Maladie de Parkinson : des médicaments qui rendent accros au sexe et aux jeux face à la justice
Maladie de Parkinson : des médicaments qui rendent accros au sexe et aux jeux face à la justice

Maladie de Parkinson : des médicaments qui rendent accros au sexe et aux jeux face à la justice

17.01.2025
17 min de lecture

Sexualité compulsive, dépendance aux jeux, pulsions de violence… Les traitements contre la maladie de Parkinson provoquent des effets indésirables graves. Deux victimes ont décidé de poursuivre GSK, le fabricant de l’un des médicaments concernés.

Comme 273 000 Français, Stéphane Grange a la maladie de Parkinson, dont on ne guérit pas. Les traitements aident à limiter les tremblements et les raideurs dans les mouvements. Le cadre francilien a commencé à prendre du Requip, médicament fabriqué par le laboratoire GSK, en 2019. Au départ, ses symptômes physiques diminuent  : c’est la période dite de « lune de miel ». Les malades ont l’impression de se sentir beaucoup mieux grâce au traitement et donc ils ont forcément envie de le poursuivre… D’autant plus qu’ils ne font pas le lien entre le médicament et leurs addictions. Elles peuvent survenir à mesure que les doses augmentent pour pallier les effets de la maladie qui évolue. En l’occurrence, Stéphane Grange devient accro aux jeux, au sexe et dépense son argent à tort et à travers au point de s’endetter de plus de 90 000 euros en moins de deux ans.

Le 15 février 2024, ce quinquagénaire a assigné le géant pharmaceutique GSK devant le tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine), comme l’avait révélé Le Canard enchaîné(Nouvelle fenêtre). La firme britannique commercialise le Requip en France depuis 1997 et elle a tardé à informer clairement sur ses graves effets indésirables. Stéphane Grange entend ainsi faire reconnaître la responsabilité du laboratoire et fixer le montant de l’indemnisation. L’audience est prévue en novembre 2025.

Stéphane Grange. (ROZENN LE SAINT / RADIO FRANCE)
Stéphane Grange. (ROZENN LE SAINT / RADIO FRANCE)

Par quel mécanisme ces médicaments peuvent-ils provoquer des addictions  ? La maladie de Parkinson survient du fait d’un manque de dopamine, un neurotransmetteur qui régule le désir et le plaisir. Or, les traitements anti-parkinsoniens qu’on appelle dopaminergiques peuvent également dérégler le système de récompense, et ainsi provoquer des pulsions et des addictions. Ce risque concerne surtout une catégorie de médicaments : les agonistes dopaminergiques, dont fait partie le Requip, consommé par 48 000 Français atteints par cette maladie.

Accro aux paris sportifs

Sous Requip, Stéphane Grange, qui n’avait jamais joué de sa vie auparavant, se met à parier près de six fois par jour. « Cette période du jeu compulsif est intervenue sur la période du Covid et du coup, il n’y avait plus de compétition sportive mise en ligne. Tous les championnats de foot étaient suspendus, sauf le championnat biélorusse. À 5h du matin, dans ma cuisine, je pariais donc sur des matchs biélorusses. Voilà le genre de situation absurde dans laquelle on se trouve quand on est sous l’emprise d’une telle compulsion », témoigne-t-il.

En moins de deux ans, il mise plus de 40 000 euros sur un site de pari sportif. Il multiplie les prêts à la consommation et essuie un redressement fiscal. En parallèle, il développe une autre addiction, encore plus taboue, au sexe. « Je sollicitais ma compagne pour avoir des rapports sexuels tous les jours. Elle l’a mal vécu, moi aussi parce qu’elle me repoussait, et elle avait bien raison », relate-t-il. Il fréquente également en permanence des sites pornographiques. Son couple a fini par exploser. Stéphane Grange a longtemps caché ces nouvelles addictions par honte et quand il raconte tout à sa neurologue, elle fait directement le lien entre le Requip, son médicament, et ces troubles du contrôle des impulsions. Elle diminue les doses progressivement pour limiter le syndrome de sevrage et l’anxiété qui peuvent survenir à l’arrêt du traitement, car ce dernier ne doit pas être arrêté brutalement et sans contrôle médical. Au fur et à mesure, ses obsessions disparaissent.

