A jamais les deuxièmes ? Samedi 31 mai face à l’Inter, le PSG va tenter de succéder à l’OM dans le panthéon français de la plus grande des compétitions continentales. Comme leurs glorieux prédécesseurs, les hommes de Luis Enrique affronteront un club milanais à Munich pour tenter de décrocher la coupe aux grandes oreilles. Un événement en soi, car le football français tutoie rarement les sommets continentaux. « On peut se réjouir d’avoir un club à ce niveau-là de la compétition », s’est félicitée sur RTL Marie Barsacq, la ministre des Sports. « Je crois que tous les Français sont derrière le PSG, peut-être même les Marseillais, je l’espère. »
A Rouen (Seine-Maritime), en tout cas, Alexandre P. compte déjà les heures. Ce fou du PSG a déjà prévu de porter son maillot porte-bonheur, celui de Bradley Barcola, pour suivre la soirée en compagnie de son frère. La finale perdue en 2020 contre Munich lui laisse encore un goût amer, sur fond de Covid-19 et de restrictions. Cette fois-ci, tout est réuni. « J’ai l’impression que quelque chose se passe en France, et qu’il y a de plus en plus de monde derrière les joueurs et le club », glisse-t-il à franceinfo. Du beau jeu, moins de guerres d’ego et de polémiques… « Sur les réseaux sociaux, veut-il croire, même les influenceurs marseillais semblent moins véhéments que d’habitude. »
Un rapport exclusif au club
Et puisqu’il est question de fierté tricolore, le jeune homme de 23 ans affirme avoir toujours poussé les autres clubs français en compétition européenne, même l’OM en finale de la Ligue Europa, en 2018.
Oui, mais voilà. Si Paris est en France, la France n’est pas Paris. La question d’un éventuel soutien, d’ailleurs, est presque vue comme une provocation par les ultras, ces groupes de supporters qui font vibrer les tribunes de Ligue 1 tous les week-ends. « C’est une blague ? Ici, la seule finale de Coupe d’Europe, c’était celle de l’Union Bordeaux-Bègles » en rugby, répond un supporter girondin. Même tonalité du côté de ce fan auxerrois : « Nous ne sommes pas vraiment concernés par ce match, il n’y a pas d’union nationale avec un club comme le PSG« .
Rien d’étonnant à ces réactions. « L’une des normes essentielles qui régit l’univers des supporters de clubs, c’est l’exclusivité », commente Ludovic Lestrelin, auteur de Sociologie des supporters et maître de conférences à l’université de Caen (Calvados). « Il paraît assez difficile de s’écarter de cette norme, y compris pour un événement de cette ampleur, sous peine de se décrédibiliser aux yeux des autres. » Par ailleurs, toute la saison, « les équipes se positionnent les unes par rapport aux autres dans un championnat, avec un jeu de comparaison incessant. »
Romain est né à Saint-Germain-en-Laye et vit à Paris. Et, surprise, il souhaite pourtant la défaite du PSG. Agé de 27 ans, il a choisi le RC Lens quand il était petit, pour raisons familiales. L’an passé, il a voyagé à Séville (Espagne) et à Eindhoven (Pays-Bas), pour suivre les joutes des Sang et Or. Mais « le PSG, lui, représente tout ce qu’[il] déteste ». Un football de la consommation, où tu achètes ton sandwich et tu te tais. C‘est un ogre financier, qui ne joue pas avec les mêmes règles que les autres et tue le championnat depuis dix ans. » Si Paris mène rapidement 3-0, en finale, il coupera la télé. Mais suivra quand même, « discrètement », le score sur son téléphone.
Même aversion pour Nicolas P., abonné du SCO d’Angers depuis 1992, qui souhaite une défaite du PSG, davantage encore qu’une victoire de l’Inter Milan. « Paris est aux antipodes du football populaire », estime cet amateur de foot de 49 ans. Il n’apprécie guère ce « cheval de Troie du Qatar dans le foot, dont les moyens illimités faussent l’équité du championnat », depuis l’entrée en jeu du fonds Qatar Sports Investments, en 2011. Ni le rôle pris par Nasser al-Khelaïfi, son président, qu’il décrit comme le « vrai patron de la LFP », la ligue professionnelle, dirigée par Vincent Labrune.
La popularité du PSG croît au fil des ans
Passé progressivement « de l’indifférence à la détestation », Nicolas P. reconnaît toutefois que des questions générationnelles entrent en jeu pour expliquer l’enthousiasme populaire attaché à un club. « A mon époque, c’est plutôt Marseille qui cartonnait et je me souviens qu’une banderole « Forza Milan » [« Allez Milan »] avait été déployée au Parc des Princes », avant la fameuse victoire en C1.
