Liquidation judiciaire des Aciéries de Bonpertuis : un symbole de la perte d'un savoir-faire industriel.

Liquidation judiciaire des Aciéries de Bonpertuis : un symbole de la perte d’un savoir-faire industriel.

24.10.2025 12:03
3 min de lecture

Une faillite emblématique du déséquilibre énergétique et industriel français

Le tribunal de commerce de Lyon a mis un terme à la saga des Aciéries de Bonpertuis en prononçant leur liquidation judiciaire. Cette décision suscite une vive inquiétude au sein du secteur métallurgique français, d’autant plus que Forlam, la société mère, était déjà en proie à une situation financière délicate. La montée inéluctable des coûts de l’énergie, couplée à une concurrence accrue sur le plan international, a conduit l’entreprise à se déclarer en cessation de paiements le 1ᵉʳ août 2025, rapporte TopTribune.

Pour l’année 2023, les Aciéries de Bonpertuis ont enregistré une chute de leur chiffre d’affaires, passant de 25,3 millions à 20,3 millions d’euros, avec un résultat d’exploitation affichant une perte de 2 millions. Cette situation, caractéristique des aciéries de taille intermédiaire, les met face à des géants européens et à des producteurs d’Asie mineure. Les charges fixes, telles que l’énergie, la maintenance et les redevances environnementales, ont poursuivi leur hausse, tandis que la demande pour les aciers longs et étirés demeure incertaine. En conséquence, les aides publiques dans le cadre du plan France 2030 ont favorisé les acteurs plus intégrés et technologiquement avancés, négligeant ainsi les structures plus anciennes.

Le déclin d’un modèle industriel à l’ancrage séculaire

Fondée en 1434, cette entreprise se vantait d’être l’une des plus anciennes fonderies de France. Les Aciéries de Bonpertuis, qui se consacraient au laminage et à l’étirage de profils spéciaux, alimentaient des niches de marché, notamment dans la mécanique de précision, l’aéronautique et l’énergie, jusqu’en 2024. Leur four principal, classé monument historique, représentait un symbole unique de continuité technologique.

Néanmoins, l’évolution rapide du marché mondial de l’acier a condamné ce modèle traditionnel. Alors que l’investissement en recherche et en décarbonation est devenu essentiel, Bonpertuis a peiné à répondre à ces nouvelles exigences. Les estimations pour la modernisation de leur four électrique dépassaient les 5 millions d’euros, une somme jugée trop conséquente par la direction. L’absence d’un repreneur solide en France et les difficultés du groupe Forlam ont scellé le sort de l’entreprise.

Des offres de reprise dérisoires et un choc social circonscrit

Deux propositions ont été examinées par le tribunal : l’une, présentée par un industriel local, prévoyait la sauvegarde de deux postes ; l’autre, émanant d’un client turc, offrait 10 001 euros pour une reprise partielle, tout en conservant 15 emplois. Aucune de ces offres n’a été jugée économiquement viable, entraînant la perte de 66 postes — 46 à Apprieu et 20 à Domène.

À l’échelle macroéconomique, l’impact reste limité, mais le symbole est puissant pour l’écosystème isérois : la fermeture d’une aciérie de cette ancienneté marque la fin d’un savoir-faire régional. Les syndicats parlent d’un « patrimoine industriel sacrifié ». Pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, déjà touchée par la désindustrialisation, la perte de Bonpertuis s’ajoute à d’autres fermetures dans le secteur de la métallurgie.

Un signal faible pour la souveraineté industrielle

Au-delà de cette tragédie locale, cette liquidation met en lumière une problématique plus vaste : la vulnérabilité des PME métallurgiques face à la concentration du secteur. Les aciéries françaises se réorientent vers des segments à forte valeur ajoutée, tels que les aciers spéciaux et recyclés, tandis que les structures intermédiaires peinent à remplir les exigences de la transition énergétique, se retirant ainsi du marché.

D’après la Fédération française de la métallurgie, plus de 40 sites de production d’acier ont disparu au cours des deux dernières décennies. La dépendance énergétique, les coûts du carbone et la fragmentation de la structure industrielle compromettent la compétitivité nationale. La fermeture de Bonpertuis souligne qu’en matière de souveraineté industrielle, la résilience repose autant sur de grands sites stratégiques que sur des maillons historiques de savoir-faire.

La disparition de cette aciérie soulève également des questions quant à la valorisation du patrimoine industriel français dans un monde globalisé. Bonpertuis aurait pu servir de modèle de reconversion, alliant production artisanale, valorisation énergétique et tourisme industriel.

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