Cinq ans après, il éprouve le besoin de comprendre ce qui lui est arrivé. Il se replonge alors dans la notice du médicament. Il est bien mentionné que « des cas d’addiction aux jeux d’argent, d’achats compulsifs et d’hypersexualité ont été rapportés sous traitement dopaminergique, notamment lors d’utilisation à fortes doses », mais sans qu’on sache exactement à quel point ces cas sont fréquents. La notice indique simplement : « fréquence indéterminée ».

Un malade sur deux concerné

Or, Jean-Christophe Corvol, professeur de neurologie à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière et son équipe ont mené une étude d’ampleur publiée en 2018 dans la revue scientifique Neurology (Nouvelle fenêtre) qui montre que le cas de Stéphane Grange est loin d’être isolé. L’article signale qu’un patient sur deux traités par agonistes dopaminergiques développe des troubles du contrôle des impulsions dans les cinq ans. Pour autant, GSK ne prend pas cette étude en compte pour actualiser la notice du Requip. « Je ne suis pas à la place des laboratoires mais on pourrait au moins signaler les chiffres de certaines études pour bien informer la population », commente le Pr Corvol.

Stéphane Grange aimerait justement contraindre le fabricant à avertir plus clairement les patients pour qu’ils prennent réellement conscience de ces risques. D’ores et déjà, la justice a demandé à Jean-Christophe Corvol, justement, en tant que neurologue de référence sur la maladie de Parkinson, de livrer son expertise sur le cas de Stéphane Grange. Dans son rapport, le professeur établit un lien « de causalité et son caractère certain et exclusif entre les troubles du contrôle de l’impulsion et la prise de Requip ».

Le laboratoire a alors proposé à Stéphane Grange une transaction d’un montant de 50 000 euros, assortie d’une clause de confidentialité… Même s’il est toujours endetté, Stéphane Grange a refusé l’offre de GSK. Contactée, la firme n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Pulsions de nourriture

En découvrant le témoignage de Stéphane Grange(Nouvelle fenêtre) sur le site Mediapart, une malade de Parkinson également sous Requip a le sentiment de lire sa propre histoire. Elle a accepté de se confier à condition d’utiliser un nom d’emprunt, Sandrine. « Je suis avec mon compagnon depuis plus de 30 ans. Ça a augmenté les relations sexuelles. J’y pensais vraiment tous les jours, j’essayais d’avoir une relation quotidienne. Au départ ça n’était pas gênant pour moi mais c’est devenu une obsession, le jour, la nuit, partout, dans chaque lieu j’essayais d’avoir une relation sexuelle », lâche-t-elle.

Par ailleurs, elle est prise d’envies irrépressibles de nourriture, des pulsions incontrôlables qui lui font prendre près de 15 kilos en six mois. La quinquagénaire réalise également des achats frénétiques sans aucun sens, comme cette piscine qui envahit tout le terrain familial. Et puis surtout, Sandrine devient addict au casino en ligne. Elle y a perdu toutes ses économies, près de 50 000 euros, et elle a même vidé le compte en banque de son fils.

Comme le révèle la cellule investigation de Radio France, elle aussi a décidé en 2024 d’engager un combat judiciaire contre GSK. Elle souhaite que le laboratoire informe plus clairement sur les risques d’effets indésirables qu’elle n’a pas vus venir. Sandrine est pourtant préparatrice en pharmacie, elle a l’habitude de lire les notices… Alors qu’elle était au bord du suicide, elle s’est enfin confiée à une amie, également du métier, et c’est elle qui a finalement fait le lien entre son comportement et le Requip.

« Serial cat killer »

Le médicament a détruit des vies, des familles, comme celle de ce directeur d’un grand site industriel, au profil plutôt lisse. Il a tout fait pour cacher sa maladie de Parkinson quand elle lui a été diagnostiquée. Le quadragénaire à l’époque en a seulement informé sa femme et son supérieur hiérarchique. Même ses quatre enfants ne sont pas au courant. Au fur et à mesure, son neurologue augmente les doses de Requip : il peut ainsi cacher ses tremblements aux équipes qu’il dirige. Mais il développe des pulsions terribles…

Ce qui le soulage, lui, c’est d’appâter les chats avec des boîtes de pâtés, de les coincer entre ses genoux pour leur disloquer les quatre pattes… Il a accepté de livrer son témoignage à Mediapart(Nouvelle fenêtre) puis à la cellule investigation de Radio France à condition d’utiliser un prénom d’emprunt, Patrick, « dans le but d’aider les malades qui ne savent pas dans quel bourbier ils peuvent se trouver avec ces traitements, que leur famille fasse aussi le lien quand il se passe des événements étranges et que les malades ne disent rien, car ce n’est pas exprimable ».