La place particulière du PSG, club d’une capitale dans un pays historiquement centralisé, accentue encore la donne. « La France s’est construite avec le poids très important de Paris, qui cumule plusieurs fonctions et pouvoirs », analyse Ludovic Lestrelin. « L’OM, alors, est perçu comme un club de la périphérie, de la marge, plus métissé aussi… Le club était alors très soutenu dans les banlieues autour de Paris. Et même en Normandie, à Gisors, j’ai vu défiler des gens dans les rues [lors de la victoire en 1993]. » Les épopées européennes de Saint-Etienne, de l’OM, de Lyon, ont également généré des vagues de supporters, au-delà des seuls départements concernés.
Mais le PSG, lui aussi, conquiert peu à peu les cœurs grâce à sa régularité au plus haut niveau. Quelque 46% des Français et 69% des amateurs de football en ont désormais une bonne opinion de l’équipe, selon un récent sondage de l’institut Odoxa pour RTL. « L’identification à un club se joue plutôt jeune », commente Ludovic Lestrelin, soulignant l’attrait des nouvelles générations pour les joueurs célèbres et talentueux qui truffent le vestiaire parisien. « C’est maintenant le club dominant sportivement, qui a empilé des individualités, même si le projet a changé. Tout ceci est le fruit du volontarisme de la direction et d’une stratégie à long terme. »
« Etre chauvin avec les clubs français »
Dans ce contexte, les audiences de la finale seront scrutées de près. Le parcours de Saint-Etienne, finaliste en 1976, avait installé le football à la télévision française, alors que certains présidents de club craignaient encore que les retransmissions ne vident les stades. Les joueurs de l’ASSE étaient alors devenus des héros nationaux, d’autant qu’ils affrontaient en finale un ogre, le Bayern Munich. Dix-sept ans plus tard, la victoire de l’OM face au Milan AC avait été suivie par 43% des foyers français sur TF1, soit 15,1 millions de personnes, selon Médiamétrie.
Mais Ludovic Lestrelin souligne un « certain effritement de l’audience, y compris pour les finales européennes des clubs français ». Celle de la Ligue Europa entre l’OM et l’Atlético avait attiré 6,7 millions de téléspectateurs sur M6 en 2018 – le match était aussi diffusé sur BeIN. Le PSG – Bayern, en 2020, avait rassemblé 11,4 millions de téléspectateurs sur TF1. Deux fois moins que la finale du Mondial avec les Bleus en 2022, les seuls à rassembler largement les Français.
Guillaume P., supporter invétéré de l’OGC Nice, ne comprend pas cette frilosité. « Soyons chauvins ! Il y en a marre de passer pour des abrutis » dans les compétitions européennes. L’amour d’un club n’empêche pas d’être amateur de foot, selon lui, surtout quand « on voit, cette année, le jeu proposé par le PSG ». Le quinquagénaire cite volontiers les parcours européens des clubs français, de la remontada de Metz face à Barcelone (Coupe des coupes en 1984) à la finale de l’AS Monaco (Ligue des champions en 2004), pourtant le grand rival des Aiglons.
Même Basile Boli s’y met…
De manière plus prosaïque, rappelle Guillaume P., les victoires françaises permettent également d’améliorer les résultats sportifs, décisifs pour l’indice UEFA du pays, qui détermine le nombre de clubs autorisés dans les compétitions continentales. « On aura plus d’argent et plus de meilleurs joueurs, alors que les droits télévisés sont en baisse ».
En attendant la finale, plusieurs entraîneurs de Ligue 1 ont déjà exprimé leur solidarité avec le club de la capitale. L’entraîneur de Lille, Bruno Genesio, s’est dit « très heureux qu’il y ait une équipe française en finale ». Pour son homologue rennais, Habib Beye, « il faut espérer pour le football français gagne la Ligue des champions ». Quant à Vincent Labrune, président de la LFP, il n’a pas manqué l’occasion de vanter son propre travail, engagé « depuis plusieurs années pour accompagner et structurer nos clubs professionnels ». Mais c’est Basile Boli, le buteur marseillais de la finale de 1993, qui a fait sensation en déclarant qu’il soutiendrait le PSG.
Ce genre de débats peut paraître un peu désuet dans les pays voisins, davantage habitués aux finales européennes. « Je suis sûr qu’en Italie, il n’y a pas un journaliste qui a eu l’idée d’aller voir [Paolo] Maldini [légende du Milan AC, rival de l’Inter Milan] pour lui demander s’il était pour l’Inter par exemple », a notamment pesté Eric Di Meco, ancien joueur marseillais. « Un vrai supporteur de l’OM ne peut pas être heureux si le PSG gagne la Ligue des champions », a également déclaré Laurent Tapie, fils de l’iconique président, sur BFMTV. Quitte à forcer un peu le folklore.