"Je découvre un continent de violences sexuelles" : Le Silence de Bétharram, le livre choc d'un ancien élève devenu lanceur d'alerte
"Je découvre un continent de violences sexuelles" : Le Silence de Bétharram, le livre choc d'un ancien élève devenu lanceur d'alerte

« Je découvre un continent de violences sexuelles » : Le Silence de Bétharram, le livre choc d’un ancien élève devenu lanceur d’alerte

24.04.2025
9 min de lecture

En lançant un simple appel à témoignages en 2023, Alain Esquerre ne s’attendait pas à réveiller un scandale de cette ampleur. Ancien élève de Notre-Dame de Bétharram, il a depuis recueilli des centaines de témoignages de violences physiques et sexuelles. Dans son livre qui paraît ce 24 avril, Le Silence de Bétharram, il retrace deux ans d’une enquête bouleversante.

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Il a voulu mettre les mots sur cette enquête titanesque, parfois éprouvante, qui rythme son quotidien depuis maintenant deux ans. En octobre 2023, Alain Esquerre jette une bouteille à la mer avec la création d’un groupe Facebook. Il veut récolter des témoignages d’anciens élèves de Notre-Dame de Bétharram qui, comme lui, auraient été victimes de violences physiques lors de leur scolarité. Le Béarnais se fait rapidement dépasser par les récits qui lui reviennent. Violences sexuelles, attouchements, viols commis par des prêtres et le personnel laïc, derrière chaque récit, tous révèlent une impunité longtemps cimentée par le silence.

La couverture du livre Le silence de Bétharram, publié aux éditions Michel Lafon, paru ce 24 avril.
La couverture du livre Le silence de Bétharram, publié aux éditions Michel Lafon, paru ce 24 avril. • © Edition Michel Lafon

La loi du silence

À ce jour, plus de 200 personnes ont porté plainte dans ce dossier déjà qualifié de « la plus grande affaire de pédophilie jamais révélée en France ». Avec ce livre, Le silence de Bétharram(1), coécrit avec la journaliste Clémence Badault et publié ce 24 avril, Alain Esquerre veut « laisser une trace » de ce scandale qu’il qualifie de « #MeToo scolaire ».

En 256 pages, il raconte l’histoire d’un silence devenu hurlement. Celle d’un ancien élève devenu enquêteur malgré lui et d’un lieu sanctuaire pour les uns, enfer pour les autres. Au travers des différents chapitres, Alain Esquerre, né le 18 juin comme s’il était sans doute « prédestiné à occuper une place dans l’histoire », revient sur sa quête de la vérité au travers de témoignages bouleversants. Le sien d’abord, car s’il porte la voix des victimes, il a lui-même été confronté à la violence durant sa scolarité à Notre-Dame de Bétharram de 1980 à 1985. La première fois à douze ans. « Deux claques puissantes sur mon visage » assenées par Alain R., un instituteur qui le trouve un peu « agité ».

Plus tard, le directeur de l’établissement, le Père Carricart, le voyant « penaud », lui lance cette phrase qui résonnera dans tous les témoignages recueillis par la suite : « si tu l’as pris, c’est sûrement que tu dois l’avoir méritée. » Alain Esquerre taira ce premier traumatisme. « Puisque je ne dis rien de cette première comment parler des suivantes ? C’est ainsi que s’installe la loi du silence. »

Un des dortoirs du collège de Notre-Dame de Bétharram dans les années 80.
Un des dortoirs du collège de Notre-Dame de Bétharram dans les années 80. • © Archives d’un ancien élève

« Le début de la vague »

Quand il lance l’alerte sur ce groupe Facebook, Les anciens du collège et lycée de Bétharram, victimes de l’institution, Alain Esquerre pense recueillir des expériences similaires. Très vite, il est « chamboulé » par une réalité qui le dépasse. « Je découvre un continent de violences sexuelles, systémiques, dont je n’avais aucune idée », se souvient-il aujourd’hui.

Le premier à témoigner, Alexandre, lui dit avoir été violé par un prêtre à Bétharram. Un cas isolé selon Esquerre, « pour moi, Bétharram ce sont les punitions sur le perron, les gifles (…) mais pas les viols ». Puis, il découvre l’histoire d’Eric,« les visites nocturnes au dortoir, à l’infirmerie », les attouchements sexuels répétés de la part du père directeur, celui qu’Alain pense « le plus bienveillant » de l’institution. Le témoignage d’Olivier aussi, « puni des heures en slip sur le perron », violé par le surveillant Damien S, appelé « Cheval » et « autoproclamé préfet de discipline ». Ou encore celui de Jean-Rémy, devenu élève-surveillant après avoir, lui aussi, subi des viols répétés.

