Le personnel de l’Education nationale est invité à reprendre le chemin de l’école pour préparer la rentrée des élèves. Mais l’opération s’annonce périlleuse, entre les dégâts dans les salles de cours et les fragilités psychologiques dans le corps enseignant.
Rarement une rentrée scolaire aura été marquée par autant d’incertitudes à Mayotte. « On ne sait même pas si on va retrouver tous nos élèves », souffle Marc*, qui travaille dans un collège de Kawéni, dans l’agglomération de Mamoudzou. « Sur 1 500 [scolarisés dans l’établissement], on se dit que certains ont perdu la vie, c’est sûr », redoute-t-il, alors que le bilan, encore provisoire, fait état d’au moins 39 morts et plus de 5 600 blessés.
Près d’un mois après le passage meurtrier du cyclone Chido et alors que la tempête Dikeledi a frappé l’archipel dimanche, le recteur a souhaité effectuer une « rentrée des équipes administratives et pédagogiques », mardi 14 janvier. Celle des élèves est, elle, prévue le 20 janvier. Les personnels de l’Education nationale sont invités dans l’intervalle à faire un état des lieux pour rouvrir dans les meilleures conditions.
« On a juste reçu un mail de notre chef d’établissement, expliquant qu’on allait se réunir pour organiser les choses. Mais on ne sait pas trop comment faire, on manque d’infos précises », s’inquiète Catherine Veyrier, membre du Snes-FSU. Pour beaucoup d’enseignants, le défi s’annonce immense(Nouvelle fenêtre) au moment où le département s’engage tout juste dans le début d’une lente reconstruction.
L’électricité n’est pas encore rétablie partout et les habitants se soucient toujours de l’approvisionnement en eau et en vivres. « Il y a beaucoup de spéculations sur place, le pack d’eau est passé de 4 à 8 euros », alerte Lila Larbi, secrétaire régionale de l’Unsa Education. « On sort tout juste du plus gros de la crise où on a dû pallier l’accès aux besoins vitaux, ajoute Catherine Veyrier. On manque d’informations pour cette rentrée, il faut que ce soit plus transparent. »
« Ecoles sous tentes » et cours par demi-journées
Pour que les 117 000 élèves de l’archipel retrouvent le chemin de l’école, le recteur de Mayotte a évoqué mercredi plusieurs solutions. Dans le premier degré, les classes « qui n’étaient pas encore en rotation passeront en rotation », tandis que celles qui l’étaient déjà pourront voir leurs semaines s’allonger jusqu’à six jours, a expliqué Jacques Mikulovic. Concrètement, avec ce système, les élèves « ont deux semaines de cours le matin, puis deux semaines l’après-midi », détaille Lila Larbi.
Dans le second degré, les classes à examens (la troisième et la terminale) « seront priorisées », a ajouté le recteur, qui a rappelé que des cours en distanciel seraient disponibles via le Cned ou encore le programme Lumni sur Mayotte La 1ère(Nouvelle fenêtre).
Chaque commune est par ailleurs invitée à mettre en place un scénario adapté en fonction de la situation : « plus de rotations, des adaptations des rythmes scolaires ou encore [l’installation d’]écoles sous tentes », a détaillé le recteur. Car plusieurs établissements ne sont pas en mesure d’accueillir du public. Selon le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, « 70% des salles de classe du premier et second degré devraient être disponibles pour la rentrée ».

« J’ai vu des clôtures cassées, des salles éventrées… Les voyous ont tout saccagé : les bureaux de l’administration, du principal… Ils ont même déféqué dans les salles », témoigne Marc, venu constater les dégâts dans son établissement après le passage du cyclone. « J’ai vu un gars en train de défoncer l’entrée du local de sport à coups d’extincteur. Tous les vidéoprojecteurs, les ordinateurs ont été volés ou endommagés. Il ne reste que des tables et des chaises… » Du matériel a aussi été volé dans des écoles de Kawéni. Il a toutefois été restitué aux mosquées, comme le rapporte Mayotte La 1ère(Nouvelle fenêtre).
Près de 450 classes endommagées
Selon le recteur, cité par Mayotte La 1ère(Nouvelle fenêtre), 448 classes ont été endommagées et 178 sont en cours de réfection. A Acoua, dans le nord-ouest de Grande-Terre, le lycée du Nord, qui accueille 2 300 élèves, est ravagé. « Il n’y a pas encore d’eau ni d’électricité. L’établissement est détruit à 60-70% », confie à l’AFP Jonas Salako, un des proviseurs adjoints de cet établissement. Le cyclone a arraché les toitures, brisé ses murs, broyé ses clôtures. Des câbles électriques pendent, le sol est inondé, le matériel informatique détruit. Seul un tiers des 60 salles est utilisable, « c’est un désastre », se désole-t-il.
