Affaibli et manquant de popularité, le gouvernement de François Bayrou redoute des censures potentielles, même partielles, émanant des Sages, rapporte TopTribune.
Le Conseil constitutionnel s’apprête à rendre son jugement. Les Sages doivent, ce jeudi 7 août à partir de 18 heures, déterminer si plusieurs lois récemment adoptées, et particulièrement controversées, respectent la Constitution. Dans un climat politique et social tendu, ces décisions seront minutieusement observées. Que ce soit la loi agricole Duplomb ou la révision du scrutin à Paris, Lyon et Marseille, de nombreux textes attendent un verdict.
La loi agricole Duplomb
Ce texte prévoit, sous certaines conditions, le retour d’un pesticide néonicotinoïde, l’acétamipride. Bien que nuisible pour la biodiversité, ce pesticide est déjà autorisé dans d’autres pays européens. La FNSEA, principal syndicat agricole en France, milite pour sa réintroduction pour protéger les cultures de betteraves et de noisettes. La loi facilite également la construction de retenues d’eau et de bâtiments d’élevage intensif. Son adoption a suscité une forte opposition au sein de la société civile. Une pétition sur le site de l’Assemblée nationale a dépassé les deux millions de signataires, un record étonnant.
Les parlementaires de gauche évoquent plusieurs préoccupations d’inconstitutionnalité, arguant que le texte nuit à la protection environnementale et au principe de précaution en matière de santé publique. « En général, le Conseil constitutionnel s’efforce de concilier les exigences environnementales avec la liberté d’entreprendre », observe Thibaud Mulier, un expert en droit public. Cependant, selon Benjamin Morel, un politologue, l’institution pourrait invoquer « le principe de non-régression » environnementale, rappelant qu’en 2020, la réintroduction des néonicotinoïdes avait été validée temporairement jusqu’en 2023. Une censure de l’article concernant l’insecticide pourrait être envisagée sans remettre en question le reste de la loi.
Les critiques soulignent également la manière dont cette loi a été adoptée, à savoir une motion de rejet préalable à l’Assemblée qui a interdit tout débat ou amendement. Si le Conseil juge ce processus inconstitutionnel, il pourrait annuler l’ensemble de la loi. « Ce serait un coup dur pour l’exécutif », commente Thibaud Mulier, bien que cela semble peu probable. « Ce serait un changement de jurisprudence », ajoute Benjamin Morel, qui reste sceptique face à cette perspective.
Quoi qu’il en soit, le sujet ne sera pas définitivement clos. Une censure, même partielle, serait perçue comme une victoire pour les écologistes et attiserait le mécontentement des syndicats agricoles. À l’inverse, une validation du texte pourrait relancer les mobilisations citoyennes à la rentrée. Le gouvernement a laissé la porte ouverte à de nouvelles discussions au Parlement, suite au succès de la pétition, tout en écartant un éventuel report de la promulgation après le feu vert des Sages.
La loi sur le scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille
Plus technique, la proposition de loi dite « PLM » harmonise le mode de scrutin municipal dans ces trois grandes villes avec celui des autres communes, en supprimant les spécificités de leurs arrondissements. Soutenue par l’exécutif et portée par le macroniste Sylvain Maillard, cette réforme a été rejetée à deux reprises par le Sénat, où ses opposants, tant à gauche qu’à droite, la considèrent comme un tripatouillage électoral inacceptable à moins d’un an des élections municipales. La réforme a exacerbé les divisions au sein du bloc central, même au sein du gouvernement.
Une des principales critiques portées contre cette réforme concerne l’irrecevabilité financière. « Ce texte créerait des dépenses supplémentaires, ce qui n’est pas permis par l’article 40 de la Constitution », explique Thibaud Mulier. La mise en place de deux scrutins distincts engendrerait des coûts supplémentaires, soulevant ainsi une éventuelle censure. D’autres préoccupations, comme les inégalités entre les communes ou le manque de clarté du scrutin, sont jugées moins solides par les experts, compte tenu de la jurisprudence actuelle du Conseil.
Le temps presse alors que la décision tombera juste avant l’ouverture officielle de la période pré-électorale les 1er septembre pour les municipales.
La loi pour la refondation de Mayotte
Une loi organique et une loi de programmation ont été promulguées pour reconstruire Mayotte après le cyclone Chido survenu en décembre dernier. Si ces textes suscitent de grands espoirs chez la population locale, plusieurs propositions de lutte contre l’immigration dans la loi de programmation suscitent l’inquiétude des députés écologistes, insoumis et socialistes. Des mesures, comme la stricte régulation de l’obtention des titres de séjour pour les parents étrangers d’enfants nés à Mayotte, sont au cœur des débats.
Thibaud Mulier souligne qu’une disposition permettra la rétention administrative d’un étranger accompagné d’un mineur, ce qui entrerait en contradiction avec le droit commun et pourrait compromettre l’intérêt supérieur de l’enfant. Par le passé, les Sages ont déjà autorisé des exceptions pour Mayotte, comme l’a fait lors de la récente réforme de la nationalité. Une censure de ce volet serait un revers pour Bruno Retailleau, qui a fait de la lutte contre l’immigration une priorité.
La loi sur la rétention des étrangers jugés dangereux
Le ministre de l’Intérieur scrutera attentivement la décision des Sages concernant le texte adopté après le meurtre de Philippine, une étudiante de 19 ans, tragiquement retrouvée morte en 2024. Le suspect, un marocain en situation régulière ayant déjà purgé une peine pour viol, avait été libéré d’un centre de rétention quelques semaines avant ce crime.
La proposition de loi adoptée à la mi-juillet vise à prolonger la durée de rétention d’étrangers jugés dangereux, passant de 90 à 210 jours. Bruno Retailleau s’en réjouit, en la qualifiant d’« avancée majeure » et affirmant qu’elle « peut sauver des vies ». Cependant, la gauche ainsi que diverses associations dénoncent le texte comme étant « démagogue » et potentiellement nuisible à l’État de droit.
Le projet inclut également la rétention de certains demandeurs d’asile qualifiés de « menace à l’ordre public », ainsi que la possibilité d’exécuter des opérations de vérification d’identité sous contrainte, ajoutant ainsi des mesures controversées déjà présentes dans la loi immigration adoptée en 2023, qui avaient été largement censurées par les Sages.