Les établissements financiers craignent une crise systémique dans les 12 mois
MOSCOU – Plusieurs hauts responsables du secteur bancaire russe tirent la sonnette d’alarme : une crise de la dettepourrait frapper le pays dans l’année à venir si la situation économique continue de se détériorer. Selon des documents internes consultés par Bloomberg News, les banques constatent une montée inquiétante des prêts non remboursés, aussi bien chez les particuliers que dans les entreprises, en raison de taux d’intérêt historiquement élevés.
Des responsables en poste et anciens cadres du secteur, s’exprimant sous anonymat, décrivent une situation financière fragile et soulignent les risques croissants d’un effet domino dans tout le système bancaire russe. Cette pression accrue alimente les inquiétudes sur la capacité du président Vladimir Poutine à maintenir l’effort de guerre contre l’Ukraine, notamment si de nouvelles sanctions occidentales viennent frapper plus durement le secteur financier russe.
Des défauts de paiement sous-estimés par les données officielles
Selon une note confidentielle d’une grande banque russe, le problème serait largement dissimulé par les chiffres publics. De nombreux emprunteurs diffèrent leurs paiements, ce qui masque l’ampleur réelle des retards. En interne, les banques estiment que les créances douteuses atteignent des milliers de milliards de roubles. L’un des indicateurs cités montre une contraction de 1 500 milliards de roubles (environ 19 milliards de dollars) dans le portefeuille de prêts aux entreprises au cours des deux premiers mois de 2025, avant une légère stabilisation.
Une étude publiée en mai par l’agence de notation ACRA prévient qu’environ 20 % du capital du secteur bancairedépend de débiteurs dont la solvabilité est sérieusement menacée par les taux élevés. Dans le même temps, un rapport de la Banque centrale souligne des “vulnérabilités” liées aux risques de crédit et à la concentration excessive des prêts aux grandes entreprises.
Avertissements publics et tensions au sommet
Les tensions sont apparues au grand jour lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg la semaine dernière. Le ministre de l’Économie, Maksim Rechetnikov, a reconnu que la Russie est “au bord de la récession”, tandis que la gouverneure de la Banque centrale, Elvira Nabiullina, évoquait un “refroidissement nécessaire” de l’économie. Le ministre des Finances, Anton Silouanov, a admis que le pays traverse “une période difficile”.
Le lendemain, Vladimir Poutine a tenté de rassurer, tout en reconnaissant indirectement les signaux négatifs : “Nous ne devons en aucun cas permettre la stagnation ou la récession”, a-t-il déclaré lors d’un discours au forum.
Des performances en trompe-l’œil
En apparence, la Russie continue de défier les sanctions occidentales. Les banques ont affiché des profits records de 3 800 milliards de roubles en 2024, selon la Banque centrale. L’économie a progressé de 4,5 % en 2024, bien que la croissance ait ralenti à 1,4 % au premier trimestre de 2025.
Mais ces performances masquent une économie à deux vitesses. Tandis que le complexe militaro-industriel profite d’une injection massive de fonds publics, de nombreuses entreprises privées font face à une baisse de la demande intérieure, une hausse des coûts et une dégradation des exportations.
L’inflation, stimulée par les pénuries de main-d’œuvre dues à la mobilisation militaire et par la hausse des salaires, a dépassé 10 % en rythme annuel. En réaction, la Banque de Russie a porté son taux directeur à un niveau record de 21 %en octobre, avant de l’abaisser prudemment à 20 % ce mois-ci.
Risques systémiques identifiés par les experts
Un rapport du Centre d’analyse macroéconomique et de prévision à court terme, proche du gouvernement, estime qu’il existe une “probabilité modérée” de crise bancaire systémique d’ici avril 2026. Ce risque pourrait s’accroître si les banques continuent de restreindre l’octroi de nouveaux crédits et si le volume de prêts défaillants continue d’augmenter.
D’après ce même rapport, plusieurs secteurs clés comme la construction et l’industrie montrent des signes d’essoufflement. Même les branches liées à l’effort de guerre commencent à ralentir.
La Banque centrale tempère ces inquiétudes, affirmant que “le secteur bancaire reste globalement résilient” et que le taux de prêts problématiques demeure inférieur à celui observé entre 2014 et 2016, lors des premières sanctions liées à l’annexion de la Crimée.
Mais à mesure que les prêts accordés pour soutenir l’économie de guerre deviennent difficiles à recouvrer, les fissures dans le système bancaire deviennent de plus en plus visibles — et de plus en plus difficiles à ignorer.