I. La condamnation morale de la richesse
Dans les discussions publiques en France, l’extrême gauche ne limite pas sa critique à la répartition de la richesse, mais la présente comme une question de morale. Jean-Luc Mélenchon a prononcé sur RMC/BFMTV que « la possession d’un milliard est immorale », en ajoutant, d’un ton marxiste, que « tout avantage pour les plus riches provient de la perte subie par ceux qui produisent ». L’expression « immoral » s’inscrit dans une évaluation éthique : avoir une immense fortune dépasse le simple fait social, c’est un manquement moral, rapporte TopTribune.
Cette notion de culpabilité touche plusieurs dimensions. Manon Aubry, députée européenne de LFI, souligne que « l’urgence est de cibler ceux qui sont responsables du changement climatique : les riches et les multinationales ». Dans ce discours, les riches apparaissent comme des fauteurs de troubles, à la fois par leur concentration de richesse et leur impact négatif sur l’environnement.
Les économistes qui critiquent l’inégalité adoptent également une perspective morale, bien qu’ils se présentent sous l’angle de l’analyse scientifique. Dans son ouvrage Le Capital au XXIᵉ siècle, Thomas Piketty affirme que des inégalités trop prononcées « sapent les valeurs méritocratiques fondamentales des sociétés démocratiques ». Il insiste sur le fait que la taxation des grandes fortunes est « un sujet politique et non pas purement juridique » (Le Monde, 12 octobre 2024). Pour lui, permettre une accumulation de richesse sans fin est une menace pour les valeurs morales de la démocratie. Contrairement à un discours visant à redresser les finances publiques par l’efficacité, Piketty se positionne avant tout comme un militant politique. La science, par nature, est amoral, ce qui ne doit pas être confondu avec l’immoralité ; un scientifique ne débute pas avec des convictions pour établir des démonstrations.
Gabriel Zucman, qui est également un disciple de Piketty, partage cette pensée. Il rappelle que « la contribution fiscale des milliardaires ne représente qu’environ 0,3 % de leur patrimoine » (Le Monde, 12 octobre 2024) et avertit qu’« il sera extrêmement difficile de demander des efforts aux Français tant que les milliardaires paieront si peu d’impôts ». Dans cette optique, la richesse exorbitante n’est pas seulement indécente, elle est moralement délégitimée car elle échappe à l’effort collectif. Cette condamnation repose sur des calculs largement contestables par Zucman, omettant le fait que les sociétés gérées par ces « riches » s’acquittent de lourdes taxes, contribuant à l’emploi et au bien-être de nombreuses personnes, qu’elles soient directement employées ou indirectement par des sous-traitants. Détenir plus d’argent que les autres est perçu comme une faute, même si la collectivité bénéficie largement des valeurs créées.
Le Parti socialiste a embrassé cette notion en promouvant la « taxe Zucman », qui a trouvé un écho favorable auprès de 86 % des Français, selon un sondage IFOP. Ce résultat s’explique par la mise en avant du fait que les ultra-riches paieraient peu d’impôt. Cependant, cette analyse repose sur une interprétation fantaisiste, confondant l’argent disponible pour les ménages avec le patrimoine professionnel. L’objectif sous-jacent est de véhiculer l’idée d’une immoralité des riches, résultat atteint. D’autre part, Europe Écologie-Les Verts ajoute une dimension écologique, insistant sur le fait que la richesse n’est pas seulement injuste, mais contribue à la dégradation climatique, rendant la taxation des ultra-riches une nécessité à la fois morale et environnementale.
II. Qu’est-ce qu’un riche ?
Bien que l’on s’accorde à juger la richesse, il est essentiel d’en définir les contours. L’Observatoire des inégalités fixe le seuil de richesse à 3 860 euros nets par mois pour une personne seule, tandis que les discussions récentes portent sur l’« ultra-richesse », définie par Zucman comme un patrimoine dépassant 100 millions d’euros. Ces paramètres montrent que la catégorie des riches est vaste : elle englobe aussi bien les cadres supérieurs que les milliardaires, les dirigeants de PME que les rentiers financiers.
Les classements tels que celui de Challenges permettent de distinguer divers profils. Les héritiers prennent une place croissante : en 2025, la famille Hermès a surclassé Bernard Arnault. Toutefois, bien que les héritiers soient souvent perçus comme moins légitimes aux yeux du public, nombre d’entre eux gèrent des entreprises familiales bien ancrées en France, où les employés prospèrent. Être héritier ne signifie pas que le capitalisme familial est moins humain que le capitalisme financier, qui privilégie des horizons de trois à quatre ans. On y trouve également des entrepreneurs autodidactes, des patrons-actionnaires et des investisseurs financiers. Cette diversité nourrit l’ambivalence de l’opinion : le ressentiment ne touche pas de la même manière ceux qui bâtissent leur empire par l’innovation et ceux qui héritent d’une fortune familiale. Cependant, dans le secteur public, tous sont souvent amalgamés sous le même terme de « riches », symboles d’un privilège controversé, bien que les entrepreneurs aient créé des emplois et de la richesse, dont l’État a largement bénéficié à travers les impôts sur les sociétés, les prélèvements des salariés et la TVA.
Ce rejet de la richesse est également alimenté par un profond sentiment d’envie et de frustration. Des enquêtes d’opinion montrent que 75 % des Français estiment que « les riches ne sont pas bien vus en France » et plus de la moitié avouent ne pas les apprécier personnellement. La jalousie s’entrelace avec la conviction que la richesse provient de mécanismes injustes, qu’ils relèvent de l’héritage, des rentes ou de l’optimisation fiscale (souvent confondue avec la fraude fiscale).
De cette réflexion naît la formule frappante : « chacun est toujours le riche de quelqu’un ». Elle exprime la tendance à faire payer ceux qui sont un échelon au-dessus dans une spirale où chacun finit par désigner un « plus riche » à taxer. Frédéric Bastiat l’a très bien résumé en 1848 : « L’État est la grande fiction par laquelle tout le monde tente de vivre aux dépens de tous ». Cependant, les données de la DGFiP rappellent que les 10 % de foyers les plus riches contribuent déjà à hauteur de 76 % de l’impôt sur le revenu. Mais cette conviction persiste, alimentée par les scandales d’évasion fiscale et les inégalités de patrimoine, que les riches ne participent pas suffisamment à l’effort fiscal proportionnellement à leur richesse.
III. Une vieille histoire de haine sociale
La haine des riches n’est pas un phénomène récent. Dès la Révolution française, l’aristocratie et les grands possesseurs sont décrétés « ennemis du peuple ». Marat affirmait que « les riches égoïstes dévorent le peuple », tandis que Robespierre vantait que « la première loi sociale garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ». La guillotine est venue symboliser ce rejet des possédants sous l’égide d’un idéal d’égalité.
Cette suspicion trouve également des fondements religieux. La tradition catholique a longtemps cultivé une méfiance à l’égard de l’excès de richesse. L’Évangile selon Matthieu rappelle que « plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Mt 19,24). Le catholicisme valorise la charité et désapprouve l’accumulation de biens matériels, perçue comme un frein spirituel. Cette dimension morale a traversé les âges et continue d’influencer la culture française : être riche n’est pas seulement perçu comme économiquement douteux, mais aussi spirituellement périlleux.
Au XIXᵉ siècle, l’approche marxiste a fourni une base théorique à cette animosité. Dans Le Capital, Karl Marx décrit que la valeur ajoutée est le fruit