Visées par des bombardements russes, les centrales électriques ukrainiennes ne peuvent plus alimenter toutes les régions. Le plus gros fournisseur privé du pays estime entre 25 et 35% de pénurie d’électricité l’hiver prochain.
En Ukraine, à 50 kilomètres de Kiev, le long du Dnipro, ce fleuve qui traverse le pays du nord au sud, la ville de Tripila est connue pour ses céramiques néolithiques mais aussi pour sa centrale thermique qui a remplacé Tchernobyl et approvisionne en électricité trois régions dont la capitale. Mais en avril, la centrale a été détruite par des frappes russes. Depuis, les habitants subissent plusieurs heures de coupures d’électricité par jour. C’est pareil dans toute l’Ukraine, une course contre la montre pour réparer avec l’hiver en ligne de mire.
Youri s’agite autour de ses cannes à pêche, il faut vite les lancer, l’électricité vient de revenir et la grue peut de nouveau remuer le sable sur une barge devant lui : « Ici le poisson mord mieux parce que ça remue la vase. » Derrière lui, la centrale thermique ne produit plus d’électricité depuis les frappes russes d’avril en pleine nuit. « Les missiles sont rentrés pile dans la salle des machines et sont tombés sur deux turbines, raconte Youri. Elles sont complètement détruites. La troisième bombe a explosé sur le toit sans toucher les machines. Ça a brûlé très fort, il y a de l’huile dans les transformateurs alors ça s’est déversé et tout a pris feu. »
« On sait que tôt ou tard, ils vont continuer à attaquer »
La fumée noire recouvre alors la ville voisine d’Oukrainka, les réseaux d’eau et d’électricité sont aussitôt coupés. Depuis, la vie a repris tant bien que mal avec des coupures de courant plusieurs heures par jour, obligeant Agnes, adjointe au maire à s’organiser : « Quand il y a des coupures d’électricité, en revenant des courses ou de la pharmacie, une petite mamie ne peut pas remonter chez elle au 9e étage. On a fait une liste des personnes âgées avec leurs numéros de téléphone, leurs adresses, si elles restent alitées ou si elles peuvent bouger ou non. On a déjà mis en place un plan de transport pour les évacuer. Car on sait bien que tôt ou tard, ils vont continuer à attaquer, attaquer, attaquer. »
L’Ukraine a perdu plus de 50% de sa production électrique. Dès le début de la guerre, les transformateurs et les lignes sont visés, mais depuis trois mois, ce sont les centrales thermiques, hydroélectriques et sous-stations qui subissent chaque nuit des dégâts. En parallèle, une partie des centrales nucléaires vient d’être mise en maintenance.
Ce mois de juin sur courant alternatif vire donc au cauchemar pour Oleksander, boulanger près de la centrale de Trypilska : « Ça, c’est notre four avec des bûches, on peut cuire le pain. » Le four à bois fonctionne, les autres appareils sont désormais branchés sur un puissant générateur qu’il a dû acheter : « Fabriquer 300 à 400 kilos de pain par jour à la main, c’est impossible… Regardez combien de pâte on doit mélanger dans cette machine, c’est du 380 volts. Cette chambre froide est à trois degrés pour que la pâte fermente correctement sinon ça va devenir aigre. Maintenant, on consomme environ 70 litres de diesel donc ça fait 3 500 gryvnias, 80 euros par jour. » Une seule question le taraude : comment les Ukrainiens vont-ils passer l’hiver ?
L’importation d’électricité de l’Union européenne
Dans une tour moderne de Kyiv, l’ascenseur fonctionne sans coupure. C’est le siège de Dtek Yasno, plus gros fournisseur privé d’énergie. Son PDG, Serrhiye Kovalenko, scrute heure par heure la consommation des Ukrainiens, l’hiver sera rude mais il voit des raisons d’espérer : « Premièrement, j’espère que l’importation d’électricité de l’Union européenne va augmenter jusqu’à 2,5 gigawatts. Deuxièmement, cet automne, tous les réacteurs nucléaires fonctionneront de nouveau. Mais d’un autre côté, la consommation va augmenter. On n’aura pas assez d’électricité. Même si les frappes s’arrêtent, j’estime qu’on aura 25 à 35% de pénurie. »
Leurs infrastructures sont détruites à 86% et il faut les reconstruire, dit Serhiy Kovalenko : « Il faudra deux ans ! Le problème principal pour réparer, c’est l’absence de pièces détachées déjà prêtes. Il faut les produire. Dans certains pays d’Europe, il y a des centrales thermiques qui sont à l’arrêt. Le matériel de ces centrales thermiques pourra servir sur nos centrales détruites, bombardées. Si on a cette chance, ça ne prendra que six mois… » Le problème, ajoute-t-il, c’est qu’une fois les installations réparées, il faut pouvoir les protéger, or l’Ukraine manque de défenses antiaériennes concentrées sur les grandes villes.