“Plus les doses de Requip augmentaient, plus l’envie de recommencer à m’en prendre aux chats reprenait, comme une drogue. Je me suis mis à en capturer en pleine journée, même quand j’avais des réunions programmées, je partais avec ma voiture de fonction en chercher.”Patrick, traité avec du Requip

à la Cellule investigation de Radio France

Patrick finit par se faire surprendre en pleine capture de chat et se retrouve en garde à vue. Les propriétaires de chats torturés et les associations de défense des animaux portent plainte. Il est condamné à 18 mois d’emprisonnement. Et sa vie est complètement chamboulée, comme en témoigne l’avocate Dominique Mari qui reprend le dossier après sa condamnation : « il est surnommé dans la presse, dans les réseaux sociaux le ‘serial cat killer’. C’est la descente aux enfers. Dans les jours qui suivent cette condamnation, il va être licencié d’un emploi qu’il occupe depuis plusieurs années et va faire l’objet de menaces. Son image et son nom vont se retrouver publiés dans la presse et sur les réseaux sociaux. Sa famille se trouve menacée à tel point qu’il bénéficie d’une protection de la gendarmerie. »

Les titres de plusieurs articles suite à la condamnation de Patrick à 18 mois de prison, dont 9 ferme. (RAPHAEL CANNESANT / RADIO FRANCE)
Les titres de plusieurs articles suite à la condamnation de Patrick à 18 mois de prison, dont 9 ferme. (RAPHAEL CANNESANT / RADIO FRANCE)

L’avocate s’aperçoit vite que l’enquête n’a pas vraiment cherché à comprendre l’origine du comportement de Patrick. « La justice a été rendue trop rapidement, brutalement, dans un climat d’hystérie. Cet homme sans casier judiciaire s’est retrouvé incarcéré sans que la justice ait pris la peine d’accéder à l’expertise neurologique qui aurait permis d’éclairer le juge sur la question de sa responsabilité pénale », dénonce-t-elle.

Sa défenseuse finit par obtenir l’expertise de neurologues. Elle est capitale puisqu’elle conclut que le comportement de Patrick a été provoqué par le médicament. La cour d’appel retient cette fois l’abolition de son discernement et le déclare irresponsable pénalement de ses actes de cruauté envers les chats. Pour autant, cette histoire a détruit sa vie. Il a déménagé pour protéger sa famille. « C’est comme si je me cachais, je n’ai pas demandé à avoir Parkinson, ni à être drogué, ni à perdre le contrôle de mon cerveau », déplore-t-il. Même si son casier judiciaire a été effacé, il n’arrive pas à conserver ses postes : ses employeurs finissent toujours par retrouver la trace de son histoire passée. Attaquer GSK, le producteur du médicament qui lui a gâché la vie, Patrick y a pensé, mais c’est au-delà de ses forces pour l’heure.

GSK face à la justice

Le combat des deux patients qui ont décidé d’engager une procédure judiciaire contre GSK s’annonce difficile : ça n’est pas la première fois que ce laboratoire a affaire à la justice concernant ce même traitement. Dans les années 2010, un premier patient français s’est attaqué au géant pharmaceutique. Il s’agit de Didier Jambart, un homme marié et à la vie de famille tranquille… Jusqu’à ce qu’il prenne ce médicament, le Requip.

À partir de ce moment-là, il commence à échanger avec des hommes sur internet : il a des relations sexuelles avec eux, des pratiques sadomasochistes… Et comme en plus il est devenu accro aux jeux en ligne, il en profite pour leur dérober leurs numéros de cartes de crédit pour continuer de miser sur internet. Et il va même jusqu’à vendre les jouets de ses enfants. Ruiné, il décide de poursuivre le fabricant du Requip, GSK.