« Il y a des bris de verre partout », se désespère aussi Véronique Hummen, professeure documentaliste venue constater les dégâts. Mais « ceux qui ont déblayé ont bien travaillé ; tous les bouquins ont été sauvegardés. Je suis contente qu’il y ait des services publics qui fonctionnent, il faut le dire », souligne-t-elle auprès de l’AFP. A Bandraboua, un peu plus à l’est, Ahmed Assani, directeur de l’école primaire La Rose montre le toit en ruine et les ballots informes d’isolant tombés des faux plafonds au pied du bâtiment. « On va accueillir les enfants le 20 janvier, mais on ne sait pas comment on va faire classe », souligne le responsable.
« Regardez les faux plafonds, il n’y a plus rien, je ne sais pas comment on va faire. Les salles du bas, on peut travailler, mais le haut, [sans isolation], il fait trop chaud. »Ahmed Assani, directeur de l’école La Rose
à l’AFP
« Des établissements ont été épargnés, mais certains ont souffert plus que d’autres », poursuit Lila Larbi, professeur d’anglais dans un lycée professionnel de Bandrélé, dans le sud de l’île. « Mais les conditions étaient déjà très dégradées avant le cyclone, donc on ne sait pas comment on va faire. Les ordinateurs ne fonctionnaient déjà pas, le rétroprojecteur non plus. [Pendant] mon dernier cours en décembre, on n’avait déjà plus d’électricité », raconte-t-elle.
« J’ai perdu tous mes documents »
« On nous a dit que notre établissement n’était pas trop touché. Mais un collège, ce n’est pas juste des murs et un toit, ce sont aussi des normes de sécurité pour accueillir des élèves, notamment au niveau du personnel. On ne sait pas s’il y aura une infirmière scolaire, par exemple« , s’inquiète de son côté Catherine Veyrier, professeur d’histoire-géographie. Des inspections ont été réalisées dans les regroupements de populations précaires, et 50% des personnes rencontrées souffrent de troubles post-traumatiques. »
« On se demande dans quel état on va récupérer nos élèves. »Catherine Veyrier, du syndicat Snes-FSU
à franceinfo
Le traumatisme parcourt aussi le corps enseignant. « C’est la saison des pluies et chaque fois qu’il pleut, il y a un peu d’eau qui rentre chez moi », assure Marc. « Beaucoup de collègues ont perdu leur logement. Ils sont en état de choc et de dépression. Et parfois en colère », témoigne Lila Larbi. Mon logement a été touché, j’ai perdu tous mes documents, mes livres, mon imprimante. »
Selon le recteur, « 1 900 personnels sur 10 000 étaient hors du territoire » la semaine du 6 janvier. Un courriel a été envoyé pour recenser les forces en présence et s’inquiéter de l’état du logement des enseignants. « Certains sont parvenus à partir fin décembre ou début janvier et comptent revenir seulement à la fin janvier ou début février », assure la représentante de l’Unsa Education. « Combien sommes-nous à pouvoir reprendre ? », s’interroge aussi Catherine Veyrier, ajoutant : « Je ne jette pas la pierre au rectorat, car c’est très difficile. On sait que plus nous allons tarder à accueillir les élèves, plus cela sera compliqué pour eux. »
Un préavis de grève déposé
Certains dénoncent tout de même des décisions prises au ministère pour cette rentrée, avec une méconnaissance des difficultés de terrain. « Ils sont venus une journée, ce n’est pas suffisant pour se rendre compte, peste Marc. Nous sommes livrés à nous-mêmes depuis le début. On est dans le brouillard. »
Pour rassurer les équipes pédagogiques, le gouvernement a assuré aux enseignants qu’il n’y aurait pas de retour des élèves en classe, « si les conditions de sécurité ne sont pas réunies ». « La ministre de l’Education nous dit donc : ‘Ne vous inquiétez pas : on va respecter la loi' », raille Catherine Veyrier.
Les annonces de la ministre n’ont pas suffi à rassurer. Plusieurs syndicats (FSU, CFDT et Unsa) ont évoqué les « incertitudes » qui demeurent après une réunion avec Elisabeth Borne. Ils ont ainsi déposé un préavis de grève à Mayotte à partir de lundi, jour prévu initialement pour la rentrée des enseignants, afin de protester contre une reprise « dans l’improvisation ». Pour eux, le maintien de la rentrée la semaine prochaine est une « opération de communication qui ne résiste pas à la réalité ».