"On devrait obliger tout le monde à aller voir l'usine de l'horreur": la survivante d'Auschwitz Ginette Kolinka dialogue avec sa famille
"On devrait obliger tout le monde à aller voir l'usine de l'horreur": la survivante d'Auschwitz Ginette Kolinka dialogue avec sa famille

« On devrait obliger tout le monde à aller voir l’usine de l’horreur »: la survivante d’Auschwitz Ginette Kolinka dialogue avec sa famille

27.01.2025
5 min de lecture

Ginette Kolinka est l’une des dernières rescapées de l’Holocauste encore en vie. Elle témoigne dans les collèges et lycées français depuis vingt ans, mais comment raconte-t-elle son histoire à ses enfants et petits-enfants ? franceinfo s’est entretenue avec elle, son fils et Richard et son petit-fils Mathis.

C’était il y a 80 ans, le 27 janvier 1945 : la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en Pologne. C’est là qu’ont été tués un million de juifs, sur les six millions d’entre eux morts pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi les rescapés français, Ginette Kolinka, à près de 100 ans, continue de témoigner inlassablement devant les élèves des collèges et lycées. Elle a rencontré des milliers de jeunes dans toute la France en plus de vingt ans. Mais comment la transmission de cette mémoire se fait-elle au sein de sa propre famille, qui avait d’abord fait le choix de se taire pendant cinquante ans ? franceinfo s’est entretenu avec Ginette Kolinka, son fils Richard, batteur du mythique groupe Téléphone, et son petit-fils Mathis, 25 ans.

franceinfo. 80 ans ont passé, Ginette  Kolinka depuis la libération d’Auschwitz-Birkenau. Cela vous paraît-il extrêmement loin ou bien les souvenirs sont-ils encore très présents ?

Ginette Kolinka. Je peux vous dire que ce n’est pas loin. Pour moi, c’est hier.

L’un des moments très forts de votre déportation, c’est l’arrivée à Auschwitz et la séparation très rapide avec votre frère et votre père 

Ginette Kolinka. Ils sont passés dans les chambres à gaz. C’est un fort remords que j’ai parce que c’est vrai, c’est moi qui leur ai conseillé de monter sur ces camions, puisque les nazis le proposaient à ceux qui étaient fatigués. Mais même si je ne les avais pas envoyés de moi-même, ils auraient été éliminés. Les nazis voulaient bien que des juifs rentrent dans le camp à condition qu’ils puissent travailler. J’avais 19 ans, je n’ai pas eu ces problèmes-là. Par contre, mon petit frère de 12 ans et mon père …

Il y a eu un autre moment marquant, c’est le retour à la maison en 1945. Vous ne pesez plus alors que 26 kilos.

Ginette Kolinka. Oui, avant la déportation, je pesais 66 kilos, j’étais assez rondouillarde. Et quand je suis rentrée, je n’en faisais plus que 26. On ne se voyait pas dans le camp. On voyait les autres, mais nous, on ne se voyait pas. 

Quand je suis rentrée et que j’ai vu mon corps dans une glace, j’ai eu peur. J’étais vraiment bonne pour la chambre à gaz.Ginette Kolinka, survivante de l’Holocauste

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Depuis plus de 20 ans, vous consacrez toute votre énergie à raconter votre histoire aux jeunes générations. Est-ce que vous en parlez au sein de votre famille ?

Ginette Kolinka. Si je les embêtais à chaque fois avec mon histoire, déjà que je ne les vois pas trop, alors je ne les verrais plus du tout. Non, non. Depuis le jour où j’ai été libérée, je voulais ne plus en parler, surtout à mes enfants. Je ne voulais pas les embêter avec ça, répéter toujours la même chose. Je pense qu’ils ne me verraient plus si je le faisais à chaque fois.

Mathis Kolinka. J’aime t’entendre témoigner parce qu’à chaque fois, j’apprends de nouvelles informations. Tu as toujours de nouvelles choses à raconter. Donc en fait, chaque témoignage est unique.

Vous vous rappelez justement, Mathis, le jour où vous avez appris que votre grand-mère avait été déportée.

Mathis Kolinka. Je pense que c’était au CM2. C’est l’année où elle est venue dans ma classe en primaire. Je pense que je le savais peut-être avant, mais c’est vraiment là où j’ai eu le premier témoignage, en plus à l’école primaire. Donc je pense que c’est ça mon premier souvenir.

