Dans notre société focalisée sur la performance, peut-on encore pratiquer des activités comme la course ou le jardinage uniquement pour le plaisir, sans être en compétition avec les autres ou se vanter de ses réalisations ? Est-il possible de sortir de ce schéma compétitif omniprésent ?
Isabelle Chouinard, professeure de philosophie à l’UQAM, souligne que cette propension à la compétition est ancrée dans notre histoire, rappelant le concept grec de l’Agon, qui illustre la compétition dans des domaines variés : le sport, l’art et l’intellect. Elle affirme que cette tendance à rivaliser pousse à l’excellence et à l’innovation, des caractéristiques fondamentales de la culture grecque.
Chouinard note que notre société est jalonnée de concours variés, qu’il s’agisse de compétitions sportives, littéraires ou artistiques. « Remporter un prix ou un trophée est perçu comme un signe de succès, ce qui instille l’idée de devoir être le meilleur dans tous les aspects de la vie », déclare-t-elle.
Frédéric Fanget, psychiatre, avertit qu’une telle obsession pour la compétition peut engendrer des problèmes d’estime de soi. Toutefois, il admet qu’il est naturel pour chacun de vouloir se prouver quelque chose et que cet élan n’est pas nécessairement pathologique.
Fanget explique que l’important est d’être conscient de ses propres capacités, sans se fixer des objectifs inaccessibles. « Si la performance reste dans le cadre de nos compétences, elle peut être bénéfique pour notre santé mentale. Mais au-delà de nos limites, cela peut devenir douloureux », ajoute-t-il.
L’aspect social
Jocelyne Planche, 52 ans, participe chaque année à quelques compétitions. Elle ne se considère pas comme une personne compétitive par nature, mais dans le cadre du sport, ressent un fort besoin de se dépasser. « Lors d’une compétition, je ressens des sensations uniques : la vitesse, le mouvement, l’adrénaline. C’est incomparable avec un simple jogging », explique-t-elle.
Elle souligne également le fort sentiment de camaraderie qui émerge lors de ces événements sportifs, où les participants tissent des liens et forment des groupes animés par des objectifs communs.
La pression des réseaux sociaux vient intensifier cette culture de la performance, selon Fannie Valois-Nadeau, professeure à l’Université TELUQ. « Nous aspirons à partager nos réussites, façonnant ainsi une culture de compétition qui se propage dans divers aspects de notre vie », dit-elle.
La mise en scène de la performance est devenue omniprésente. « La quête des likes et de la reconnaissance en ligne engendre une tendance qui pousse vers la compétition. La participation à des événements caritatifs donne également lieu à une certaine forme de défi physique », ajoute Valois-Nadeau.
Elle fait également remarquer l’importance croissante des équipements de sport haut de gamme dans cette dynamique : « Se baigner dans des vêtements adéquats augmente inévitablement le sens de la compétition. »
Avec l’essor des applications de suivi de la performance, les données personnelles de course sont analysées, renforçant davantage cet esprit de compétition. Ces innovations affectent particulièrement les personnes issues de milieux favorisés, soulignant ainsi une dimension de classe sociale liée à cette volonté de performer.
Conditions favorables
Frédéric Fanget estime qu’il est possible d’échapper à cette normativité compétitive. « Il n’est pas nécessaire de se conformer aux normes sociales. Vous pouvez pratiquer vos loisirs sans chercher à impressionner les autres. Jardiner ne doit pas être un moyen de rivaliser, mais une source de plaisir », affirme-t-il.
Bien que de nombreux individus choisissent de sortir du cadre compétitif, les structures en place favorisent cette inclination. « Pour certains, écouter de la musique en courant suffit. Mais les outils disponibles incitent souvent à la compétition », remarque Valois-Nadeau.
Cette pression compétitive est également ressentie dès l’enfance. « Le simple plaisir de jouer sans enjeu est de plus en plus difficile à maintenir dans les sports d’équipe. Les fédérations sportives commencent à comprendre qu’elles perdent de nombreux jeunes qui souhaiteraient participer à des sports sans la pression de la compétition », observe-t-elle.
Isabelle Chouinard rappelle que cette inclination vers la compétition est profondément enracinée dans notre culture. Même dans des contextes démocratiques, les discours deviennent des batailles d’arguments. « Nous visons l’excellence, et c’est le jugement des autres qui détermine notre succès et notre renommée », conclut-elle.