Cette offensive terrestre, lancée le 6 août, a provoqué des évacuations de dizaines de milliers de civils. « La tâche principale du ministère de la Défense est sans aucun doute d’expulser l’ennemi de nos territoires », a commenté Vladimir Poutine, lundi, lors d’une réunion diffusée à la télévision.
L’Ukraine contre-attaque. Des milliers de soldats sont engagés dans une opération inédite menée dans la région russe de Koursk, après avoir traversé la frontière et pris le contrôle d’une petite trentaine de localités dans une zone de plusieurs centaines de kilomètres carrés. Kiev n’a donné aucun détail sur la situation opérationnelle et les troupes ukrainiennes fonctionnent en mode « silence radio ». Volodymyr Zelensky a toutefois reconnu, samedi soir, que son pays cherchait à « déplacer la guerre sur le territoire de l’agresseur ». Plus tôt dans la semaine, la Maison Blanche avait expliqué qu’elle allait contacter Kiev afin d’en savoir plus sur les « objectifs » de cette incursion en territoire russe.
Après des mois de recul ukrainien sur le front à l’Est, cette offensive a en tout cas surpris la Russie. L’incursion visait initialement à détourner les forces russes des régions ukrainiennes de Kharkiv et du Donbass pour alléger leur pression sur l’armée ukrainienne, selon un responsable ukrainien interrogé par l’AFP. Mais, pour l’instant, « leur pression dans l’Est continue. Ils ne retirent pas leurs troupes de cette zone », même si « l’intensité » des attaques russes y a « un tout petit peu baissé ». Ce responsable a assuré que les alliés occidentaux de l’Ukraine avaient été prévenus de l’incursion « puisque l’armement occidental est activement utilisé » dans cette opération qui constitue la plus grande offensive d’une armée étrangère sur le sol russe depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le ministère de la Défense russe a certes annoncé le transfert d’une partie des unités combattant dans la région de Kharkiv. Mais pour le moment, aucune unité combattant dans la région de Donetsk ne semble avoir été redéployée vers Koursk, souligne également la Conflict Intelligence Team (CIT), un groupe d’analystes russes indépendant. « Il n’y a pas eu de ralentissement notable de l’offensive russe, mais il s’agit de l’objectif le plus évident et le plus réalisable de cette opération. »
Déstabiliser l’adversaire russe dans une zone stratégique
« Pour l’instant, il s’agit d’une opération limitée, dont la conséquence directe sera de réduire la stabilité du groupement russe qui attaque ou rôde autour de Kharkiv », estime l’analyste militaire Oleksiï Kopytko sur les réseaux sociaux. « A en juger par l’échelle et l’intensité de l’opération ukrainienne, tôt ou tard, l’ennemi sera forcé de retirer des troupes d’autres théâtres d’opérations », note l’observateur ukrainien Kostiantyn Machovets sur Facebook. Les précédents raids en territoire russe, revendiqués par des corps de volontaires russes, n’avaient pas obtenu de tels résultats, Mais ils étaient de bien moindre ampleur.
L’incursion de l’armée ukrainienne « n’est pas une conquête territoriale », estime sur franceinfo le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue défense nationale. La région de Koursk est une « base logistique extrêmement importante » et un « carrefour ferroviaire », explique-t-il. Elle n’est « pas protégée comme on peut le voir dans le Donbass ». Jérôme Pellistrandi souligne que l’armée ukrainienne a pu « faire suffisamment de dégâts pour obliger les Russes à revoir leur dispositif » et « rappeler, par exemple, des troupes qui sont sur la ligne de front pour colmater les brèches » dans cette région.
Et pour cause : depuis près d’une semaine, 28 localités de la région de Koursk sont passées sous contrôle ukrainien, a reconnu le gouverneur local russe par intérim, Alexeï Smirnov, qui s’est exprimé lundi en visioconférence. Plus marquant encore, le responsable a précisé que l’opération ukrainienne en territoire russe s’étend sur une zone de 40 kilomètres de largeur et de 12 kilomètres de profondeur. De son côté, l’armée ukrainienne évoque même une zone encore plus large. « Nous continuons à mener des opérations offensives dans la région de Koursk. A l’heure actuelle [lundi après-midi], nous contrôlons environ 1 000 km2 du territoire de la Fédération de Russie », a déclaré le commandant de l’armée ukrainienne, Oleksandre Syrsky, lors d’une réunion avec le président Volodymyr Zelensky.
« Je pense que l’un des objectifs [de Kiev] est de retirer les réserves [russes], de simplifier les actions de nos militaires dans le secteur de Kharkiv et peut-être dans d’autres régions », a pour sa part déclaré à l’AFP l’expert militaire ukrainien Serguiï Zgourets. La géographie de cette zone en Russie permet de « mener de façon efficace ce type d’actions dissuasives contre l’ennemi, avec un dispositif réduit, et c’est ce que fait probablement l’armée ukrainienne ».
Une monnaie d’échange potentielle ?
L’attaque pourrait également avoir un effet psychologique, en remontant le moral des Ukrainiens qui voient leur armée à la peine par ailleurs, tout en déstabilisant la Russie. « Un autre objectif est de montrer à la société russe ce que cela fait quand votre territoire est occupé », déclare à l’AFP Serguiï Solodky, un haut responsable du groupe de réflexion New Europe Centre à Kiev.
Enfin, certains affirment que si l’Ukraine parvenait à conserver ces territoires, elle pourrait s’en servir face à la Russie dans le cadre d’hypothétiques négociations de paix. Il est crucial pour Kiev de mettre tous les atouts de son côté avant l’élection présidentielle américaine qui pourrait de nouveau installer Donald Trump, sceptique à son égard, à la Maison Blanche. Cet argument ne convainc pas le CIT, car cela suppose que les forces ukrainiennes parviennent à conserver la main sur ces territoires jusqu’aux élections, prévues en novembre. Une tâche jugée « extrêmement difficile », selon ces analystes.
Tôt ou tard, la Russie va « arrêter » les unités ukrainiennes dans la région de Koursk mais, si « au bout d’un certain temps, elle n’arrive pas à reprendre ces territoires, ils pourront être utilisés à des fins politiques », juge le responsable ukrainien interrogé par l’AFP.
En attendant, les soldats ukrainiens tentent tout de même de consolider leurs gains territoriaux, selon plusieurs analystes prorusses, puisqu’ils construisent des défenses. « La tâche principale du ministère de la Défense est sans aucun doute d’expulser l’ennemi de nos territoires », a réagi Vladimir Poutine, lundi, lors d’une réunion diffusée à la télévision. « L’ennemi cherche à améliorer sa position de négociation à l’avenir », a commenté le président russe, accusant Kiev d’« exécuter la volonté » des Occidentaux.
Cette offensive n’est pas sans conséquence pour la population civile russe. « A ce jour, 121 000 » personnes « sont parties ou ont été évacuées » de la région de Koursk, a annoncé le gouverneur Alexeï Smirnov, évoquant au moins 12 civils tués et 121 autres blessés. De quoi semer le trouble au Kremlin.