Jeux paralympiques 2024 : comment l'armée accompagne les blessés de guerre vers une carrière de sportif de haut niveau
Jeux paralympiques 2024 : comment l'armée accompagne les blessés de guerre vers une carrière de sportif de haut niveau

Jeux paralympiques 2024 : comment l’armée accompagne les blessés de guerre vers une carrière de sportif de haut niveau

06.09.2024
8 min de lecture

En situation de handicap après des blessures sur le terrain, d’anciens soldats tentent de se reconstruire par le sport. Un long processus, qui peut parfois déboucher sur une carrière parasportive et une participation aux Paralympiques.

« Il fallait que je me reprenne en main. C’était ça ou en finir. » Rémy Boullé, ex-militaire de 36 ans, est devenu paraplégique après un accident en exercice. Le 4 septembre 2014, son parachute ne s’est pas ouvert et il a heurté le sol à 50 km/h. Son corps et sa carrière se sont brisés net. « Je n’avais aucun diplôme, j’avais perdu toutes mes passions : l’armée, le parachutisme et la course à pied. »

Il a fallu se reconstruire. Rémy Boullé l’a fait par le sport. Après quatre mois sur un lit sans pouvoir bouger, il s’est fixé, en janvier 2015, l’objectif de disputer les Jeux de Rio en paracanoë. Vendredi 6 septembre, près de dix ans après son accident, il entamera ses troisièmes Paralympiques consécutifs. Et tentera de faire mieux qu’à Tokyo, où il avait remporté la médaille de bronze, dans la catégorie KL1.

« Trouver de la fierté dans le regard de l’autre »

Rémy Boullé n’est pas le seul ancien blessé de l’armée en lice à Paris : c’est aussi le cas de Jean-Louis Michaud au tir à la carabine, ou encore de Cyrille Chahboune, Guillaume Ducrocq et Thomas Laronce dans l’équipe de France de volley assis. Autant d’exemples pour l’armée française qui développe, depuis dix ans, un programme pour aider les 1 000 blessés de guerre recensés par l’armée de terre sur cette période, physiques comme psychiques, à se reconstruire à travers le sport. « En plus de permettre d’aborder la préparation physique des combattants, c’est une façon de constater des progrès après la blessure, de reprendre confiance en soi et de trouver de la fierté dans le regard de l’autre », résume le général Paul Sanzey, commissaire interarmées aux sports militaires et commandant du Centre national des sports de la défense (CNSD). Installé dans la forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne), ce site, « l’Insep des militaires », selon le général, est la pierre angulaire de l’accompagnement des blessés militaires vers la reprise d’une activité sportive.

« On ne guérit pas les gens, mais on offre, à travers le sport, la possibilité de se retrouver soi-même, en tant qu’homme ou femme qui malgré la blessure se tient debout face à la vie. »Général Paul Sanzey, commandant du Centre national des sports de la défense

à franceinfo

« On veut montrer aux blessés qu’ils sont capables de retrouver une activité physique » par des moyens ludiques, en complément des soins, ajoute le commandant Erwan Lebrun, directeur technique des sports militaires. Une première étape qui doit aider à se réapproprier son corps. Elle n’est pas pour autant imposée par l’armée, et les blessés peuvent se rétablir « autrement », assure le militaire.

L’étape des Invictus Games

Ceux qui veulent aller plus loin peuvent participer aux Rencontres militaires blessures et sports, des stages de quatre semaines organisés chaque année. Elles sont organisées par la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre depuis 2012, en coordination avec le CNSD, le Cercle sportif de l’institution nationale des Invalides et les autres cellules d’aide aux blessés des armées et services. Ces rencontres présentent les « nombreuses activités adaptées aux militaires blessés en situation de handicap, de réadaptation à la pratique sportive et de sensibilisation aux parcours de compétition », assure le site internet du ministère de la Défense. « C’est la première fois qu’on [leur] propose une activité sportive après leur séjour à l’hôpital, détaille Erwan Lebrun. Il s’agit de redonner confiance aux blessés dans leur capacité à avoir une activité physique. »

Il existe également des stages plus courts, spécialisés sur certaines disciplines, comme le Challenge Ad Victoriam. C’est la dernière étape avant de vraiment se frotter à la compétition, symbolisée par les Invictus Games. Ces rencontres multisports, réservées aux militaires et aux civils de la défense, ont été créées par le prince Harry en 2014. Elles ont lieu tous les deux ans. Lors de la dernière édition, en septembre 2023 à Düsseldorf (Allemagne), 21 nations et 550 athlètes étaient présents. La délégation française, elle, comptait 22 membres.

