Le développement des stablecoins, largement soutenus par l’administration Trump, suscite des inquiétudes au sein de l’Union européenne. Alors que ces actifs numériques promettent de transformer les transactions monétaires en contournant les intermédiaires financiers traditionnels, l’UE accuse un retard par rapport à l’hégémonie américaine. Actuellement, 99% des stablecoins sont adossés au dollar, offrant des paiements rapides et sûrs, mais augmentant ainsi la dépendance à la monnaie américaine, rapporte TopTribune.
Dans une note récente, Jürgen Schaaf, expert de la Banque centrale européenne (BCE), a exprimé ses préoccupations quant à « une menace potentielle pour la souveraineté de la politique monétaire » de l’UE en cas d’adoption généralisée des stablecoins dans la zone euro. Les inquiétudes se sont intensifiées suite à l’adoption par les États-Unis cet été du « Genius Act », une loi favorisant la création de stablecoins en dollars, visant à renforcer leur position sur ce marché en pleine expansion.
« Intérêts financiers américains »
Reposant sur la technologie blockchain, les stablecoins permettent de réduire les frais de transaction financière. Ces actifs, initialement perçus comme des refuges dans un marché volatile, voient leur utilisation s’élargir, avec une capitalisation qui a bondi à 246 milliards de dollars, contre seulement 20 milliards en 2020. Selon des prévisions citées par la BCE, cette capitalisation pourrait atteindre « 2.000 milliards en 2028 ». Hubert de Vauplane, associé du cabinet d’avocats Morgan Lewis, souligne que les stablecoins « s’imposent dans les paiements internationaux », entraînant une réduction drastique des coûts par rapport aux solutions traditionnelles.
Les travailleurs immigrés recourent également de plus en plus aux stablecoins pour envoyer des fonds à leur famille. Cependant, Victor Warhem, économiste de la Joint European Disruptive Initiative, met en garde contre le fait que cette technologie « sert pour le moment les intérêts financiers américains ». Les émetteurs de stablecoins doivent détenir des dollars, souvent investis dans des obligations américaines, contribuant ainsi au financement de la dette des États-Unis.
Cette situation explique la volonté de Donald Trump de promouvoir ce marché. En 2024, Tether, le principal émetteur de stablecoins, a acquis 33,1 milliards de dollars d’obligations américaines, surpassant même certaines institutions étrangères. Anne Maréchal, associée au cabinet De Gaulle Fleurance, souligne que l’absence de stablecoins en euros signifie que « l’épargne des Européens financera donc toujours plus la dette américaine ».
Euro numérique ou stablecoins européens?
Les grandes entreprises technologiques s’intéressent également aux stablecoins afin d’éliminer les intermédiaires tels que Visa et Mastercard dans le commerce en ligne. Amazon, Uber et Apple envisagent le développement de leurs propres stablecoins en dollars. Shopify, acceptant les paiements en stablecoins depuis juin, pourrait voir ces tendances menacer la position de l’euro. Aurore Lalucq, députée européenne, s’alarme : « Que des acteurs américains, déjà hégémoniques, puissent battre la monnaie, c’est un vrai recul démocratique. »
En réponse à cette dynamique, l’UE a introduit en 2024 un cadre juridique limitant l’émission et l’utilisation de stablecoins en dollars, bien que cela n’ait pas encore stimulé le développement de stablecoins en euros. Les autorités restent prudentes face à ce qu’elles considèrent comme une « privatisation » de la monnaie, comme l’a souligné Christine Lagarde, présidente de la BCE.
La BCE privilégie actuellement son projet d’euro numérique, qui pourrait offrir une alternative accessible à tous. Toutefois, les banques se montrent réticentes, craignant une perte de rentabilité. Parallèlement, plusieurs institutions européennes, telles que Société Générale et Deutsche Bank, lancent des initiatives de stablecoins pour rattraper leur retard. Anne Maréchal insiste sur le fait que « sans un signal de la BCE en faveur du développement du stablecoin, on ne défendra pas notre souveraineté ». Aurore Lalucq conclut que « la monnaie est une institution d’intérêt général, et les décisions doivent être prises en ce sens ».