Au total, 90 des 200 plaintes déposées aujourd’hui relèvent de faits à caractère sexuel. Dans le dernier corpus de plaintes, l’une porte même sur des faits de viol en réunion commis par deux prêtres. « J’ai ouvert une boîte de Pandore, ce n’est que le début de la vague, » réplique-t-il.

La fille de François Bayrou elle aussi victime

Parmi les nombreux témoignages, la prise de parole inédite d’Hélène Perlant, fille de l’actuel Premier ministre François Bayrou a marqué l’auteur. Elle, est scolarisée à quelques kilomètres de Notre-Dame de Bétharram, à Igon. Hélène a 14 ans lorsqu’elle participe pour la première fois au camp d’été organisé par la même congrégation que celle à laquelle appartient Bétharram. L’abbé Lartiguet, qui s’affiche « ostensiblement avec une religieuse de l’établissement » semble moyennement apprécier la jeune fille qui « résiste à leur catéchisme hypocrite ». « Toi la fille Bayrou, insolente comme ton père », lui lance-t-il.

Rapidement, les coups remplacent les mots. « Lartiguet la saisit par les cheveux, et en la tirant ainsi, la traîne au sol sur plusieurs mètres. Sans mot dire. Puis des coups de pied et de poing d’un homme de 120 kg au bas mot. À la tête. Dans le ventre surtout, décrit Alain Esquerre dans son ouvrage. Jusqu’à ce qu’elle s’urine dessus et qu’il obtienne finalement ce qu’il cherchait : sa honte. »

Le lendemain, la jeune fille est couverte d’ecchymoses, a des « bosses grosses comme des œufs sur le crâne » et souffre d’acouphènes pendant plusieurs jours. Malgré un passage à tabac devant « des dizaines de personne à chaque fois », Hélène s’enferme dans le silence et ne parle de cette agression ni « à son député de père, ni à la fratrie, ni à personne. Jamais. »

Quarante ans plus tard, le témoignage de la fille de celui qui occupe aujourd’hui la place de Premier ministre est « tellement commun ». « Quand elle me raconte ça, je ne suis pas surpris, relève aujourd’hui Alain Esquerre. Le silence fait partie du décor à chaque fois. » Son témoignage, pourtant, va faire émerger une autre vision de ces violences : « moi qui croyais que le statut social protégeait des élèves à Bétharram, je réalise que ce n’est pas si simple », analyse l’auteur.

Une affaire Bayrou ?

Interviewée par Paris Match, Hélène Perlant – elle a changé de nom pour prendre celui de sa mère « lassée d’être considérée comme une fille de » – assure, comme dans l’ouvrage, que son père « ne sait pas qu'[elle est] victime ». « Je suis restée trente ans dans le silence. En dehors de ça, pas une allusion, à personne. Mon père, j’ai peut-être voulu le protéger, inconsciemment, je pense, des coups politiques qu’il se prenait localement », raconte-t-elle dans l’hebdomadaire.

Hélène Perlant se livre dans une interview accordée à Paris Match, deux jours avant la publication du livre "Le Silence de Bétharram", d'Alain Esquerre et Clémence Badault.
Hélène Perlant se livre dans une interview accordée à Paris Match, deux jours avant la publication du livre « Le Silence de Bétharram », d’Alain Esquerre et Clémence Badault. • © France 3 Aquitaine

Son témoignage résonne d’autant plus fortement que l’actuel Premier ministre est depuis plusieurs mois dans la tourmente. François Bayrou est accusé d’avoir été informé, dès 1996, de faits de violences, notamment sexuelles, au sein de Notre-Dame de Bétharram. Des accusations qu’il a toujours fermement démenties. Pour Alain Esquerre, toutes ces accusations « ne sont pas justes ». 

Dans Le Silence de Bétharram, Alain Esquerre consacre un chapitre entier, intitulé « Frédéric ou l’affaire Bayrou », à cette controverse. Il y critique la posture adoptée par le maire de Pau qui, interrogé en février 2025 par le député Paul Vannier, a balayé les accusations en déclarant que « tout est faux » et qu’une plainte pour diffamation allait être déposée. Le Premier ministre reviendra finalement sur ces propos : s’il avait pu avoir des échos au sujet de « quelques gifles » par ses enfants, il assure qu’il n’a jamais su pour les violences sexuelles.