Ces Invictus Games sont loin de concurrencer les Jeux paralympiques. « Ils ne travaillent pas sur la compétition mais sur le collectif, la cohésion et la fierté de défendre les couleurs de son pays », développe le général Paul Sanzey. Ils permettent de créer « un temps fort de rassemblement de l’ensemble de militaires qui ont subi des accidents en lien avec leurs activités », observe Pierrick Giraudeau, coordinateur du Bureau de la vie de l’athlète au sein de la Fédération française handisport. 

Cyrille Chahboune et Guillaume Ducrocq, aujourd’hui membres de l’équipe de France de volley assis, ont suivi ces étapes. Déployés en Irak en 2016 avec les forces spéciales françaises, en tant que commandos parachutistes de l’air, ils ont tous les deux été grièvement blessés dans l’explosion d’un drone piégé. Cyrille Chahboune a perdu ses deux jambes, son frère d’armes, une.

En compagnie de Rémy Boullé, ils se retrouvent aux Invictus Games de Sydney, en 2018. Cyrille Chahboune participe à sept disciplines et remporte une médaille d’or en voile. La même année, il intègre, avec Guillaume Ducrocq, l’équipe de France de volley assis, créée en vue des Jeux de Paris. « Quand j’étais valide et militaire, les Jeux olympiques ne me faisaient pas rêver, j’étais à fond dans mon boulot. Mais [les Paralympiques] sont devenus un objectif sympa à atteindre, après la fin de ma carrière », explique Cyrille Chahboune.

Atteindre le haut niveau, « une démarche individuelle »

Tous les blessés de guerre ne peuvent pas viser cet objectif. La poursuite d’une carrière sportive entraîne aussi une classification du handicap et limite le nombre de candidats au haut niveau. Aujourd’hui, l’armée française recense 20% de blessés physiques et 80% de blessés psychiques, parmi lesquels on compte ceux souffrant de syndromes post-traumatiques. Les blessures psychiques ne sont pas un handicap intégré dans les critères de classification du sport paralympique : contrairement aux Invictus Games, ceux qui en souffrent ne peuvent donc y participer.

Pour toucher du doigt le monde paralympique, les blessés physiques doivent bien souvent se débrouiller seuls. « Le CNSD essaie de créer les ponts avec les différentes fédérations, mais sauf erreur de ma part, les quelques qui ont pu faire des compétitions internationales ont plutôt une démarche individuelle », remarque Jean Minier, directeur des sports au sein du Comité paralympique et sportif français. Dépasser tous ces obstacles nécessite un mental et une volonté de fer. « Hormis avec le service de santé, l’armée ne m’a pas aidé : je n’avais pas d’entraîneur quand je me suis qualifié pour Rio. [Même] sans l’armée, j’en serais aujourd’hui au même niveau », estime Rémy Boullé, qui avait lancé une cagnotte en ligne pour pouvoir s’acheter un bateau afin de s’entraîner pour les Paralympiques de 2016. 

« On a donné une partie de notre âme et de notre corps pour défendre notre pays, c’est dommage qu’on n’ait pas de retour alors qu’on continue à le faire par le sport. »Cyrille Chahboune, membre de l’équipe de France de volley assis

à franceinfo

Sans compter l’aspect financier. « Le parasport ne paie pas », déplore Cyrille Chahboune, qui a besoin de 30 à 40 000 euros de budget annuel pour représenter son pays. La retraite et la pension d’invalidité que lui verse chaque mois l’armée ne suffisent pas forcément et « ne remplaceront jamais mes jambes, ni ce dont j’étais capable avant la blessure ». Pour subvenir à ses besoins, le parathlète doit démarcher des sponsors. Il peut aussi compter sur des associations comme le Bleuet de France, qui a financé les prothèses de Guillaume Ducrocq et Cyrille Chahboune, et aide actuellement 25 000 autres bénéficiaires, dont 5 000 blessés de guerre ou en mission.

