La force internationale est chargée de documenter les mouvements militaires et les violations de la ligne bleue entre les deux pays. Mais elle a dû cesser ses patrouilles par sécurité.
Des Casques bleus pris dans la guerre. Deux soldats du maintien de la paix ont été blessés après le tir d’un véhicule blindé israélien vers une tour d’observation du quartier général de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) à Naqoura, dans le sud du Liban, a annoncé cette dernière dans un communiqué, jeudi 10 octobre.
Les victimes n’ont pas été grièvement touchées, mais elles ont dû être hospitalisées. Elles ne font pas partie des soldats français qui participent à cette force internationale, mais du contingent indonésien, le plus important, a appris franceinfo de source proche du dossier. Avant de tirer, les soldats israéliens avaient « ordonné aux forces de l’ONU présentes dans la zone de rester dans les espaces protégés », a assuré l’armée israélienne dans la soirée.
« Pourquoi la Finul n’a pas riposté ? », s’interroge l’historien militaire Michel Goya, joint par franceinfo, soulignant « qu’il s’agissait d’une position de pure légitime défense. » Le communiqué en forme de « strong protest » (« vive protestation ») publié jeudi illustre une nouvelle fois l’impuissance des missions de la paix des Nations unies, poursuit l’ancien colonel. La Finul est régulièrement pointée du doigt pour son incapacité à prévenir les violations territoriales entre le sud du Liban et Israël, ou à répondre aux violences. « Les missions de l’ONU sont des missions diplomatiques qui utilisent des militaires », euphémise Michel Goya, qui a lui-même participé à de telles opérations à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) dans les années 1990.
Une marge de manœuvre réduite par leur mandat et par le contexte
La Finul, de son aveu même, traversait déjà la période « la plus difficile » de sa mission depuis 2006. Les 10 400 soldats qui la composent, issus d’une cinquantaine de pays, ont été contraints de cesser leurs patrouilles entre Israël et le Liban depuis fin septembre, alors que l’Etat hébreu a lancé des incursions terrestres pour traquer les combattants du Hezbollah dans les villages frontaliers. Les soldats de l’ONU sont contraints de rester dans leurs positions durant de longues journées ponctuées par des tirs, ce qui limite la portée de leur mission.
La marge de manœuvre de la Finul est réduite. « Nous avons actuellement au Liban 600 hommes engagés dans la Finul des Nations unies qui risquent leur vie », a rappelé sur franceinfo Jean-Louis Thiériot, ministre délégué auprès du ministre des Armées et des Anciens combattants. La menace à laquelle ils font face est directe. Quand les belligérants font feu, « ils sont bien sûrs très proches », et certaines explosions ont déjà retenti « à quelques mètres » des bases de la Finul, précisait à franceinfo Andrea Tenenti, porte-parole de la force internationale, avant même les tirs de jeudi.
Alors que ses troupes sont confinées, la Finul conserve tout de même la capacité de fournir des informations sur les mouvements militaires. Ponctuellement, elle a réussi à acheminer de l’eau dans plusieurs villages, mais elle n’est pas encore parvenue à obtenir l’ouverture de couloirs humanitaires.
« Nos capacités de surveillance et d’action sont très limitées. Mais nous faisons toujours flotter le drapeau de l’ONU le long de la ligne bleue ».Andrea Tenenti, porte-parole de la Finul
à franceinfo
Cette ligne de démarcation est contrôlée par la force internationale depuis sa mise en place en 2000, quand l’armée israélienne a opéré son retrait du sud du Liban. Aujourd’hui encore, il n’y a pas de frontière officielle ou reconnue entre les deux pays. La ligne bleue, longue de 120 km, est matérialisée par des barils peints, quand un consensus territorial a été trouvé entre les deux parties. Dans les autres cas – la moitié de la zone – aucun repère visuel n’a été installé. Israël a parfois bâti, en parallèle, une « barrière technique » ou des portions de mur à quelques mètres.
La force internationale, dont le mandat doit être renouvelé chaque année par le Conseil de sécurité de l’ONU, a pour mission de veiller à l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies(Nouvelle fenêtre). En clair, il s’agit de contrôler la cessation des hostilités et d’assurer un accès humanitaire aux populations civiles. « En se montrant, on a un rôle de dissuasion. L’objectif recherché est qu’ils [les membres du Hezbollah] renoncent à tirer, et qu’en face, Israël renonce aussi », expliquait un militaire rencontré en janvier par franceinfo. « Notre mission n’est pas de répondre » aux tirs, ajoutait plus récemment une lieutenante rencontrée par France Télévisions.
« La mission de la Finul est d’observer et de faire remonter les informations à New-York [au siège de l’ONU]. »Une lieutenante de la Finul
à France Télévisions
Officiellement, cette force doit également veiller au retrait des forces armées non étatiques dans le gouvernorat du Sud-Liban, entre la ligne bleue et le fleuve Litani. Mais « le Hezbollah est davantage qu’une milice, c’est également un groupe politique et une force socioéconomique », solidement ancrée dans la région, relève Daniel Meier, professeur à Sciences Po Grenoble. « L’armée libanaise est revenue après la guerre de 2006, mais ce n’est pas pour cela qu’elle a repris le contrôle. »
Le mouvement islamiste dispose toujours de relais dans la majorité des villages du Sud. La vie des Casques bleus est de fait suspendue à des tractations complexes engageant différents acteurs, gouvernementaux ou non. « Au début des années 2010, quand elle trouvait des caches d’armes, la Finul contactait l’armée libanaise, qui demandait au Hezbollah de les évacuer », rappelle Daniel Meier. Fin 2022, un Casque bleu irlandais a été tué dans le sud du Liban, quand le véhicule de la Finul a emprunté un trajet inhabituel pour se rendre à Beyrouth et a été ciblé par des tirs. Un dénommé Mohammad Ayyad, proche du Hezbollah et principal suspect de l’attaque, a été remis aux autorités par le mouvement islamiste lui-même.
