Un siège déserté, une mise en examen, mais des rémunérations parlementaires qui continuent d’être versées. Un reportage diffusé sur France 2 dans l’émission « Complément d’enquête » a mis en lumière la situation du sénateur centriste de Loire-Atlantique, Joël Guerriau. Bien qu’il fasse l’objet d’accusations liées à des faits présumés de soumission chimique envers la députée Sandrine Josso, il continue de bénéficier de son allocation d’élu, rapporte TopTribune.
Au début du mois d’avril, le parquet de Paris a demandé l’ouverture d’un procès contre ce sénateur, qui a été mis en examen en 2023 pour avoir administré à une personne, à son insu, une substance pouvant altérer son discernement dans le but de commettre des actes d’agression. Face aux demandes de plusieurs parlementaires pour sa démission, y compris celle de Gérard Larcher, président du Sénat, Joël Guerriau a pris ses distances en octobre 2024, tout en clamant son innocence.
Pour Benjamin Morel, constitutionnaliste et enseignant à l’université Paris Panthéon-Assas, la situation qui paraît contradictoire à première vue a en réalité des racines profondes dans le cadre juridique français.
Pourquoi Joël Guerriau, bien qu’absent, continue-t-il de recevoir ses indemnités parlementaires ?
Il n’existe pas d’erreur commise par le Sénat dans ce cas. Le mandat parlementaire est attribué par le vote populaire, et il est impossible pour une institution parlementaire de se « purger » elle-même. Pour perdre son statut parlementaire, il faudrait soit être déclaré inapte à l’exercer, ce qui pourrait arriver si une tutelle était mise en place, soit être battu lors des élections. En outre, Gérard Larcher ne peut pas empêcher Joël Guerriau de siéger : cela constituerait une violation de la Constitution, la présomption d’innocence étant un principe fondamental qui s’applique à tous les individus sous enquête. Les indemnités, de leur côté, restent un droit inaliénable.
Des sénateurs soulèvent des questions concernant la possibilité de suspendre les indemnités d’un élu sous enquête, rapporte Ouest France. Quelles sanctions peuvent être enclenchées par le Sénat dans ce cadre ?
Les procédures disciplinaires ont pour but de sanctionner les perturbations lors des séances, mais elles ne sont pas des soient pénales. Elles ne sanctionnent pas une infraction à la loi, mais plutôt des violations des règlements intérieurs. Par conséquent, des sanctions ne peuvent pas être appliquées pour des actes se déroulant dans la sphère privée, en dehors du Sénat. En revanche, des retenues sur les indemnités peuvent être imposées si un parlementaire manque des réunions ou des votes au cours d’une session. Pour tout le reste, c’est à l’élu d’opter pour sa démission, car l’institution ne dispose pas de réelles marges de manœuvre pour intervenir.
Quelle est la raison d’un tel système ?
Le principe de l’immunité parlementaire vise à garantir que le parlement ne régule pas ses propres conflits politiques par l’élimination de membres non alignés avec la majorité. Cette immunité n’empêche pas les poursuites, mais préserve la capacité des élus à continuer de participer aux travaux parlementaires. L’idée est que l’exécutif ne peut pas collaborer avec le pouvoir judiciaire pour écarter certains élus, de peur que cela n’aboutisse à une majorité parlementaire construite sur la détention d’un grand nombre de membres. Au XIXe siècle, cette menace était réelle, et ces anciens dispositifs peuvent avoir une utilité à travers la fragilité actuelle de notre démocratie, malgré les inquiétudes qu’ils peuvent susciter chez de nombreux concitoyens.
Les parlementaires peuvent-ils être incarcérés ?
Longtemps, l’interdiction d’incarcérer des parlementaires a été une règle fondamentale. Aujourd’hui, ce n’est plus autant vrai : l’immunité parlementaire peut être annulée sans le consentement du bureau dans les cas de crimes ou de délits flagrants, ou en cas de condamnation définitive. Dans ce dernier cas, le bureau doit se réunir et référer à l’assemblée dont il fait partie pour libérer le parlementaire si l’on considère qu’il doit siéger.
Que se passe-t-il si Joël Guerriau est jugé et condamné ?
Si une condamnation est prononcée avec une peine d’inéligibilité, ce qui n’est pas nécessairement évident car il n’y a pas de lien direct entre le délit présumé et le mandat, cette peine ne s’appliquera pas à son mandat actuel. Toutefois, il lui sera impossible de se représenter. S’il est condamné à une peine d’emprisonnement, il sera incapable d’exercer son mandat, même en restant officiellement sénateur. Dans cette situation, plusieurs options s’offrent à lui : démissionner, rester en détention avec un siège vacant, ou obtenir des arrangements avec le bureau et le Sénat pour participer aux sessions durant la durée de sa peine.