Loin d’être anodin, cet événement a signé la petite mort de l’URSS et le triomphe du «capitalisme bourgeois» à la sauce américaine.
Au cœur de Moscou, sur la place Pouchkine recouverte d’une légère neige, des centaines de Moscovites attendent avec impatience leur premier hamburger. «Si vous ne pouvez pas aller en Amérique, venez au McDonald’s de Moscou», annonçait la chaîne dans sa première publicité télévisée. Les file d’attente se forment dès 4h du matin. Ce 31 janvier 1990, McDonald’s s’apprête à ouvrir son premier restaurant en Union soviétique, un moment historique pour la ville.
D’ordinaire, les longues queues devant les magasins moscovites signalent une pénurie, mais ici, l’atmosphère est électrique, remplie d’anticipation. «On a l’habitude de patienter, parfois pendant des jours», confie un client, témoignant du manque de fast-foods en URSS. Pour cette journée, McDonald’s a préparé son ouverture avec soin : 700 places intérieures, 200 extérieures, 630 employés recrutés sur 30.000 candidatures, et des stocks remplis. Cette ouverture à Moscou, véritable emblème du communisme, marque une évolution inattendue.
Venez comme vous êtes (même communiste)
Lorsque les portes s’ouvrent enfin à 10h, les Moscovites se précipitent vers les caisses, fascinés par un menu vibrant de couleurs. Les nuances éclatantes de rouge et de jaune, si contrastées avec l’ambiance monochrome de la ville, paraissent presque irréelles. «Les restaurants soviétiques sont souvent critiqués pour leur service peu accueillant et leur hygiène défaillante», raconte un journaliste du Washington Post présent ce jour-là. Une fois servis, les clients affichent des sourires radieux, satisfaits par l’efficacité du service et la variété des plats. Les hamburgers et les frites se vendent comme des petits pains, offrant un goût de luxe et d’interdit au quotidien morose des cantines publiques.
À la fermeture de ce premier jour, les chiffres sont impressionnants : 34.000 hamburgers ont été servis. Un signe révélateur du changement de paradigme? Le New York Times voit en cet événement un bouleversement majeur, titrant «Bouleversement à l’Est: McDonald’s ouvre à Moscou». En France, la télévision couvre l’événement en le qualifiant de «révolution culturelle entre deux tranches de pain». La présence de ces arches dorées à proximité du Kremlin symbolise une rupture dans les relations Est-Ouest, préfigurant un avenir incertain.
UN BIG MAC CHEZ LES SOVIETS – Le 30 janvier 1990, le premier McDonald’s d’URSS ouvre à Moscou. Éminemment symbolique, cet événement incarne l’ouverture du pays au capitalisme. Plus d’infos dans notre contexte historique :
➡️ https://t.co/xoBLh3ClZp pic.twitter.com/yohHINVQo1— LumniEnseignant (@LumniEnseignant) January 30, 2021
Merci Gorbatchev?
L’ouverture de McDonald’s en Union soviétique est emblématique des réformes initiées par Mikhaïl Gorbatchev, un tournant après des années de rigidité. En introduisant la glasnost et la perestroïka, Gorbatchev a ouvert la voie à une certaine démocratie économique et à une libéralisation sans précédent. McDonald’s, en s’installant près de la place Rouge, incarne cette transformation. De plus, Gorbatchev lui-même a été impliqué dans les négociations qui ont permis cette ouverture.
Si Pepsi-Co avait déjà fait son entrée en 1972 avec un échange historique, l’ouverture d’un McDonald’s, allié à l’image du capitalisme américain, a provoqué un séisme géopolitique. Les chiffres en témoignent : McDonald’s aura servi 80 millions de clients soviétiques et russes au cours de ses cinq premières années. Un nombre impressionnant, supérieur au total de visiteurs au mausolée de Lénine, situé à proximité.
Les prévisions des observateurs se concrétisent lorsque, en 1991, le modèle soviétique s’effondre. Le 26 décembre, l’URSS est dissoute et Gorbatchev démissionne. Même s’il tentera de revenir sur le devant de la scène politique en 1996, les résultats seront désastreux. Toutefois, sa réputation sera réhabilitée quelques années plus tard lors d’une publicité pour Pizza Hut, une autre chaîne de restauration rapide américaine, rendant hommage à son héritage inexorable dans l’histoire alimentaire mondiale. , rapporte TopTribune.