Quatorze médicaments psychotropes connaissent des difficultés d’approvisionnement, voire des ruptures de stocks depuis plusieurs mois. Les professionnels s’inquiètent de l’impact sur la santé des patients concernés.
Pour 2025, Emmanuel Macron a désigné la santé mentale comme grande cause nationale. Un choix qui répond à un « enjeu majeur de santé publique », précise la page dédiée du site du ministère de la Santé. Pourtant, nombre de spécialistes de la psychiatrie ont dénoncé un « désengagement chronique » de l’Etat sur ce sujet dans une tribune publiée dans Le Monde mi-avril. Le collectif de psychiatres accuse l’Etat d’« abandonner les malades mentaux » en raison, entre autres, d’une pénurie de psychotropes en France.
Depuis plusieurs mois, les patients font face à des tensions d’approvisionnement et des ruptures de stocks de médicaments psychotropes. « La psychiatrie se trouve particulièrement en difficulté avec des tensions d’approvisionnement récurrentes allant jusqu’aux ruptures, et ce pour des molécules de plus en plus nombreuses », a dénoncé fin avril l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo) dans un communiqué cosigné par trente professionnels et syndicats du domaine. Voici ce que l’on sait de cette pénurie qui dure depuis plusieurs mois.
Une quinzaine de médicaments touchés
Quétiapine, téralithe, sertraline, venlafaxine… Quatorze médicaments psychotropes sont concernés par des difficultés d’approvisionnement, voire des ruptures de stocks en France depuis plusieurs mois, selon la liste publiée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ce sont des antipsychotiques, des thymorégulateurs ou encore des antidépresseurs. Ces médicaments agissent chimiquement sur le psychisme et sont utilisés pour traiter la schizophrénie, la bipolarité ou encore certaines dépressions.
David Masson, psychiatre au centre psychothérapique de Nancy, déplore auprès de l’AFP « des manques dans quasiment toutes les gammes de psychotropes, benzodiazépines exceptées », dont « des médicaments incontournables » dans leur catégorie. « Je n’ai pas souvenir d’avoir vu ça ces 20 dernières années. »
Or ces médicaments, qui figurent dans la liste de ceux considérés comme essentiels par le ministère de la Santé, sont indispensables à la prise en charge médicamenteuse au long cours des patients.
Une pénurie aux causes multiples
Plusieurs raisons expliquent cette pénurie. Pour la quétiapine, prescrite à 250 000 patients en France, elle est due à la mise à l’arrêt pendant plusieurs mois de l’usine Pharmathen Institutionnal, située en Grèce, pour un défaut de qualité. Cette usine, qui fournit 60% de la quétiapine distribuée dans l’Hexagone, n’avait pas retrouvé son fonctionnement normal fin avril, selon l’ANSM.
Les autres médicaments sont victimes d’une hausse de la demande mondiale et d’un désintérêt des laboratoires, qui, selon les psychiatres, préfèrent produire des médicaments plus rentables. Par ailleurs, pour Boris Chaumette, docteur en psychiatrie et neuroscience, les prix fixés en France posent problème. « On les[psychotropes] achète moins chers que d’autres pays donc dès qu’il y a une pénurie dans le monde, la France n’est plus alimentée », a-t-il expliqué sur franceinfo.
Des conséquences néfastes sur la santé des patients
Face à la pénurie, le collectif de syndicats de praticiens hospitaliers a dénoncé une « situation intenable » qui pourrait présenter des risques pour les patients. « Pour les médicaments psychotropes, la règle, c’est d’arrêter le traitement progressivement. Sauf qu’en cas de pénurie, les patients se retrouvent obligés d’arrêter brutalement », explique Lucie Joly, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, à France 2. Selon elle, un arrêt soudain du traitement « peut être très mal vécu » par les patients qui peuvent développer « une recrudescence d’angoisse, des idées suicidaires ». L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine a également alerté sur des risques de « déstabilisations cliniques allant jusqu’à des hospitalisations » en cas d’absence de traitement.
Mettre la main sur ces médicaments devient un vrai casse-tête pour les patients. « Dès que je donne mon ordonnance, je vois la tête de la pharmacienne et je sais qu’il n’y en a plus », confie Anne Le Galloudec auprès de France 2. « Il me reste une dizaine de jours pour tenir », explique cette patiente qui fait chaque soir le tour des pharmacies parisiennes à la recherche de quétiapine et de venlafaxine.
Une situation qui devrait durer encore plusieurs mois
Pour pallier ces manques, l’ANSM a annoncé plusieurs mesures d’interdiction d’exportations, de restriction de prescriptions, de délivrance de comprimé à l’unité… Elle a également autorisé les pharmacies à fabriquer elles-mêmes certaines molécules comme la quétiapine.
Pour d’autres médicaments, la situation est bien plus complexe. C’est le cas de la sertraline, un antidépresseur dont le prix de vente a été encadré par un arrêté paru au Journal officiel. Mais ce montant est jugé trop bas par les pharmaciens, qui ont décidé de ne pas le produire par souci de rentabilité, selon leur syndicat.
Dans un bilan publié fin avril, l’ANSM constatait une reprise timide d’approvisionnement pour la quétiapine. La remise à disposition normale de teralithe est attendue pour juin, mais la situation devrait rester tendue pour les antidépresseurs que sont la sertraline et la venlafaxine.