Richard Kolinka, vous dites souvent que vous saviez sans savoir finalement. La transmission de l’histoire de votre mère s’est faite en plusieurs temps pour vous. D’abord dans l’enfance, en voyant le numéro de déportée tatoué sur son bras …

Richard Kolinka. Oui, je voyais que ma mère avait un numéro et je me suis certainement dit que toutes les mamans avaient un numéro. La transmission, c’est important bien sûr, surtout vu l’état du monde actuel. Je ne parle pas seulement du problème antisémite, il y a le racisme. Les gens oublient très vite. Et comme le disait Primo Levi : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. » Je suis terriblement pessimiste sur l’avenir. Mais je suis un pessimiste joyeux parce que je fais ce que j’aime. J’ai la musique, j’ai des enfants, des petits-enfants. Ma mère.

Il y a eu ce voyage familial en 2013 à Birkenau, à votre demande Richard. Est-ce que c’était important d’y aller tous ensemble, en famille et que votre mère soit avec vous là-bas ?

Richard Kolinka. Ah oui, vraiment. Je crois que d’ailleurs, on devrait obliger tout le monde à aller voir l’usine de l’horreur. Franchement, j’avais honte d’être un être humain. Là-bas, ça n’a plus rien à voir. Il n’y a pas les odeurs, il n’y a pas les cris, il n’y a pas la peur, il n’y a pas la haine. Mais on se rend compte de l’immensité de la bêtise humaine. 

Comme ma mère a beaucoup d’humour, dès qu’on sortait d’Auschwitz, elle se remettait à plaisanter. On se marrait bien. Mais dès qu’on rentrait, forcément, on n’avait plus du tout envie de se marrer parce qu’on avait envie de pleurer.Richard Kolinka, musicien et fils de Ginette Kolinka

franceinfo

Mathis, quel souvenir gardez-vous de ce déplacement ? Vous aviez 13 ans ou 14 ans à l’époque. 

Mathis Kolinka. C’était horrible. Surtout, le fait d’être avec ma grand-mère, de visiter avec quelqu’un qui a été déporté, qui nous explique exactement : « C’est à cet endroit-là que je dormais, à cet endroit-là qu’on faisait nos besoins. » On peut mettre des images sur ce qu’elle raconte donc forcément, c’est encore plus traumatisant. Surtout quand elle nous dit qu’en fait, aujourd’hui, c’est super clean, la pelouse est tondue, alors qu’eux étaient dans la gadoue, dans la puanteur, etc. C’est quelque chose qui me restera en mémoire à vie.

Matis, quand vous voyez votre grand-mère témoigner, dire aux jeunes : « Aujourd’hui, c’est vous ma mémoire », commencer en quelque sorte à passer le flambeau, est-ce que vous vous sentez concerné ?

Mathis Kolinka. Je me sens forcément concerné. Ma grand-mère est une des rares survivantes qui reste pour témoigner. Il n’en reste plus beaucoup. Et je sais qu’on a un héritage. Donc c’est évidemment aussi à nous, les membres de la famille, de continuer à en parler à nos enfants.

Vous avez vous-même un fils, trop petit pour qu’on l’invite avec nous, aujourd’hui. Est-ce que vous avez déjà réfléchi à la façon de lui parler de l’histoire de son arrière-grand-mère ?

Mathis Kolinka. Pour l’instant, j’espère que ce sera elle qui pourra lui en parler. Donc je n’ai pas encore réfléchi à ça. J’espère qu’elle sera toujours là quand il en aura conscience et qu’il pourra lui en parler. Je croise les doigts. Pour l’instant, je n’y ai pas pensé, parce que je pense au présent.

Richard, de la même manière, pensez-vous incarner un jour ce désir de mémoire, terme que préfère votre mère à celui de devoir de mémoire ?

Richard Kolinka. Qu’elle soit là ou pas, bien sûr que je parle. J’ai la parole donc je dis ce que je pense, enfin j’essaie. Mais on n’est pas écoutés. On est entendus, mais pas écoutés, c’est ça le problème. C’est la bêtise.

Qui parlera à votre place, Ginette Kolinka, quand les survivants de la Shoah ne seront plus là ?

Ginette Kolinka. Ce n’est pas mon problème, je ne me soucie pas de ce qui se passera après moi. Ceux qui sont intéressés regarderont les livres, les films, écouteront les enregistrements. Égoïstement, moi, je suis là, j’ai ma petite famille autour de moi et je suis très contente.

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