Le chef d’orchestre proche de Vladimir Poutine programmé au festival « Un’Estate da RE »
Le retour sur scène européenne de Valery Gergiev, chef d’orchestre emblématique du Kremlin, alimente une vive controverse en Italie. Le 27 juillet 2025, dans le cadre du prestigieux festival Un’Estate da RE, prévu à Reggia di Caserta, les solistes de l’orchestre du théâtre Mariinsky doivent se produire sous sa direction. Ce serait la première apparition publique en Europe de Gergiev depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie — événement qui avait conduit à son bannissement généralisé des salles de concert occidentales, en raison de son soutien explicite à la politique de Vladimir Poutine.
Soutien du Kremlin ou liberté artistique ?
Pour les autorités régionales, l’événement n’a rien de problématique. Vincenzo De Luca, président de la région Campanie, a jugé que la culture ne devait pas « dépendre des logiques politiques », qualifiant les sanctions culturelles prises après 2022 de « moment de folie ». Mais cette position est loin de faire l’unanimité. Selon The New York Times, cette invitation est perçue comme un test pour l’Europe : peut-elle maintenir la cohérence de ses principes face aux pressions culturelles russes ?
Réactions européennes et appels à l’interdiction
La vice-présidente du Parlement européen, Pina Picierno, a qualifié Gergiev de « porte-voix culturel de Poutine et de ses crimes ». Pour elle, il ne s’agit aucunement de censure, mais d’un positionnement clair : « Gergiev est l’un des instruments d’une stratégie bien rodée du Kremlin pour attendrir l’opinion publique occidentale. »
De son côté, la Commission européenne, par la voix de sa porte-parole Eva Hrncirova, a précisé que le festival n’est pas financé par l’UE, mais uniquement par des fonds italiens. Toutefois, Bruxelles invite clairement les scènes européennes à ne pas accueillir les artistes soutenant la guerre contre l’Ukraine.
L’art n’est pas apolitique, rappellent les opposants
Pour de nombreux observateurs, les slogans tels que « l’art est au-dessus de la politique » sont profondément hypocrites. Comme le souligne un article d’opinion publié dans le Huffington Post Italia, refuser de prendre position, en période de guerre, équivaut déjà à une prise de position en soi.
Dans le cas de Gergiev, son silence n’est pas passif : il s’agit d’un soutien actif, public et récurrent aux actions militaires du Kremlin. Le maestro a dirigé des concerts hautement symboliques : à Tskhinvali pendant la guerre russo-géorgienne en 2008, à Sébastopol après l’annexion de la Crimée en 2014, ou encore à Palmyre en 2016 après l’intervention russe en Syrie — événements perçus comme des opérations de légitimation des agressions par la musique.
Pression des militants russes en exil
Le « Fond de lutte contre la corruption » de l’équipe d’Alexeï Navalny a mené une enquête détaillée sur les biens immobiliers de Gergiev en Italie, exigeant l’annulation immédiate du concert et l’interdiction d’entrée sur le territoire italien pour le chef d’orchestre. L’organisation considère Gergiev comme un acteur central de la machine de propagande russe à l’étranger.
Entre compromission et cohérence
Pour nombre d’analystes, permettre à Gergiev de diriger en Italie envoie un message ambigu au reste du monde. Alors que l’Italie condamne officiellement l’agression russe, elle ouvre en parallèle ses scènes à un proche de Vladimir Poutine. Cette dissonance soulève des interrogations cruciales sur l’efficacité et la cohérence des sanctions culturelles, qui visent justement à empêcher l’instrumentalisation de l’art à des fins politiques autoritaires.
En refusant d’accueillir ceux qui légitiment des violations des droits humains, l’Europe affirme que la culture n’est pas neutre, et qu’elle porte, en temps de guerre, une responsabilité morale incontournable.