L’Ukraine et ses soutiens européens ont approuvé, vendredi 9 mai, la création d’un tribunal spécial chargé de juger la Russie, à partir de 2026 au plus tôt, pour l’invasion de son voisin. Cette décision a été prise lors d’une réunion à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, entre les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE), le jour où la Russie célébrait à Moscou les 80 ans de la victoire contre l’Allemagne nazie en 1945.
« Ce tribunal veillera à ce que les principaux responsables de l’agression contre l’Ukraine soient traduits en justice », a déclaré la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas. « Chaque centimètre carré de la guerre menée par la Russie a été documenté » et « il n’y a pas de place pour l’impunité », a-t-elle affirmé. Comment ce tribunal va-t-il fonctionner ? Quelles décisions peut-on en attendre ? Franceinfo fait le point.
1 Pourquoi créer un nouveau tribunal ?
La Cour pénale internationale (CPI) a déjà lancé des mandats d’arrêt internationaux contre le président Vladimir Poutine et d’autres responsables russes pour des crimes de guerre, telle la « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. Mais la CPI n’est pas compétente pour juger le crime d' »agression » commis par la Russie, défini comme le fait de déclencher ou de planifier une guerre, détaille le site du Conseil de l’Europe.
Pour que la CPI agisse, il est en effet nécessaire que le pays sous accusation reconnaisse son existence, ce qui n’est pas le cas de Moscou. Ou qu’elle obtienne l’accord du Conseil de sécurité des Nations unies, où la Russie dispose d’un droit de veto. A la demande de l’Ukraine, dès 2022, soutenue par une quarantaine de pays, il a donc été décidé de créer un tribunal spécial afin de contourner cet obstacle.
2 Dans quel cadre va-t-il opérer ?
Le tribunal spécial sera mis en place dans le cadre du Conseil de l’Europe, une institution créée en 1949 pour garantir les droits humains, l’Etat de droit et la démocratie, et qui regroupe 46 pays. Il sera financé par la quarantaine d’Etats qui soutiennent cette initiative. Sa compétence sera fondée sur la compétence territoriale de l’Ukraine. Le siège de la CPI, à La Haye (Pays-Bas), s’est porté volontaire pour l’accueillir, mais le lieu du tribunal n’a pas encore été décidé.
Le tribunal spécial aura pour mandat d’engager des poursuites contre les hauts dirigeants politiques et militaires responsables de la planification, de la préparation, du lancement ou de l’exécution du crime d' »agression » contre l’Ukraine, détaille le site du Conseil de l’Europe. Des dirigeants de Biélorussie ou de Corée du Nord, deux pays alliés de Moscou, pourraient aussi être poursuivis« si des éléments de preuve démontrent qu’[ils] ont joué un rôle important dans le crime d’agression ».
Il sera complémentaire de la CPI et les deux juridictions devraient conclure des accords de coopération mutuelle. Lorsqu’une personne sera détenue par la CPI, cette détention prévaudra sur les procédures engagées devant le tribunal spécial.
3 Comment va-t-il fonctionner ?
Un bureau d’enquête international est au travail depuis juillet 2023 et a déjà rassemblé des centaines de milliers de preuves. Il est placé sous l’autorité d’Eurojust, l’agence européenne chargée de renforcer la coopération judiciaire entre les Etats membres. Une fois le tribunal créé – pas avant 2026 –, les dossiers seront progressivement transférés à ses procureurs, qui bénéficieront de l’appui des juridictions nationales pour leurs propres enquêtes, avant d’éventuelles inculpations. Pour faire respecter ses décisions, le tribunal spécial pourra conclure des accords de coopération avec les Etats.
4 Que risquent les accusés ?
En cas de procès, les accusés risquent une peine d’emprisonnement à vie, si l' »extrême gravité » du crime d’agression est reconnue, ou de 30 ans maximum. La confiscation de leurs biens et des amendes sont également possibles, conformément aux règles établissant ce nouveau tribunal. Tous ces biens seront ensuite transférés vers un fonds de compensation au bénéfice de l’Ukraine, pour financer sa reconstruction.
Si un procès est ouvert en l’absence de l’accusé, ce dernier peut demander à être rejugé après une éventuelle condamnation. Il doit toutefois dans ce cas accepter de se présenter en personne devant le tribunal.
5 Vladimir Poutine sera-t-il jugé ?
En principe, rien n’empêche que le président russe soit jugé un jour, y compris en son absence. Mais en pratique, il est peu probable que cela se produise, tant qu’il reste chef d’Etat. Son immunité présidentielle le protège, ce qui n’empêche pas cependant le tribunal de rassembler tous les éléments en vue d’un éventuel procès. Deux autres responsables russes, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, jouissent de la même immunité, rappelle le site du Conseil de l’Europe.
Se pose également la question de l’éventuelle immunité qui pourrait être accordée à certains responsables russes, dont le président Vladimir Poutine, en cas d’accord de paix conclu entre la Russie et l’Ukraine. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les Etats-Unis militent activement pour la conclusion rapide d’un tel accord.