« La compétition de haut niveau, ça peut détruire »

Avant leur blessure, ces militaires avaient des capacités physiques « un peu hors norme », estime Erwan Lebrun. Le sport fait partie de l’ADN du soldat. « Ceux présents sur le terrain s’entraînent, ils sont durs au mal et ont un capital physique à la base », constate Nicolas Becker, l’entraîneur de l’équipe de France de paratriathlon. Cyrille Chahboune avait l’habitude de faire deux à trois heures de sport chaque matin avant la perte de ses jambes. « En tant que membre des commandos des forces spéciales, tu te promènes parfois avec 60 kg de paquetage sur le dos, tu sautes en parachute… Le niveau physique était largement équivalent à ce qu’on peut trouver dans le haut niveau actuel », détaille-t-il.

Mais ces aptitudes physiques indéniables et une meilleure maîtrise du stress, en raison du vécu sur le terrain militaire, ne mènent pas nécessairement à une carrière parasportive. « Des blessés au sein des forces spéciales ne font pas forcément des champions paralympiques en puissance dès l’année suivante », met en garde Pierrick Giraudeau. La Fédération handisport ne veut pas brûler les étapes. Elle envoie des cadres lors des rassemblements de blessés militaires, afin d’émettre des avis et de partager un savoir-faire sur le handicap et le handisport. « On veut être certain que le sportif a bien cheminé pour s’engager dans cette voie de la compétition », insiste-t-il. Car l’exigence du haut niveau, en termes d’entraînement, est forte.

L’armée aussi préfère rester prudente, la pratique du sport en compétition impliquant des frustrations en cas d’échec. « C’est déjà très compliqué d’accepter le handicap et de perdre ses capacités de militaire », glisse Erwan Lebrun. « Seule une partie des blessés voit la compétition comme un mode de reconstruction, synthétise le général Paul Sanzey, d’autant qu’elle entraîne de l’absentéisme familial, de la pression pour aller vers la performance, elle peut tourner à l’addiction, ce qui n’est pas forcément adapté au parcours de chacun. » Cyrille Chahboune a conscience de ces risques. « La reconstruction par le sport, c’est très bien, mais la compétition de haut niveau, ça peut détruire quelqu’un. La pression, la médaille… Des civils valides ont fait des burn-out », prévient-il.

« Se projeter sur un projet sportif de haut niveau abouti, c’est s’engager sur deux à trois paralympiades d’entraînement, a minima. »Pierrick Giraudeau, coordinateur du Bureau de la vie de l’athlète au sein de la Fédération française handisport

à franceinfo

Les institutions ont besoin de temps avant que les programmes, mis en place il y a une décennie, débouchent « de manière massive vers une transition des militaires blessés en athlètes paralympiques », plaide Jean Minier. Le commandant Erwan Lebrun, lui, met en avant « une maturité du dispositif de reconstruction par le sport », avec un personnel désormais formé à l’encadrement des blessés.

Avec une nouveauté : l’ouverture, à la fin de l’année, d’un village des blessés au CNSD. Doté d’une capacité permanente de 100 places, il permettra « un accès renforcé et facilité des blessés à un large panel d’activités centrées sur le sport, depuis la remise en forme physique et psychologique, jusqu’à la préparation de compétitions sportives de haut niveau », assure l’armée dans un communiqué. Afin de permettre aux futurs blessés de suivre le sillon tracé par Rémy Boullé et les autres. L’ancien commando parachutiste, lui, voit à plus court terme. Il rêve d’or à Paris, lors de la finale de kayak (KL1) 200m, samedi 7 septembre. « Presque 10 ans jour pour jour après [son] accident. »

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