Pour Alain Esquerre, cette focalisation sur une seule figure politique est réductrice. « À quoi bon faire le procès d’un seul homme quand c’est toute la société béarnaise qui est responsable ? », interroge-t-il. Aujourd’hui encore, il appelle à dépasser cette personnalisation du scandale.« Je trouve que cette chasse à l’homme n’est pas juste. Tout le monde a fui, tout le monde est lâche. La responsabilité de Bayrou elle existe, évidemment, et il faut qu’il s’en explique devant la commission, concède l’auteur de l’ouvrage. Mais résumer le dossier Bétharram à Francois Bayrou c’est une aberration. »

Auditions

Certains témoignages, pourtant, laissent penser que la famille de François Bayrou ne pouvait ignorer ce qui se passait à Bétharram. C’est le cas d’Éric Arassus, ancien élève, victime de violences physiques, qui partageait sa classe avec Calixte Bayrou, l’un des fils du Premier ministre. Il affirme avoir alerté à plusieurs reprises son camarade et l’avoir même exhorté à en parler chez lui. Elisabeth Bayrou, la femme de François Bayrou, était, à l’époque, enseignante à Bétharram. « Madame Bayrou, j’en suis convaincu, était dans le déni, sans doute en lien avec ses convictions religieuses. Et son mari, à l’époque député local et président du conseil général, ne pouvait pas ne rien savoir », témoignait-il auprès de France 3 Aquitaine.

"Les enfants victimes subissaient toujours le même mode opératoire", dénoncent d'anciennes victimes d'abus et de violences à Notre Dame de Bétharram.
« Les enfants victimes subissaient toujours le même mode opératoire », dénoncent d’anciennes victimes d’abus et de violences à Notre Dame de Bétharram. • © France 3 Aquitaine

Depuis les premières révélations sur Bétharram, d’autres victimes issues d’établissements privés ont elles aussi pris la parole. Pour Alain Esquerre, le livre coécrit avec Clémence Badault est un outil pour rompre le silence, mais aussi une base pour initier un débat plus large.« Ce livre est là pour livrer une vérité, pas pour assassiner qui que ce soit, rappelle-t-il. Il faut maintenant que la société prenne ses responsabilités et qu’on réfléchisse collectivement aux fondements de notre système éducatif. »

Un système orchestré

Tout au long de son livre, Alain Esquerre pointe tout un système organisé où la violence est orchestrée dans une « mécanique du mal ». Grâce au témoignage de Pascal V., il relève « une phase d’approche », durant laquelle l’élève est d’abord convoqué dans le bureau du surveillant pour être sermonné pour ses mauvais résultats scolaires. Quelques semaines plus tard, il relève l’implication d’une tierce personne.« A deux époques distinctes, deux directeurs se font amener leurs victimes par d’autres élèves », écrit-il.

« Un tiers des enfants [sont agressés] par deux personnes, le plus souvent un laïc et un prêtre, les agressions sexuelles ayant régulièrement lieu par l’un devant l’autre, au moment des douches par exemple », détaille-t-il dans ses lignes.

L’auteur va encore plus loin en relevant des agressions plus fréquentes sur les mauvais élèves ou ceux dont la structure familiale peut être compliquée. « Beaucoup des victimes des faits les plus graves sont élevées par une mère seule, ou par leur grand-mère. »

Seules deux plaintes non prescrites

Alain Esquerre revient également sur sa recherche de la plainte non prescrite qui permettra d’officiellement lancer l’enquête. À ce jour, seules deux plaintes échappent à la prescription. Elles ont conduit, le 21 février, à la mise en examen de Patrick Martin, un ancien surveillant de l’établissement, pour « agression sexuelle sur mineur de moins de quinze ans » en 2004, ainsi que pour « viol sur mineur de moins de quinze ans par personne ayant autorité », des faits remontant à la période 1991-1994. D’autres mis en cause, dont un prêtre et un surveillant placés en garde à vue, n’ont pas pu être poursuivis en raison de la prescription. Les violences signalées dans cette affaire couvrent pourtant près de cinquante ans, de 1957 à 2004.

L’institution Notre-Dame de Bétharram, célèbre collège-lycée catholique des Pyrénées-Atlantiques, est éclaboussée par un scandale après les plaintes de 112 anciens élèves pour violences et abus sexuels présumés entre les années 1950 et 2010. L’enquête de France 3 Aquitaine donne la parole à ces victimes déterminées à briser des décennies d’omerta.

Alain Esquerre, qui vit toujours à quelques mètres de l’institution, demande la fermeture de l’établissement privé de Notre-Dame de Bétharram, aujourd’hui rebaptisé Beau Rameau. Le 14 mai, la commission d’enquête parlementaire chargée de l’affaire Bétharram devrait interroger le Premier ministre dans le cadre d’une audition sur sa connaissance des faits.

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