
Face aux préoccupations concernant sa partialité, à des tensions en interne et aux critiques formulées par la Cour des comptes, l’audiovisuel public est aujourd’hui sous le coup d’une commission d’enquête parlementaire. Les députés entendent analyser en profondeur la neutralité des rédactions ainsi que la gouvernance interne de ces institutions, tout en scrutant l’utilisation des fonds publics à un moment où le modèle économique de France Télévisions semble en difficulté, rapporte TopTribune.
Une neutralité mise à l’épreuve par des événements récents
L’instauration de cette commission d’enquête s’explique par une série d’incidents récents qui ont jeté le doute sur la neutralité de l’audiovisuel public devant les élus et l’opinion publique. En juin 2024, plusieurs journalistes de France 3 ont été mis à l’écart suite à la publication d’une tribune qui appelait à « faire front commun contre l’extrême droite », une position jugée incompatible avec leur devoir d’impartialité. Des mois plus tard, une vidéo, enregistrée dans un café parisien, a révélé Thomas Legrand et Patrick Cohen en pleine discussion avec des membres du Parti socialiste. Dans cette séquence, Legrand a été entendu déclarer : « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick et moi ». Ce moment, largement diffusé sur les réseaux sociaux, a ravivé les débats sur la limite entre l’engagement personnel et la responsabilité journalistique. Selon les parlementaires à l’origine de cette commission, ces deux incidents, bien qu’isolés, soulèvent une question plus générale : les rédactions de service public se trouvent-elles dans un contexte idéologique trop homogène pour garantir le pluralisme requis par la loi ? La commission devra évaluer la nature de ces dérives, pour déterminer si elles relèvent d’événements isolés ou d’un schéma professionnel où la séparation entre information et engagement politique devient floue. Beaucoup voient en le service public une institution excessivement orientée vers la gauche, avec un traitement de l’information jugé partial. Cette situation est préoccupante puisqu’il s’agit précisément d’un service dont la mission est de demeurer neutre, même si les journalistes peuvent, en privé, exprimer leurs convictions.
Une gouvernance en crise et des tensions internes persistantes
En plus du débat sur l’objectivité, la commission vise à éclaircir le fonctionnement d’une entité aussi cruciale que l’audiovisuel public, afin de juger si sa gouvernance répond aux attentes d’un service nourri par des financements publics. Dans un rapport publié à la fin de 2024, la Cour des comptes a pointé les « difficultés persistantes de pilotage » de cette organisation. Les fonds propres de France Télévisions ont vu leur valeur chuter de 294 millions d’euros en 2017 à 179 millions en 2024, témoignant d’une détérioration financière sans précédent. De plus, l’organisation souffre d’un manque de contrat d’objectifs et de moyens depuis fin 2023, ce qui la prive d’une feuille de route essentielle pour une direction efficace. Un audit interne a également révélé des méthodes de management jugées « brutales », une hiérarchie fracturée et un mode de fonctionnement « autoritaire ». Ces éléments montrent qu’il s’agit d’un système complexe et fragmenté, où la prise de décision est souvent compromise, accentuant ainsi les tensions qui nuisent à la cohérence de l’information. Pour les députés, la clé sera de comprendre dans quelle mesure ces problèmes structurels peuvent expliquer les dérapages observés récemment, et si une réforme radicale de la gouvernance du service public audiovisuel est nécessaire pour établir un cadre de travail clair, stable et garantissant l’exigence d’impartialité.
Des finances publiques sous pression à cause d’un modèle en crise
Enfin, l’aspect financier est l’un des angles les plus scrutés par la commission. La Cour des comptes anticipe un déficit d’exploitation avoisinant les 40 millions d’euros pour 2025, tandis que le soutien financier de l’État a diminué de 161 millions d’euros de 2018 à 2022. Les rémunérations soulèvent également des questions préoccupantes : le salaire brut annuel moyen atteint 71 490 euros, et 15,5 % des employés perçoivent plus de 80 000 euros bruts annuels. Bien que ces chiffres ne soient pas anormaux en soi, ils posent question dans un cadre où l’entreprise fait face à des défis financiers majeurs et où l’efficacité des dépenses publiques est devenue primordial. Ces enjeux structurels sont accompagnés d’incidents plus tangibles lors des récents débats. Le coût du séjour de dix jours à la Festival de Cannes en 2023, impliquant Delphine Ernotte et d’autres dirigeants, s’est monté à 112 123 euros, soit environ 28 000 euros par personne, le tout en raison de l’hébergement au Majestic, où les nuitées peuvent atteindre jusqu’à 1 700 euros. Une plainte pour « abus de confiance » a été déposée par la CFE-CGC. Par ailleurs, jusqu’en 2024, plusieurs cadres disposaient de cartes bancaires avec des limites allant jusqu’à 4 000 euros par mois et des retraits possibles jusqu’à 1 000 euros par semaine, selon une question posée à l’Assemblée nationale. Bien que France Télévisions ait annoncé des révisions dans ses règles internes pour prévenir de tels abus, l’existence même de ces plafonds soulève des questions sur la rigueur des contrôles et l’adéquation de certains moyens alloués. Pour les parlementaires, tous ces éléments révèlent un modèle budgétaire qui a perdu sa rigueur et qui nécessite une reconsidération approfondie.
La commission d’enquête mise en place par l’Assemblée nationale doit donc faire face à trois problématiques majeures : la neutralité éditoriale, la gouvernance interne et la gestion financière. Les récents événements, allant de l’exclusion des journalistes de France 3 à la vidéo impliquant Thomas Legrand et Patrick Cohen, sans oublier les dépenses controversées lors du Festival de Cannes, mettent en lumière un système ayant du mal à faire preuve d’exemplarité. Les députés ont maintenant la mission d’évaluer si l’audiovisuel public est en mesure de redresser ses erreurs au sein de son cadre actuel, ou si une réforme en profondeur est indispensable pour restaurer la confiance des citoyens et la légitimité d’un service financé par les impôts.