Le 18 juillet 2025, le comité de la Douma d’État chargé de la défense a adopté en première lecture un projet de loi prévoyant des avantages sociaux pour les compagnes non mariées des militaires russes engagés dans la guerre contre l’Ukraine. L’initiative, portée par un groupe parlementaire dirigé par le président de la Douma Viatcheslav Volodine, a reçu un appui inattendu mais décisif de la part de l’Église orthodoxe russe, qui a pour la première fois reconnu les relations conjugales de fait comme méritant une reconnaissance légale — mais uniquement pour les soldats de la « SVO ».
L’appui du patriarche Kirill ouvre la voie à une rupture doctrinale
Dans une lettre officielle adressée à la Douma, le patriarche Kirill a personnellement exprimé son soutien au projet de loi, saluant l’initiative présidentielle qui entend accorder un « paquet de garanties sociales » aux compagnes civiles et enfants des soldats tombés, à l’instar des décrets pris pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette prise de position marque une volte-face spectaculaire : jusque-là, l’Église dénonçait le concubinage comme un « péché » et un symptôme de la « décadence morale ».
Le 17 juillet, la responsable du département juridique du Patriarcat de Moscou, l’igoumène Ksenia (Tchernéga), a confirmé que l’Église apportait son soutien à la reconnaissance légale des « unions de fait » des soldats morts dans la SVO — une position inimaginable il y a encore quelques mois.
Une loi d’exception pour une guerre d’exception
Le texte législatif vise à étendre certains avantages aux veuves et compagnes civiles de soldats morts ou portés disparus au combat, sans pour autant aller jusqu’à une équivalence complète avec le mariage. Il s’agit selon ses auteurs de protéger les membres des familles de facto des militaires, face aux conséquences directes de la guerre. Comme le rappelle ce résumé parlementaire, le texte pourrait être adopté en seconde lecture dans les prochaines semaines.
Mais ce soutien religieux — limité aux seuls cas des militaires impliqués dans la SVO — soulève des critiques acerbes. Pour de nombreux observateurs, l’Église transforme sa morale en outil politique, adaptant ses dogmes en fonction des priorités du Kremlin. La reconnaissance des unions civiles, hier considérées comme une abomination, devient aujourd’hui une mission sacrée — tant que cela sert les objectifs militaires de l’État.
Une Église au service de la mobilisation
Cette dérive n’est pas nouvelle. Depuis le début du conflit en Ukraine, le patriarche Kirill est devenu l’un des piliers de la légitimation religieuse de la guerre. Il a béni les armes, les soldats, et maintenant les relations extraconjugales, si elles peuvent contribuer à soutenir l’effort de guerre. Cette instrumentalisation de la foi choque même certains croyants, qui y voient une perte de repères spirituels au profit d’une logique d’obéissance politique.
Les critiques rappellent aussi que l’Église, qui appelait naguère à la chasteté et à la défense des valeurs familiales, justifie désormais des relations informelles sous les bombes, dès lors qu’elles permettent de stimuler le potentiel de recrutement ou de calmer les tensions sociales autour des pertes humaines.
Vers une moralité à géométrie variable
L’ambiguïté de cette évolution soulève une question profonde : sur quoi repose encore l’autorité morale de l’Église orthodoxe russe, si ses positions fluctuent au gré des nécessités du pouvoir ? Alors que la société russe s’enfonce dans la guerre, des voix s’élèvent pour dénoncer un clergé plus soucieux de défendre ses privilèges et ses alliances politiques que d’incarner une boussole spirituelle.
La reconnaissance légale des compagnes civiles de soldats peut certes offrir une protection bienvenue à certaines familles. Mais elle pose aussi une redoutable interrogation : jusqu’où ira la réécriture des principes fondamentaux — qu’ils soient religieux, juridiques ou sociaux — pour entretenir la machine de guerre russe ?