La République déformée : Analyse de la démagogie en tant que système.

La République déformée : Analyse de la démagogie en tant que système.

12.10.2025 11:13
4 min de lecture

“Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle.” — Emmanuel Kant

La Ve République ne vacille pas simplement à cause de ses institutions, mais à cause de sa perversion morale interne. La politique s’est diluée dans le monde de la communication, tandis que la démocratie succombe à la démagogie. Plutôt que de gouverner, le pouvoir cherche avant tout à se maintenir. En promettant toujours plus pour plaire, il a abandonné l’idée de l’action pour le bien commun. Ce n’est plus une République de devoirs, mais celle des apparences, rapporte TopTribune.

Le règne de l’apparence : quand la politique se dérobe au réel

Il ne s’agit pas d’une crise institutionnelle, mais bien d’une crise morale au cœur de la Ve République. Ce n’est pas la Constitution qui montre des signes d’usure, mais la conscience de ceux qui la défendent. Nous avons tourné le dos à la réalité, pour ne plus croire qu’aux images qui en sont données. L’action politique s’est transformée en un récit narratif. Au lieu d’exercer une véritable autorité, le pouvoir se contente de simuler sa présence. Dans un monde saturé de communication, gouverner s’apparente à l’entretien d’une histoire au lieu d’une action tangible. Les décisions sont évaluées non pas sur leur efficacité, mais sur leur impact médiatique. L’action prend les traits d’une performance, et les réformes deviennent des histoires à raconter. Debord et Baudrillard avaient anticipé cette transformation : la politique est devenue une scène de simulacre où la représentation masque la réalité. Dans cet espace où règnent les apparences, les débats se transforment en explications et les décisions en commentaires. Les dirigeants s’attachent à gérer les émotions collectives plutôt qu’à piloter réellement le pays. Dans cette bulle d’illusions, le courage semble brutal, la vérité, douloureuse, et la responsabilité, effacée. Un pouvoir sans consistance s’établit, se nourrissant du bruit qu’il engendre.

Le système de la démagogie : la République des rentes et du risque zéro

La démagogie a évolué pour devenir une véritable structure de notre démocratie représentative. Ce système repose sur un engrenage simple mais efficace : séduire pour maintenir le pouvoir, promettre pour séduire, et renoncer à la vérité pour promettre. Les partis politiques sont désormais perçus comme des entités de conservation, visant non pas à transformer le pays, mais à préserver leur position. Ceux qui occupent les sièges de pouvoir ne visent pas à servir la nation, mais à perdurer dans leurs fonctions. Pour ce faire, ils flattent les désirs du peuple, lui promettant un lendemain radieux sans effort, et une vie sans difficultés ni sacrifices. C’est ainsi que la démagogie douce voit le jour, visant à rassurer et à endormir. On promeut le confort plutôt que la grandeur, en pointant du doigt des coupables au lieu d’apporter des solutions. Les riches, les puissants deviennent les boucs émissaires, transformant la taxation des plus aisés en une forme d’expiation politique. Mais cette démagogie ne prospère que dans des systèmes rigides. La République s’est muée en un enchevêtrement de rentes qui, qu’elles soient fonctionnelles ou politiques, témoignent d’une résistance au changement. Chaque rôle devient un bastion, chaque statut, une forteresse. L’administration, bouclée sur elle-même, utilise l’argument de l’impossibilité pour contrer toute proposition de changement. Cette rigidité s’accompagne d’une peur intrinsèque du risque. Le principe de précaution a été érigé au détriment d’un véritable sens des responsabilités. La norme remplace la volonté, la procédure, le courage. Une société qui craint le risque finit également par faire le choix de renoncer à la liberté. En cherchant à se protéger de tout, elle s’interdit de croître. Ainsi, la France actuelle évoque une nation saturée de sécurités, où le changement est perçu comme une menace à l’ordre établi.

Le retour au devoir : refonder la République morale

La politique ne se juge pas par ses réussites, mais par sa droiture. C’est ici que réside la déontologie du pouvoir, au sens kantien : agir non pas pour plaire, mais parce que c’est juste d’agir. Toutefois, notre République, en confondant l’efficacité avec la communication, a perdu cette boussole morale. Les renoncements face à des réformes nécessaires, comme celle des retraites, ainsi que la création d’une “taxe Zucman”, en sont des illustrations frappantes : dans le premier cas, la vérité a été sacrifiée pour préserver des alliances ; dans le second, la raison a été abandonée pour flatter l’opinion publique. Dans les deux cas, le devoir a été méprisé au profit d’une démagogie persistante. Cette dérive met en lumière une crise plus profonde : l’absence de sens moral dans les décisions publiques. Selon Montesquieu, la vertu est le fondement de la République. Une vertu qui ne se réduit pas à une définition moraliste, mais qui implique une loyauté à l’intérêt général. Cela nécessite le courage de l’affronter plutôt que de céder à la facilité, le courage de déplaire, et le courage de gouverner pour le long terme. Lorsque les actions ne répondent plus au devoir, mais au calcul politique, la République ne peut plus être qualifiée de morale — elle ne reste que habile. Redonner à la politique sa légitimité passe par un retour en force du devoir. La vérité doit primer sur la promesse, la décision sur le spectacle, et la responsabilité sur le pouvoir. Kant insistait sur le fait que la liberté ne s’arrête pas à la simple volonté, mais s’exprime pleinement dans le devoir. Cette liberté exigeante et morale est celle que la République doit retrouver pour être à la hauteur de son identité.

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