Des Casques bleus aux premières loges des combats
La situation actuelle est d’autant plus délicate que la plupart des troupes de l’armée libanaise ont quitté leurs positions depuis une semaine, privant la Finul d’un interlocuteur de terrain. Malgré tout, « le général Aroldo Lazaro, chef de la mission, continue de s’entretenir quotidiennement avec les deux parties », insiste le porte-parole Andrea Tenenti. Mais le chef de la mission se heurte à la détermination d’Israël, qui a même réclamé le départ de certains Casques bleus avant de lancer ses incursions terrestres. La Finul a consulté les pays contributeurs de troupes, dont la France, avant de prendre la décision de conserver ses effectifs sur le terrain.
Cela n’a pas refroidi les ardeurs de l’Etat hébreu. Des soldats israéliens ont mené dimanche une nouvelle opération à quelques centaines de mètres de la base UN-652, occupée par un contingent irlandais. Sa position a été compromise, exposant les Casques bleus aux combats. Les soldats israéliens « ont quitté les lieux [mardi] et n’étaient plus présents jusqu’à [mercredi] matin, commente Andrea Tenenti. Ils étaient là il y a quelques heures, mais je ne sais pas s’ils y sont encore maintenant, car la situation est très fluide et change tout le temps. »
« Nous avons des contacts continus avec la Finul pour être sûrs qu’ils ne se trouvent pas pris dans les échanges de feu entre le Hezbollah et nous », a déclaré de son côté un porte-parole de l’armée israélienne, Nadav Shoshani. Le Hezbollah a affirmé mardi qu’il avait repoussé derrière la frontière des soldats israéliens qui s’étaient « infiltrés » près d’une position des Casques bleus à Labboune, un village frontalier.
« Les bombardements israéliens constants font désormais partie intégrante de la vie quotidienne au Liban », ont déploré la coordinatrice spéciale des Nations unies pour le Liban, Jeanine Hennis-Plasschaert, et le commandant de la Finul, Aroldo Lazaro, et « le Hezbollah lance des tirs de barrage de roquettes et de missiles sur Israël ». Avec l’opération terrestre en cours, la Finul n’a guère plus de leviers.
Une force critiquée de longue date par Israël
« La Finul a échoué dans sa mission » de faire respecter la résolution 1701, a commenté David Mencer, porte-parole du gouvernement israélien, évoquant les « plus de 10 000 roquettes, drones et missiles reçus du Hezbollah l’année dernière ». Aux yeux d’Israël, la présence même du mouvement islamiste dans le sud du Liban marque l’échec de la force internationale : « Nous avons été contraints de repousser le Hezbollah plus au Nord, loin de notre frontière. » Les contempteurs de la mission pointent régulièrement son coût, environ un demi-milliard de dollars chaque année.
« Israël a cherché systématiquement à délégitimer la Finul en affirmant qu’elle n’avait servi à rien d’autre qu’à ratifier la présence, pourtant bien établie, du Hezbollah », souligne Daniel Meier. Certes, le mandat de la Finul interdit à ses Casques bleus d’entrer dans les propriétés privées, de confisquer des armes ou d’interpeller des membres présumés du mouvement islamiste libanais. Mais cette présence internationale, insiste le chercheur, garantit l’absence de violations systématiques dans un sens ou dans l’autre. « Jusqu’en 2007, par exemple, le Hezbollah menait régulièrement des opérations frontalières de kidnappings en Israël. »
« La Finul est sans doute perfectible, mais elle a toujours une fonction d’apaisement car elle incarne une présence internationale massive. »Daniel Meier, professeur à Sciences Po Grenoble
à franceinfo
La Finul peut recourir à la force dans de rares circonstances : en cas de légitime défense, pour protéger le personnel et les installations de l’ONU ou pour aider les civils sous la menace imminente de violences physiques. Cette phase de conflit ouvert ravive les débats sur son rôle. « Les missions de l’ONU n’ont aucune capacité militaire opérationnelle et ne mènent jamais d’opérations offensives, commente Michel Goya. La Finul, force intérimaire, n’a jamais empêché les Israéliens de franchir la frontière en 1982, ni le Hezbollah de combattre ou de mener un raid en 2006. Ce sont des missions extrêmement frustrantes pour ceux qui y participent. »
Faut-il pour autant déserter cette zone tampon entre les deux Etats ? « J’aimerais tout de même que les opinions publiques réfléchissent à ce qui pourrait arriver si nous n’étions pas là », répond Andrea Tanenti quand on l’interroge sur l’utilité de sa mission. « Et s’il n’y avait plus de soldats de la paix, plus de communauté internationale, plus de surveillance des violations, plus personne pour en rendre compte au Conseil de sécurité ? Ce serait dramatique. »