Les réseaux sociaux encouragent-ils le passage à l’acte violent chez les jeunes ? C’est une des pistes avancées dans les réactions politiques à la mort d’une assistante d’éducation poignardée par un adolescent à l’entrée d’un collège de Nogent (Haute-Marne), mardi 10 juin. « Nous vivons dans une société de plus en plus violente. (…) Comment on en est là, j’ai quelques explications », a ainsi déclaré Emmanuel Macron mardi soir sur France 2, réaffirmant sa volonté d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans.
Il faut « protéger nos jeunes de la surexposition aux écrans », a aussi défendu mercredi, sur France Inter, la ministre de l’Education nationale, Elisabeth Borne. Les réseaux sociaux « banalisent la violence » et font « perdre leurs repères à notre jeunesse », a-t-elle justifié. Plus tard, mercredi, le procureur chargé de l’affaire a nuancé cette piste, affirmant que le suspect « utilise peu les réseaux sociaux ».
Ce n’est pas la première fois que ces réseaux sont accusés de la sorte. Lors des émeutes urbaines consécutives à la mort de Nahel Merzouk, en juillet 2023, le gouvernement avait déjà demandé aux grandes plateformes de supprimer rapidement les images des violences qui participaient, selon lui, à alimenter les émeutes.
Des risques pour la santé mentale
Plusieurs caractéristiques des réseaux sociaux sont ainsi pointées du doigt. Ces plateformes permettent « de s’organiser et de se rassembler physiquement », relève Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine. « On s’est émerveillés de cet usage au moment des Printemps arabes, et on s’en est effrayés lors des émeutes après la mort de Nahel. » Une fonctionnalité sur Snapchat permet par exemple de localiser les vidéos postées sur la plateforme, et donc de rejoindre un lieu d’émeutes.
Autre caractéristique des réseaux sociaux dénoncée : l’effet de bulle algorithmique. « Les personnes qui ont des vulnérabilités psychologiques ont des usages des réseaux sociaux qui vont souvent entretenir ces vulnérabilités, car les algorithmes sont conçus de manière à nourrir ce qui capte l’attention », explique Anne Cordier. Un utilisateur qui cherche des contenus violents se voit ainsi proposer un grand nombre de vidéos similaires. « Certains réseaux, dont TikTok, peuvent ainsi petit à petit enfermer une personne dans un flux mortifère, que ça soit la haine, le suicide ou la tendance #SkinnyTok », qui prône une maigreur extrême, pointe le psychologue et psychanalyste Michaël Stora, auteur de Réseaux (a)sociaux ! (éditions Larousse). « Ce qui fait qu’il peut y avoir un effet de persuasion chez l’adolescent, surtout si on a affaire à un utilisateur fragile. »
Néanmoins, même lorsqu’on est confronté à un grand nombre de vidéos violentes, « il n’y a pas forcément de lien avec le passage à l’acte », insiste Anne Cordier. « La pratique des réseaux sociaux ou des jeux vidéo qui provoque un effet de déréalisation, avec une confusion entre le réel et le virtuel et un passage à la violence, peut exister » mais relève de l’exception, détaille Michaël Stora. « Il s’agit de personnes qui sont dans des états préalables de décompensation psychotique. »
« Penser que c’est uniquement les réseaux sociaux qui sont responsables de la violence, c’est faire l’économie d’une réflexion plus poussée en lien avec la santé mentale à l’adolescence. »
Michaël Stora, psychologue et psychanalyste
Ainsi, « il n’y a pas de déterminisme dans l’usage des réseaux sociaux, il faut prendre en compte le contexte dans lequel ils sont utilisés, souligne Anne Cordier. Bien sûr qu’il y a des contenus violents, problématiques, ou qui ne sont pas adaptés à certains âges. Mais, de la même manière, il y a des contenus libérateurs et épanouissants. »
« La recherche montre qu’il n’y a pas de lien de causalité »
Plus qu’un rôle de déclencheur des violences, les réseaux sociaux peuvent en revanche être des outils au service de ces actes. En permettant d’orchestrer des affrontements ou d’organiser des extorsions via des images intimes, ils « permettraient une facilitation du passage à l’acte, davantage que la commission de nouvelles infractions », conclut ainsi un rapport sénatorial sur la délinquance des mineurs, présenté en 2022. « Bien qu’internet puisse jouer (…) un rôle de facilitateur » de la violence, notamment par « la prolifération des idéologies extrémistes violentes », « l’existence d’un lien causal entre l’internet et la radicalisation idéologique, violente ou la perpétration d’actes réels de violence extrémiste est loin d’être démontrée », avançait aussi une étude de l’Unesco en 2018.
« Exactement comme pour les jeux vidéos, la recherche montre qu’il n’y a pas de lien de causalité entre l’usage des réseaux sociaux et le passage à l’acte violent », conclut Anne Cordier. Et d’autres facteurs explicatifs peuvent être avancés. Un article sur les homicides commis par des mineurs publiés dans la revue Dalloz en mai pointe ainsi des causes démographiques (93% des mineurs mis en cause pour homicides entre 2019 et 2022 étaient des garçons), environnementales (l’exposition à la violence dans son cercle familial ou son quartier renforce la probabilité de devenir violent) ou encore cognitives (les auteurs de violences ont des problèmes de gestion de leur colère, ont un déficit d’empathie et présentent un quotient intellectuel peu élevé).