L’avocat de Didier Jambart, Antoine Béguin, installé dans un petit cabinet situé dans une barre d’immeubles des années 1960 d’Angers, reçoit alors plusieurs centaines de documents des avocats du laboratoire. GSK a choisi pour le représenter un grand cabinet international qui a ses bureaux, lui, à deux rues des Champs-Elysées, à Paris. C’est le même qui a défendu le laboratoire Servier, condamné en appel dans le grave scandale du Mediator(Nouvelle fenêtre).

Didier Jambart aux côtés de son avocat Antoine Béguin et de sa femme le 1er février 2011 au tribunal de Nantes. (FRANK PERRY / AFP)
Didier Jambart aux côtés de son avocat Antoine Béguin et de sa femme le 1er février 2011 au tribunal de Nantes. (FRANK PERRY / AFP)

Leur objectif est évidemment de montrer la bonne foi du laboratoire. Et peut-être aussi de noyer un peu l’avocat sous cette masse de documents… Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Parmi ces dossiers, le conseil de Didier Jambart trouve un document interne à GSK qui date d’octobre 2003, intitulé « Ropinirole [le nom de la molécule du Requip, ndlr] – Cas rapportés d’augmentation de la libido ».

Reproduction d’un document interne de GSK datant de 2003 et mentionnant les potentiels effets indésirables du Requip. (-)
Reproduction d’un document interne de GSK datant de 2003 et mentionnant les potentiels effets indésirables du Requip. (-)

Le laboratoire fait état du cas d’un homme de 63 ans sous Requip : « Onze mois après le début du traitement par ropinirole, le patient a commis une agression sexuelle (acte de pédophilie sur une fillette de 7 ans), pour laquelle il a été emprisonné. (…) La dose de ropinirole a été réduite à 6 mg par jour, dans la perspective d’arrêter le traitement. Le problème de libido du patient a ensuite disparu » .

« Cela montre comment GSK minimise les effets indésirables en jouant sur le terme de libido. Ce document prouve qu’en 2003, le laboratoire savait et pourtant, à l’époque où mon client prend le médicament, il n’y a rien », commente l’avocat Antoine Béguin. Il parvient à faire condamner GSK en appel en 2012. En l’occurrence, à verser 200 000 euros d’indemnisations à Didier Jambart. À nos questions, GSK répond simplement qu’« au-delà des informations disponibles dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) [dans la notice, donc NDLR] », il n’a « pas d’autres éléments à partager ».

« Le cauchemar du viol quotidien »

Pendant un temps, la possibilité de recycler le Requip pour qu’il devienne une sorte de stimulant sexuel a même été envisagée. Un chercheur new-yorkais a lancé une étude(Nouvelle fenêtre) en 2006 sur le Requip, non pas pour traiter la maladie de Parkinson mais la dysfonction sexuelle de patients sous antidépresseurs. Le laboratoire GSK est inscrit comme « contributeur » de l’étude. Cela signifie que dès 2006, GSK est au courant que des recherches sont menées pour découvrir si le Requip pourrait devenir une sorte de nouveau Viagra. L’effet secondaire de son médicament anti-parkinsonien est perçu comme positif et ouvre la voie à une nouvelle exploitation commerciale.

Cela n’aura finalement pas lieu mais cela révolte quand même Sophie Maltet, l’avocate des deux malades de Parkinson qui demandent aujourd’hui des comptes à GSK. Elle s’émeut de « cette espèce de cynisme du laboratoire qui semble plus enclin à exploiter la période dite de ‘lune de miel’ de son médicament qui provoque une sexualité exacerbée. On devrait interroger beaucoup plus souvent les conjoints des personnes qui prennent le Requip pour savoir si véritablement cette lune de miel a duré longtemps ou si au contraire, on n’est pas passé dans le cauchemar des agressions sexuelles ou du viol quotidien ».

Une femme sexagénaire, dont le mari malade de Parkinson était sous traitement dopaminergique, a effectivement vécu un calvaire. « Dès le lendemain de la prise du médicament, mon mari qui était devenu très fatigué avec la maladie a retrouvé un punch incroyable. Et c’est comme ça que les viols ont commencé, puisque c’est comme ça que ça s’appelle, même si on n’en parlait pas à l’époque. C’était avant ‘Me too’. J’ai même parlé de ces pulsions sexuelles au médecin qui suivait mon mari. Il m’a répondu  : ‘le mariage, c’est pour le meilleur et pour le pire' » , raconte cette femme à condition de ne pas dévoiler publiquement son identité.

