Le président ukrainien doit rencontrer Joe Biden à la Maison Blanche jeudi. Il entend demander une nouvelle à son homologue américain de pouvoir frapper la Russie en profondeur avec les armes livrées par les Etats-Unis.
Une semaine diplomatique importante, avant un automne « décisif » pour la suite de la guerre en Ukraine, d’après Volodymyr Zelensky. Le président ukrainien, en déplacement aux Etats-Unis, est attendu à l’Assemblée générale de l’ONU, mercredi 25 septembre, avant de rencontrer son homologue américain Joe Biden, jeudi, à la Maison Blanche. Le président des Etats-Unis sera « le premier à voir dans le détail » son plan pour mettre fin à la guerre. Volodymyr Zelensku doit également présenter ces propositions au Congrès américain, puis aux candidats à l’élection présidentielle, la vice-présidente démocrate Kamala Harris et son rival républicain Donald Trump.
Le président ukrainien doit aussi réitérer une demande-clé, en cherchant l’autorisation d’utiliser des missiles à longue portée occidentaux pour frapper la Russie plus en profondeur. A ce stade « ni l’Amérique ni le Royaume-Uni ne nous ont donné la permission d’utiliser ces armes sur le territoire russe, sur n’importe quelle cible, à n’importe quelle distance », a rappelé Volodymyr Zelensky. Deux jours plus tôt, le président ukrainien appelait Joe Biden à « prendre des décisions importantes, pour que l’Ukraine devienne plus forte et protège son indépendance pendant qu’il est président des Etats-Unis », rapporte le Washington Post.
Une décision stratégique pour Kiev
Kiev mène déjà des attaques en profondeur sur le territoire russe, mais avec des drones, mais pas avoir des missiles à longue portée, note Le Monde. « Nous continuons à persuader nos partenaires à tous les niveaux », déclarait à ce propos Volodymyr Zelensky le 8 septembre, dans son adresse habituelle aux Ukrainiens. « La Russie ne peut éviter de rechercher la paix que dans la mesure où le monde évite de prendre des décisions fortes visant à vaincre Moscou. Les capacités à longue portée sont l’une de ces décisions-clé et stratégiques », avait-il défendu ce soir-là.
Le député ukrainien Yehor Cherniev a récemment expliqué à ABC News que l’Ukraine espérait pouvoir utiliser des missiles ATACMS livrés par les Etats-Unis pour frapper des cibles sur le sol russe plus lointaines. L’utilisation d’autres missiles, comme des Storm Shadow et Scalp obtenus du Royaume-Uni et de la France, est également demandée. « Cela inspirera les Ukrainiens et notre armée », a défendu Yehor Cherniev auprès de la chaîne de télévision américaine. Avec ces missiles d’une portée de 250 à 300 km, près de 250 installations militaires russes pourraient être atteintes.
« Les Ukrainiens veulent forcer les Russes à repousser d’autant plus leurs bases logistiques, leurs bases aériennes et leurs QG, pointe l’analyste Ulrich Bounat, auteur de La guerre hybride en Ukraine : quelles perspectives ?. Cela permettrait aux Ukrainiens de davantage voir venir les choses, de respirer un peu plus. » Et le chercheur de continuer :
« C’est l’une des dernières lignes rouges de Joe Biden, la faire tomber serait un message très fort à l’attention de Moscou. Cela voudrait dire : ‘On est prêt à soutenir l’Ukraine autant qu’il le faudra’. »Ulrich Bounat, auteur de « La guerre hybride en Ukraine »
à franceinfo
Spécialiste de l’armement, Léo Péria-Peigné, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri), estime également que cette autorisation serait surtout un « symbole ». Elle permettrait aux Ukrainiens « de disposer de davantage de cartes face aux Russes ». « Les Ukrainiens ont déjà des moyens de frapper en profondeur », rappelle l’auteur de Géopolitique de l’armement. « Cela permettrait de frapper des objectifs plus durcis, davantage blindés. Les armes ukrainiennes sont aujourd’hui un peu moins pénétrantes.«
Des alliés paralysés par la crainte d’une escalade
Dimanche, Volodymyr Zelensky a convenu que ses alliés avaient quelques réserves : « Je pense qu’ils craignent une escalade. » Pour Ulrich Bounat, « si les Américains devaient donner leur feu vert, les Occidentaux seraient impliqués dans la phase préparatoire de ces frappes en profondeur ». « Il y a une grande crainte de la part de Joe Biden que cela soit considéré comme une escalade militaire », pointe-t-il. Le président russe a d’ailleurs récemment menacé les pays occidentaux, si cette décision venait à être prise. « Cela changerait la nature même du conflit. Cela signifierait que les pays de l’Otan sont en guerre contre la Russie », a ainsi alerté Vladimir Poutine il y a deux semaines.
Des responsables américains craignent par voie de conséquence que Moscou aide l’Iran et ses soutiens à cibler les forces américaines au Moyen-Orient, d’après les informations du New York Times. Mais cette peur d’une escalade « est un peu absurde », estime Léo Péria-Peigné.
« Je ne vois pas trop ce qu’il y a à craindre, vu l’état de l’armée et des moyens russes. Les menaces de Vladimir Poutine ont déjà été dites dix fois. On se laisse intimider. »Léo Péria-Peigné, chercheur à l’Institut français des relations internationales
à franceinfo
L’administration américaine préfère des frappes de longue portée sur la Crimée annexée et sur la flotte russe dans la région − des attaques jugées bien plus efficaces, d’après un responsable interrogé par CNN. Ce dernier souligne l’offre limitée de missiles de longue portée et l’importance de les utiliser à bon escient.
Vers un assouplissement des restrictions ?
A Washington, des voix s’élèvent pour accéder à la demande de Volodymyr Zelensky. Comme le pointe CNN, des sénateurs démocrates se sont prononcés en faveur de cette autorisation, tout comme un groupe bipartisan d’élus travaillant sur l’Ukraine. « Un changement de politique ne saurait tarder », ont défendu à leur tour 17 anciens responsables américains en matière de sécurité nationale, parmi lesquels d’anciens ambassadeurs. « L’Ukraine frappe déjà des territoires que la Russie considère comme siens, notamment la Crimée et Koursk, avec ces armes. La réponse de Moscou reste inchangée », constatent-ils.
Que décidera Joe Biden dans les jours qui viennent ? « Je vois une voie médiane qui reste à déterminer. Les Etats-Unis pourraient tâter le terrain en autorisant des frappes menées avec des missiles longue portée britanniques », répond Ulrich Bounat. « Cela permettrait aux Américains de dire que ce n’est pas de leur responsabilité, tout en autorisant les Ukrainiens à frapper le territoire russe. » De son côté, Léo Péria-Peigné relève que « les Ukrainiens estiment que Joe Biden finira par lâcher, mais qu’il leur fait perdre beaucoup de temps et de soldats ».