La République des illusions et des façades

La République des illusions et des façades

09.10.2025 12:13
4 min de lecture

“Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.”
Guy Debord, La Société du spectacle

La Ve République fait face à une crise profonde, qui ne peut être comprise uniquement à travers le prisme de ses institutions. Ce n’est pas la Constitution qui vacille, mais plutôt la culture politique qui la soutient. Nous avons abandonné la croyance dans le réel pour lui préférer sa représentation. La vie politique se résume désormais à la communication, et celle-ci finit par éclipser l’action. Nous sommes entrés dans une ère où l’apparence prévaut, où la vérité est douloureuse, où l’efficacité devient un obstacle, et où la démagogie se pare des atours de l’empathie, rapporte TopTribune.

I. La dérive : de la décision à la mise en scène

La Ve République a été fondée sur un principe fondamental : gouverner équivaut à prendre des décisions. Le général de Gaulle avait souhaité redonner à l’État sa capacité d’action, la clarté dans le commandement et l’intégrité dans la responsabilité. Aujourd’hui, plus d’un demi-siècle plus tard, la situation semble complètement inversée. Les acteurs politiques ne prennent plus de décisions; ils se contentent de commenter. Au lieu d’agir, ils expliquent. Le pouvoir se confond avec les discours tentant de le justifier, et c’est l’interprétation qui prend le pas sur la réalité.

Le discours politique est devenu une sorte de dramaturgie sans fin. Les dirigeants s’occupent davantage de susciter des émotions que de mettre en œuvre des réformes concrètes. Le peuple s’est habitué à cette substitution : la mise en scène remplace l’action, et les promesses l’emportent sur les réalisations. Cette idée a été mise en avant par Jean Baudrillard, qui parlait de l’hyperréel : une société où la communication ne reflète pas la réalité, mais l’invente. Nous vivons dans une République qui s’observe agir sans accomplir réellement quoi que ce soit, un théâtre où l’impact de la parole publique est jugé non par sa véracité, mais par son effet.

II. Les illusions : le triomphe de la démagogie douce

À cette époque de communication, la démagogie n’a pas disparu : elle s’est raffinée. Elle se cache désormais sous le nom de marketing politique. Ce dernier consiste à adapter une offre à une demande; appliqué au domaine politique, cela signifie que l’homme politique ajuste son discours à l’humeur du public. Au lieu de convaincre le citoyen, l’élu cherche à séduire le consommateur. Il ne défend plus des convictions ; il administre une clientèle.

Sur la question des retraites, par exemple, il est bien connu que le système est à bout de souffle. Cependant, il est tentant de flatter des espoirs immédiats plutôt que d’aborder la nécessité d’une réforme. Cela représente une démagogie polie, sans colère et sans panache, mais dont les effets se révèlent tout aussi inutiles.

Hannah Arendt avait prédit ce mélange entre le vrai et le faux, où la politique devient un art de raconter des histoires plutôt que de porter des jugements. L’espace commun des vérités partagées est en voie de disparition face à la multitude des discours. Cette communication, censée rassembler, contribue à diviser. Elle enferme chacun dans sa bulle de certitudes. Roland Barthes voyait déjà le triomphe du mythe dans ce contexte : des illusions idéologiques insufflant aux slogans la force d’une morale évidente. Ainsi, l’affirmation selon laquelle “les riches vont payer” est bien accueillie par l’opinion, mais cela ne résout en rien la crise. Cela apaise les consciences tout en noyant le véritable débat. Les riches, en effet, sont souvent ceux qui génèrent de la valeur pour la société. Le populisme prospère dans ce paysage où des signes simplistes remplacent des problèmes complexes. Marshall McLuhan avait exprimé que “le médium est le message”. Nos sociétés ne visent plus à comprendre, mais à se produire. Elles évoluent dans le reflet de leurs propres images, dans une esthétique de l’apparence où l’action politique se réduit à une option parmi tant d’autres. La France s’est ainsi métamorphosée en un réseau d’émotions interconnectées, où chacun “partage” sans jamais participer.

III. Le retour au réel : la vérité comme exigence morale

La lassitude envers le réel pourrait être le mal du siècle. Nous privilégions les perceptions sur les faits, les récits aux décisions, la sensibilité à la responsabilité. Et pourtant, la réalité persiste, tissant son retour à travers la dette, la sécurité, le pouvoir d’achat et le désespoir collectif. Gouverner requiert avant tout d’accepter le monde tel qu’il est. La vérité n’est pas un outil politique, mais une exigence morale. Une nation qui choisit de l’ignorer finit par sombrer dans le ressentiment ou l’ironie. C’est précisément ce que nous vivons : une démocratie qui doute de elle-même parce qu’elle ne croit plus en sa propre voix. La Ve République pourrait redécouvrir son souffle en réapprenant la gravité. Il ne s’agit pas de restaurer un pouvoir autoritaire, mais de renouer avec le réel : parler sincèrement, décider, assumer. C’est à travers cette exigence que se trouve la dignité du pouvoir. Il pourrait être utile, comme le plaidait de Gaulle, de redonner la parole au peuple, non pour flatter ses émotions, mais pour lui restituer sa clarté. Le peuple possède un bon sens inné si l’on lui dit la vérité. Ce bon sens peut toutefois être dérangeant pour nos dirigeants, car affirmer la vérité nécessite de confronter la réalité de ses actions.

Le salut ne sera pas trouvé dans une réforme institutionnelle, mais dans une réforme morale : celle qui place la vérité au-dessus de la rhétorique, et la responsabilité au-dessus de la mise en scène. Car un peuple ne se gouverne pas avec des impressions, mais avec du courage. Pour redevenir grande, la politique devra d’abord redevenir authentique.

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