Un soldat de l’armée israélienne se tient à côté d’un missile balistique iranien tombé en Israël lors de l’attaque iranienne du week-end dernier, lors d’une visite des médias à la base militaire de Julis dans le sud d’Israël, le 16 avril 2024. AFP

Israël-Gaza : « J’ai cessé de me faire des illusions sur les processus de paix », confie Hubert Védrine

17.04.2024
5 min de lecture

L’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine ne croit pas à une escalade du conflit israélo-iranien. Pour lui, seuls les Américains peuvent mettre un terme au conflit qui ravage Gaza et ramener de la stabilité dans la région, même si les nombreuses occasions d’y parvenir ont été gâchées au cours des dernières décennies. À ce moment-là peut-être, estime-t-il, la France pourrait jouer un rôle et entraîner l’Europe dans la préparation d’un grand processus de paix.

Considérez-vous l’attaque iranienne envers Israël comme une déclaration de guerre ou une alerte ?
Il faut remettre cette attaque dans son contexte, mais rien de tout cela n’est vraiment surprenant pour le moment. Nous sommes confrontés aujourd’hui à deux questions de fond au Proche-Orient : la bagarre sur la création, ou pas, d’un État palestinien et le dossier iranien. Depuis une quinzaine d’années, les gouvernements Netanyahu sont de plus en plus nationalistes, avec deux lignes très claires qui disent : premièrement « Nous sommes le rempart face à la menace iranienne » et, deuxièmement, « Il n’y aura jamais d’État palestinien ». La question iranienne a failli être gérée correctement par l’accord Obama, mais Trump l’a torpillé, ce qui est une de ses pires erreurs. L’engrenage actuel est lié à la question de fond incarnée par l’attaque du Hamas du 7 octobre, qui a malheureusement montré que la question palestinienne, que beaucoup croyaient enterrée, n’avait pas disparu.

Où en est-on aujourd’hui sur cette question ?
Je me réfère à ce qui se dit en Israël et je constate que beaucoup d’Israéliens estiment que Netanyahu a intérêt à faire durer la guerre à Gaza, voire à l’élargir. Netanyahu veut durer en attendant Trump. Tant et si bien que le 1er avril, quand Israël a attaqué le consulat iranien à Damas, Netanyahu a pris un risque calculé, car il savait qu’il y aurait une réplique. Est-ce que du côté israélien il y a des gens qui jouent franchement l’escalade ? La question est plutôt de savoir si les Iraniens sont allés plus loin que ce que les Israéliens pouvaient prévoir. Pour le moment, nous sommes encore dans le domaine du prévisible par rapport à l’attaque du 1er avril. Mais je n’exclus pas malheureusement un dérapage.

Quel est l’objectif réel de l’Iran ? D’abord faire peur à Israël ? Interpeller les États-Unis et l’Occident ?
Je ne crois pas que les Iraniens aient intérêt à une escalade majeure, car c’est tout de même un régime fragile, très contesté, même s’il tient par la violence et la répression. Les Iraniens répondent à ce qu’ils considèrent comme des provocations, longtemps après et dans d’autres endroits. Ils ne peuvent pas prendre le risque d’une escalade s’ils ont Israël et les Américains en face d’eux. Je note toutefois que Joe Biden a indiqué qu’il ne soutiendrait pas Israël dans le cas d’une escalade majeure…

Quelles conséquences peut avoir cette attaque sur l’opération israélienne à Gaza ?
Dans l’immédiat, cela ne change pas grand-chose, sauf si évidemment il y avait une guerre générale. Entre le fait de savoir ce qu’ils font à Rafa et dans le sud de la bande de Gaza, on sent bien que les Israéliens sont écartelés. Joe Biden fait pression quotidiennement pour qu’ils stoppent leur action et laissent arriver les aides et le ravitaillement. Mais même ceux qui détestent Netanyahu, qui le considèrent comme un danger pour le pays et jugent son bilan monstrueux, estiment que le pays n’a pas le choix et qu’il faut éradiquer le Hamas.

