mal, de Clément Ducol et Camille (Emilia Pérez)
Meilleur film international : Je suis toujours là, de Walter Salles
Meilleur film d’animation : Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, de Gints Zilbalodis, Matīss Kaža, Ron Dyens and Gregory Zalcman
Meilleure photographie : Lol Crawley (The Brutalist)
Meilleurs décors : Nathan Crowley et Lee Sandales (Wicked)
Meilleurs costumes : Paul Tazewell (Wicked)
Meilleurs maquillages et coiffures : Pierre-Olivier Persin, Stéphanie Guillon et Marilyne Scarselli (The Substance)
Meilleur montage : Sean Baker (Anora)
Meilleur son : Gareth John, Richard King, Ron Bartlett et Doug Hemphill (Dune : deuxième partie)
Meilleurs effets visuels : Paul Lambert, Stephen James, Rhys Salcombe et Gerd Nefzer (Dune : deuxième partie)
Meilleur documentaire : No Other Land, de Basel Adra, Rachel Szor, Hamdan Ballal et Yuval Abraham
Meilleur court métrage documentaire : The Only Girl in the Orchestra, de Molly O’Brien et Lisa Remington
Meilleur court-métrage : I’m Not a Robot, de Victoria Warmerdam et Trent
Meilleur court-métrage d’animation : In the Shadow of the Cypress, de Shirin Sohani et Hossein Molayemi