« Les deux dernières années à ses côtés, je dormais en position assise, adossée à des coussins pour pouvoir réagir au quart de tour. Comme je me levais à 4h du matin pour le travail, il m’arrivait de m’endormir après le déjeuner. Et parfois, je me réveillais avec mon mari sur moi en train de baver et de me pénétrer. Il y a une quinzaine d’années, on prescrivait des traitements dopaminergiques sans rien dire, sans prévenir. Le malade ne tremble plus avec son médicament mais la personne à côté, si », déplore celle qui a fini par s’enfuir du domicile conjugal avec sa fille.

« C’est passé inaperçu pendant longtemps »

Ces effets indésirables ont commencé à être repérés après la commercialisation des médicaments dopaminergiques, comme souvent, car les expérimentations menées en amont, dans l’optique d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché sont de courte durée et ne permettent pas de déceler tous les risques des traitements.

Ces expérimentations sont financées par les laboratoires : elles ont avant tout pour but de prouver l’efficacité du médicament. Olivier Rascol est neurologue au CHU de Toulouse. Il reconnaît avoir été rémunéré par GSK pour mesurer les bénéfices et les risques du Requip à la fin des années 1990. « Nous, médecins, nous ne recherchions pas les effets indésirables liés aux troubles du contrôle des impulsions parce que nous n’avions pas connaissance qu’il y en avait. C’est passé inaperçu pendant longtemps mais aujourd’hui, ils sont indiscutables et documentés », admet-il.

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) n’a pas souhaité répondre à nos demandes d’interview. Elle nous a toutefois envoyé des éléments écrits comme la date à laquelle elle a reçu un premier signalement de trouble du contrôle des impulsions sous un médicament de la famille des dopaminergiques, 1986 en l’occurrence et 2006 pour le Requip. Elle précise aussi qu’en 2009, elle a diffusé un point d’information(Nouvelle fenêtre) accompagné d’une lettre aux professionnels de santé alertant sur le risque de troubles du contrôle des impulsions liés aux traitements dopaminergiques. En 2011, l’Agence du médicament a aussi élaboré un document à destination des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, diffusé au sein des pharmacies et des associations de patients. Mais ce document est épuisé et n’a pas été actualisé depuis 2016.

Alerter les prescripteurs

En tout cas, avant la fin des années 2000, des patients ont pris ces médicaments sans mise en garde. Le neurologue d’Henri David, 76 ans, lui a prescrit de 1982 à 2008 une large gamme de traitements, et notamment des agonistes dopaminergiques tels que le plus consommé en France, le Sifrol. 131  000 malades français prennent ce médicament qui contient du pramipexole. Sa médecin l’avait également mis sous des médicaments à base de piribédil ou de bromocriptine… Sans l’informer des risques de développer des troubles du contrôle des impulsions.

Henri David. (ROZENN LE SAINT / RADIO FRANCE)
Henri David. (ROZENN LE SAINT / RADIO FRANCE)

Quand ses doses sont augmentées, c’est le début d’une activité nocturne qu’il a longtemps tue. Il disait à sa femme qu’il partait jouer aux cartes. « Je prenais ma voiture le soir et très souvent, je faisais des centaines de kilomètres habillé en femme dans ma voiture sans savoir où j’allais. Ça me faisait plaisir et j’ai dépensé un fric dingue avec ça. Je me travestissais mais pas avec des vêtements de merde. Avec ce qu’il y avait de mieux, des chaussures à talons… Au départ, j’achetais de la lingerie puis ça a débordé, j’achetais des jupes, des vêtements féminins », raconte-t-il.

Au hasard d’une rencontre, il apprend que ses troubles peuvent être liés aux médicaments dopaminergiques. Sa femme comprend alors enfin ce qu’il se passe et décide de le soutenir. Après 53 ans de mariage, elle est toujours à ses côtés. Sous ces traitements, Henri David a vendu sa maison, il a quitté son travail, s’est lancé dans des investissements démesurés, s’est considérablement endetté.