Estimez-vous toujours que seuls les Américains peuvent « tordre le bras à Israël » pour faire cesser l’offensive sur Gaza ?
C’est vrai depuis longtemps mais ils ne le font pas… J’ai tellement vécu de l’intérieur les grands épisodes des processus de paix torpillés de part et d’autre que je cesse de me faire des illusions. Seuls les États-Unis ont des moyens de pression, mais ils ne peuvent pas les utiliser car l’opinion publique est entièrement derrière Israël. Pour les Américains, les Israéliens sont des Américains et les Palestiniens sont des Peaux-Rouges ! Les seuls qui ont été courageux, à l’époque contemporaine, sont Georges Bush père et James Baker (*). J’ai entendu Clinton dire pourquoi il ne pouvait rien faire et j’ai lu Obama qui, dans ses mémoires, détaillait ce qu’il faudrait faire et expliquer pourquoi il ne le pouvait pas… Il existe une sorte de paralysie interne aux États-Unis mais, élément nouveau, une partie de la jeunesse décroche et s’affiche désormais anti-israélienne, en virant quasiment pro Hamas. Ce qui complique la tâche de Joe Biden, lequel fait franchement ce qu’il peut dans ce contexte en relançant l’idée d’un État palestinien et en faisant le maximum sur le plan humanitaire.

Le positionnement de la France dans cet épisode vous apparaît-il approprié ?
Compte tenu de la composition de la population française, avec beaucoup de juifs très inquiets et beaucoup de musulmans dont une partie a été gagnée par l’islamisme, nous avons un intérêt vital à ce qu’il n’y ait pas d’escalade israélo-iranienne, mais au contraire une perspective de solution au proche Orient. Beaucoup plus qu’il y a dix ou trente ans. On aurait peut-être intérêt à ce que cela se voit plus, mais avons-nous les moyens d’avoir plus d’influence ? La réponse est non. Sur le fait que la France ait participé, un peu, à contrer l’attaque iranienne, je comprends que nous l’ayons fait à la demande de la Jordanie.

Avons-nous encore réellement un rôle à jouer ?
Il y a 200 pays au Nations Unies, dont 180 qui ne comptent absolument pas et n’ont aucun moyen de pression sur rien. Si un processus de paix était relancé, quelques pays pourraient le soutenir. Cela dépend énormément des Américains et un peu des Européens. Il faudrait trouver un nouveau leader palestinien – ce qui n’est pas très compliqué car il y a deux ou trois personnages tout à fait aptes – et s’assurer que ce leader et le nouveau Premier ministre israélien soient protégés jour et nuit, sous peine d’être assassinés par leurs propres extrémistes. Si tout ce processus était enclenché, alors la France pourrait être très utile. Je pense qu’elle pourrait entraîner l’Europe dans un rôle de soutien très constructif. Notre pays apporterait alors beaucoup aux uns et aux autres. Pour débloquer ce processus, on devrait peut-être, aussi, être plus visiblement en accord avec Joe Biden.

Vous considérez que la France n’est pas suffisamment audacieuse ?
Il ne faut pas présenter de façon masochiste le fait que nous n’avons pas de moyens d’influence. La France a laissé tomber son rôle singulier au Proche-Orient depuis Sarkozy. Cela s’est poursuivi sous Hollande puis sous Macron. Je pense que notre pays peut retrouver un rôle très important si un processus est relancé. Mais elle n’a aujourd’hui aucun levier pour influencer les 64 parlementaires extrémistes qui soutiennent Netanyahu. Tout ce qu’on peut faire sur le plan humanitaire est très bien, mai ce n’est pas le sujet de fond. Il me semble par exemple qu’un engagement plus visible de notre pays dans la recherche d’une solution serait bien compris des Français.

(*) : secrétaire d’État de George H. W. Bush entre 1989 et 1993

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