Plusieurs des plus grands groupes industriels russes ont réduit leur semaine de travail à trois ou quatre jours. Présentée par les autorités comme une évolution « moderne » du marché du travail, cette mesure révèle en réalité une crise économique profonde qui fragilise les piliers de l’industrie nationale. Pour l’économie russe, il s’agit d’un signal alarmant — le signe avant-coureur d’un affaiblissement durable de la production et de l’emploi.
Le secteur des machines agricoles en forte baisse
Les producteurs russes de machines agricoles, dont Rostselmash, sont passés à une semaine de trois jours en raison d’une chute brutale de la demande. L’entreprise a annoncé en août que sa production annuelle tomberait à seulement 2 700 moissonneuses-batteuses et 800 tracteurs — bien en dessous des niveaux précédents. Les ventes d’équipements agricoles nationaux ont reculé de 30 % en valeur sur les sept premiers mois de 2025, tandis que les ventes de moissonneuses ont été divisées par deux. Les programmes publics d’aide n’ont pas permis de compenser cette chute.
Le Kirov Tractor Plant a également enregistré une baisse de production de 20 à 25 %, envoyant des centaines d’employés en congé prolongé et réduisant les horaires de travail. Les exploitants agricoles signalent qu’ils ne peuvent plus renouveler leurs équipements faute de rentabilité suffisante.
L’automobile plombée par la chute de la demande
Dans le secteur automobile, KamAZ, premier constructeur de camions du pays, a réduit ses semaines de travail en août, après un effondrement de près de 60 % de la demande pour les poids lourds en un an. L’accumulation de stocks de véhicules importés ou en leasing aggrave encore la situation.
De son côté, AvtoVAZ, fabricant des célèbres voitures Lada, est passé à une semaine de quatre jours en octobre. Malgré les mesures de protection de l’État, les ventes de Lada ont chuté d’environ 25 % sur les neuf premiers mois de 2025, sous la pression d’une concurrence chinoise accrue. La hausse des taux d’intérêt et la contraction du crédit limitent encore davantage la demande. L’entreprise prévoit de maintenir ce régime de travail réduit pendant au moins six mois.
D’autres secteurs également touchés
La réduction du temps de travail s’étend à d’autres branches industrielles, notamment la métallurgie, le ciment et le transport ferroviaire. Parmi les exemples récents :
- Usine électrométallurgique de Tcheliabinsk : réduction des heures pour 1 200 employés ;
- Usines de moteurs de Iaroslavl et d’équipements Diesel : plusieurs milliers de salariés concernés ;
- Tikhvin Wagon Works : 7 000 employés en horaires réduits jusqu’en novembre.
Les justifications officielles évoquent des « ajustements de marché » ou la « protection de l’emploi », mais ces semaines écourtées s’accompagnent souvent d’une baisse de salaire, de la suppression des primes et d’une réduction des avantages sociaux — une forme déguisée de licenciement sans en porter le nom.
Le discours officiel s’oppose à la réalité économique
Les responsables russes présentent parfois cette évolution comme une réforme du travail inspirée des expériences occidentales de la semaine de quatre jours, censées améliorer la productivité et le bien-être des employés. En pratique, il s’agit d’une mesure de survie. Pour de nombreuses entreprises, la réduction du temps de travail vise à éviter la fermeture pure et simple ou des vagues de licenciements massifs tout en diminuant les coûts. Cette dissimulation du chômage crée l’illusion d’un marché du travail stable, alors que la contraction est bien réelle.
Un avertissement sur la fragilité structurelle de l’économie russe
Pour les observateurs extérieurs, cette tendance illustre des failles profondes :
- L’industrie lourde russe s’enfonce dans un déclin structurel plutôt que dans un simple ralentissement conjoncturel ;
- La généralisation des semaines raccourcies révèle une économie sous tension prolongée ;
- La militarisation croissante de la production et la réallocation des ressources au détriment du secteur civil compromettent la capacité industrielle à long terme ;
- Les statistiques officielles minimisent vraisemblablement l’ampleur du chômage et de la récession.
Un message clair pour l’Europe
Pour le grand public européen, cette évolution n’est pas une expérimentation volontaire du travail moderne : elle traduit un affaiblissement économique, un chômage dissimulé et un déclin industriel.
Pour les décideurs, la réduction du temps de travail dans les entreprises phares russes sonne comme un avertissement d’effondrement systémique, aux répercussions potentielles sur les chaînes d’approvisionnement et la stabilité géopolitique.
Pour les économistes, elle met en lumière l’interaction entre la politique industrielle, les sanctions économiques et la transformation du marché du travail en Russie.
Une réforme de façade qui masque une crise profonde
La transition vers des semaines de trois ou quatre jours en Russie n’a rien d’une innovation sociale. Elle traduit la difficulté croissante des industries à survivre dans un contexte de demande en chute, de ressources limitées et de sanctions persistantes. Loin d’un progrès, cette évolution marque un repli économique durable et pourrait annoncer une phase de désindustrialisation accélérée. Pour l’Europe, c’est un indicateur de la fragilité du modèle économique russe et du risque de déclin à long terme.