Par la suite, il a contacté l’avocat angevin Antoine Béguin, qui a reçu en tout quelque 250 témoignages après sa victoire historique face à GSK dans l’affaire Didier Jambart. En 2014, Henri David a obtenu la condamnation de sa neurologue pour défaut d’information.

France Parkinson : « alerter sans affoler »

Henri David en veut à France Parkinson, la principale association de patients, de ne pas avoir tiré la sonnette d’alarme plus tôt. À l’époque, il s’étonne de voir le logo de GSK, notamment, sur les supports de communication de l’association. Et pour cause, le laboratoire en était l’un des sponsors. France Parkinson a reçu de l’argent de la part de GSK, le fabricant du Requip, en l’occurrence, 10 000 à 15 000 euros par an entre 2009 et 2014, donc même après la condamnation du laboratoire.

Encore aujourd’hui, sur la page dédiée aux traitements médicamenteux sur le site(Nouvelle fenêtre) de France Parkinson, il est écrit que les agonistes dopaminergiques peuvent provoquer des effets indésirables, « notamment des changements de comportement qu’il faut alors signaler au neurologue » mais pour obtenir davantage de précisions, il faut vraiment fouiller. Sa directrice générale, Amandine Lagarde, l’admet et entend rendre davantage accessible l’information sur ces risques de développer des addictions. Néanmoins, elle souligne : « Notre rôle, c’est d’alerter, de soutenir mais on veut alerter sans affoler. Le but n’est pas de faire peur aux personnes ».

Affiche de l’association France Parkinson le 28 février 2023 à Belfort. (MICHAEL DESPREZ / MAXPPP)
Affiche de l’association France Parkinson le 28 février 2023 à Belfort. (MICHAEL DESPREZ / MAXPPP)

À ses yeux, la position de France Parkinson n’est pas liée aux financements toujours perçus par l’association de la part de fabricants dopaminergiques, en l’occurrence, 600 000 euros de 2009 à aujourd’hui. En tout, l’industrie pharmaceutique a dépensé pour elle plus de 400 000 euros depuis 2019, selon Euros For Docs(Nouvelle fenêtre), qui reprend les données de la base publique Transparence Santé(Nouvelle fenêtre).

Adapter les dosages

Il est fréquent que les associations de patients acceptent de l’argent de la part de l’industrie pharmaceutique. Certaines sont donc parfois prudentes quand il s’agit de critiquer les médicaments, surtout quand il n’y en a pas d’autres sur le marché… Et même s’ils provoquent de graves effets indésirables.

« Il n’y a pas tellement d’alternatives. Le meilleur traitement du Parkinson, c’est le traitement de remplacement dopaminergique. Quand on ne peut plus utiliser les agonistes, on utilise un autre traitement dopaminergique, la lévodopa. Et dans certains cas un peu spécifiques, on peut avoir recours à la stimulation cérébrale profonde avec des espèces de pacemakers du cerveau qui permettent d’avoir le même effet que la lévodopa mais de façon continue », indique Jean-Christophe Corvol. L’activité physique et la kinésithérapie font également leurs preuves mais bien souvent, elles ne suffisent pas à contrôler les mouvements.

De la part des neurologues, les prescriptions doivent être faites sur-mesure. « Il m’est arrivé d’adapter le dosage du traitement dopaminergique en fonction de ce que le patient dépensait en jeux de grattage », témoigne le professeur Corvol. Pour aider les neurologues à mieux s’apercevoir des risques d’addictions et à adapter les traitements, son équipe a mis au point un algorithme de prédiction des profils les plus à risque d’en développer, notamment en fonction de l’âge ou des dosages, à l’aide de l’intelligence artificielle. Le dispositif est testé à partir de 2025 et les résultats ne sont pas attendus avant trois ou quatre ans.

Avec également comme objectif d’informer encore davantage sur les traitements anti-parkinsoniens… D’autant plus que le nombre de personnes atteintes par la maladie de Parkinson ne cesse d’augmenter, compte tenu du vieillissement de la population. Et aussi parce que l’exposition aux pesticides favorise(Nouvelle fenêtre) son développement.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Dernières nouvelles