Les différents partis du « nouveau Front populaire » n’ont pas tranché quant à savoir celui ou celle qui pourrait diriger le gouvernement en cas de victoire de la gauche le dimanche 7 juillet. Plusieurs responsables sont ouvertement candidats, sans que leur profil ne fasse consensus.
L’union de la gauche est pour l’instant dépourvue d’un chef de file. Après l’accord de principe sur la création d’un « nouveau front populaire », lundi 10 juin, au lendemain des élections européennes qui ont vu le Rassemblement national recueillir 31,37% des suffrages, les différents partis ont entamé d’intenses négociations en vue des législatives anticipées les dimanches 30 juin et 7 juillet. Avec une interrogation en toile de fond : qui mènera cette coalition électorale visant à empêcher l’extrême droite de former un gouvernement de cohabitation ? Autrement dit, qui serait Premier ministre si la gauche gagnait les législatives ?
Pour l’heure, les différents négociateurs assurent ne pas s’attarder sur la question de l’incarnation. La date butoir pour les déclarations de candidature dans les 577 circonscriptions étant fixée au dimanche 16 juin, 18 heures, le temps presse pour se répartir les investitures. Jeudi matin, les discussions ont tourné au bras de fer entre le Parti socialiste d’un côté et La France insoumise et Les Ecologistes de l’autre, autour de cette répartition. « C’est irresponsable. Ils se foutent de nous. La question qu’on leur pose, c’est : ‘Est-ce qu’ils veulent un député RN ou un député PS ?' » déplorait jeudi midi un élu socialiste, avant que le climat s’apaise dans l’après-midi.
Un principe de désignation acté
L’enjeu est de taille : plus un parti recueille de circonscriptions « gagnables », plus il a de chances d’étoffer son groupe à l’Assemblée nationale et peser sur la suite de la recomposition politique. Surtout, dans l’éventualité d’une victoire aux législatives, le groupe dominant au soir du 7 juillet aurait la main sur le nom du Premier ministre. « On va en rester à la formule que propose Olivier Faure [le premier secrétaire du Parti socialiste]« , a insisté Jean-Luc Mélenchon sur France 2.
« C’est le groupe parlementaire le plus important qui propose. »Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise
sur France 2
L’alliance pourrait donc ne désigner aucune personnalité avant le soir du second tour dimanche 7 juillet. En attendant le verdict des urnes, la question du « Premier ministrable » de gauche est dans toutes les têtes et dans les mots de quelques-uns. « Je m’en sens capable », a ainsi assuré Jean-Luc Mélenchon, qui avait clairement appelé la gauche à l’envoyer à Matignon au travers de la Nupes aux législatives de juin 2022. « Je ne m’élimine pas mais je ne m’impose pas », a-t-il expliqué.
« En 2022, avec la Nupes, la gauche pensait avoir perdu. Elle devait donc remobiliser avec une figure », rappelle le politologue Rémi Lefebvre. Cette année, alors que la majorité et Emmanuel Macron sont affaiblis politiquement en raison des élections européennes et de la dissolution qui a suivi la victoire de l’extrême droite, « l’importance du meneur est moins importante », juge-t-il.
Plusieurs noms sur la table
Dans un étonnant mimétisme, François Ruffin a repris jeudi matin le même terme que le chef de file de La France insoumise pour évoquer sa possible arrivée à Matignon en cas de victoire de la gauche le 7 juillet.
« Je m’en sens capable. »François Ruffin, député sortant de la Somme
sur France Bleu
« Si jamais il y a un consensus qui devait aboutir à un nom, je suis prêt à prendre la place qu’on voudra pour transformer la vie des gens. Quel que soit le poste que je puisse occuper, si c’est à Matignon comme Premier ministre, pourquoi pas », a-t-il encore affirmé sur France Bleu. « Nous sommes plusieurs. Bien sûr, j’en fais partie comme d’autres », a également avancé Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, sur RTL, à propos des figures capables de mener un gouvernement de gauche.
Les hypothèses fusent et les différents responsables qui s’expriment dans les médias sont chargés de les commenter. Le cas de Jean-Luc Mélenchon est particulièrement discuté. L’ancien candidat à la présidentielle n’est pas « disqualifié », a assuré Olivier Faure sur RMC, tandis que d’autres cadres du Parti socialiste ont exprimé leur désaccord. « En aucun cas, Jean-Luc Mélenchon ne sera Premier ministre », a affirmé la socialiste Carole Delga dans un communiqué. « C’est inenvisageable », a renchéri le sénateur Rémi Féraud sur Public Sénat. Ce proche d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, appelle Jean-Luc Mélenchon à « se tenir le plus loin possible si on veut empêcher l’extrême droite de gagner ».
Alors qu’un débat entre Gabriel Attal, Jordan Bardella et Jean-Luc Mélenchon était envisagé, selon Le Parisien, le leader de La France insoumise a décliné l’invitation. « Le ‘nouveau Front populaire’ n’a pas encore désigné son candidat [au poste de] Premier ministre. C’est aux chefs des grands partis de notre coalition d’aller à ce type de débats », a-t-il déclaré sur le réseau social X.
Attendre pour ne pas diviser
Plus qu’un nom, c’est un profil que la gauche tente pour l’instant de cerner. Il faut que le Premier ministre « ne soit pas clivant », quelqu’un « qui soit capable de rassembler toute cette gauche et tous ces écologistes », a estimé Clémentine Autain, députée sortante de Seine-Saint-Denis, sur franceinfo. « Nous déciderons d’une candidature qui fait consensus à l’intérieur de cette diversité de la gauche et des écologistes », a-t-elle précisé. « Dans la perspective du rassemblement dans le Front populaire, une candidature féminine au poste de Première ministre aurait beaucoup d’atouts ! » a lancé la socialiste Valérie Rabault sur X.
Les différents responsables défendent leurs options tout en restant prudents, alors que la courte campagne doit réunir des militants habitués à ferrailler sur le terrain. Il faudrait aussi et surtout attendre, par stratégie. « On risque de perdre des électeurs si on tranche sur un Premier ministre. Mieux vaut ne pas être clair », estime l’élu socialiste cité plus haut, qui réfléchit déjà à l’après-second tour : « Si on a 80 députés [contre 31 membres et apparentés aujourd’hui], on est en position de force pour attirer une partie de la macronie et construire nous-mêmes le projet. On redevient centraux et le Premier ministre peut être Olivier Faure, Boris Vallaud ou quelqu’un d’autre. »
Derrière l’unité affichée du « nouveau Front populaire », les velléités hégémoniques sont loin d’avoir disparu, avec Matignon désormais en vue.