Elections européennes 2024 : comment expliquer la méconnaissance du fonctionnement de l'UE en France ?
Elections européennes 2024 : comment expliquer la méconnaissance du fonctionnement de l'UE en France ?

Elections européennes 2024 : comment expliquer la méconnaissance du fonctionnement de l’UE en France ?

09.05.2024
6 min de lecture

Si les élus et spécialistes mettent en avant le rôle de l’école et des médias, la responsabilité est aussi politique.

Connaissez-vous le nom et la fonction d’Ursula von der Leyen ? Si la réponse est oui, vous faites partie d’une minorité. Dans le baromètre européen publié par l’institut ViaVoice* en décembre 2021, seuls 23% des Français sondés déclaraient connaître le nom et le rôle de la présidente de la Commission européenne. Vingt-deux pour cent disaient avoir entendu parler d’elle, et 48% ignoraient tout à son sujet.

En matière d’information sur les problématiques européennes, la tendance ne semble d’ailleurs pas être à l’amélioration. Dans le sondage Eurobaromètre dévoilé le 6 décembre 2023 par l’Union européenne (UE), 47% des Français sondés déclaraient ne pas savoir quand auraient lieu les élections européennes, organisées en France le 9 juin 2024. Un score d’autant moins reluisant qu’il est 17 points plus élevé que la moyenne européenne. Comment expliquer une telle méconnaissance de l’UE en France ? 

Une éducation à l’Union européenne insuffisante

L’eurodéputée écologiste Karima Delli a sa petite idée. Pour elle, le souci réside dans l’absence d’évocation des enjeux européens en dehors des échéances électorales. « Commencer à parler d’Europe au moment des élections européennes, c’est déjà trop tard », déplore l’élue. Pour Valérie Hayer, eurodéputée Renew et tête de liste de la majorité présidentielle le scrutin de juin, cette méconnaissance des institutions européennes soulève « une question civique et politique européenne ». 

« Oui, le système européen est complexe et nous devons tout faire pour que les Français le comprennent. »Valérie Hayer, eurodéputée et tête de liste de la majorité présidentielle

à franceinfo

Les spécialistes et députés européens interrogés par franceinfo s’accordent pour dire que le système scolaire français a sa part de responsabilité. « L’Union européenne est beaucoup moins enseignée en France » que dans d’autres pays de l’UE, explique la politiste Virginie Van Ingelgom, professeure à l’université catholique de Louvain (Belgique). La thématique est pourtant présente au programme des élèves de troisième au travers d’un cours de géographie intitulé « La France et l’Union européenne », et un chapitre d’histoire nommé « Affirmation et mise en œuvre du projet européen »« Mais cela n’est pas suivi dans le cursus et tombe dans les oubliettes », dénonce l’eurodéputée socialiste sortante Sylvie Guillaume.

En mars 2022,la commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen avait d’ailleurs présenté un rapport sur le déploiement de mesures en faveur de l’éducation civique. Elle s’y disait « préoccupée par l’attention limitée accordée aux aspects européen et mondial de la citoyenneté dans les programmes scolaires nationaux ».

La politologue Virginie Van Ingelgom déplore en outre que la tendance du système scolaire français à privilégier une lecture du fonctionnement de l’UE à travers les intérêts nationaux et non européens. « L’Europe est enseignée avec des termes nationaux, on apprend l’Union européenne par le prisme de la France », explique-t-elle. 

Une présentation d’autant plus problématique que « l‘Union européenne peut paraître atypique pour certains citoyens français » en raison de son fonctionnement politique, observe l’historien de la construction européenne Sylvain Kahn. « Il y a une spécificité dans la culture française avec un régime semi-présidentiel » où le chef de l’Etat détient un pouvoir fort sous la Ve République, explique-t-il. A l’inverse, au sein de l’UE, le pouvoir est davantage partagé entre les différentes institutions qui la composent, notamment le Parlement européen.

Le traitement médiatique de l’UE pointé du doigt 

Outre l’éducation, les médias ont aussi une part de responsabilité dans cette méconnaissance. Selon une étude de la fondation Jean-Jaurès* publiée en juin 2023, seuls 2,6% des sujets de journaux télévisés et de radio du panel étudié ont été consacrés aux questions européennes entre 2020 et 2022.

Le constat est sans équivoque pour Sylvain Kahn : les médias français souffrent d’un « manque de curiosité » pour les sujets européens. En 2020, l’étude* réalisée par ViaVoice pour l’association du Mouvement européen établissait déjà que 55 % des Français s’estimaient mal informés concernant l’UE. Près de 72% disaient pourtant vouloir être davantage informés sur ce sujet.

« Il ne faut pas négliger l’importance des médias, qui relaient et vulgarisent les questions européennes », juge à ce sujet l’eurodéputée Sylvie Guillaume. Pour la cheffe de file de Renaissance, Valérie Hayer, « la dimension européenne de l’actualité est très riche, mais encore trop reléguée aux pages internationales des médias ». Sylvain Kahn estime pour sa part que l’actualité européenne est trop traitée sous le prisme de la polémique. « Même la presse écrite dite ‘sérieuse’ privilégie un type d’information où il y a du drame », déplore ainsi l’historien.  

« Le journalisme est un pilier de nos démocraties et nourrit le débat civique et politique. Les médias portent une responsabilité très importante en vue du scrutin de 2024. »Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste

à franceinfo

La politologue Virginie Van Ingelgom nuance toutefois cette explication. Selon elle, l’insuffisante médiatisation des questions européennes serait aussi la conséquence de la faible communication de la part des partis politiques sur ces mêmes enjeux. « La responsabilité des médias existe, mais c’est aussi la faute des acteurs politiques : c’est un cercle vicieux », relève-t-elle. 

Les acteurs politiques, pas au rendez-vous de l’UE ? 

« Les élections européennes sont perçues comme des élections de second ordre » autant par les citoyens que par les politiques eux-mêmesaffirme la politologue. Les partis français ont en outre tendance à « mélanger les échéances et faire des élections européennes de 2024 les élections présidentielles de 2027 », dénonce Sylvie Guillaume. 

Les responsables français sont par ailleurs enclins à « invisibiliser l’Union européenne lorsque ses mesures sont appliquées au niveau national et local, même lorsqu’elle finance les politiques dont il est question », avance la politologue Virginie Van Ingelgom. Bien que souvent perçue comme complexe et éloignée des territoires, l’Union européenne distribue en effet des subventions qui servent à concrétiser de nombreux chantiers, à l’image de la ligne C du métro toulousain, qu’elle a financé à hauteur de 220 millions d’euros.

Sylvie Guillaume pointe également du doigt un « petit jeu du gouvernement, qui souvent se dédouane de ses difficultés en mettant en cause les dysfonctionnements européens, autant qu’il s’approprie les victoires de l’Union européenne pour son compte personnel »« Quand ça ne va pas, c’est à cause de l’Union européenne, mais quand ça va, c’est grâce à l’échelon national », résume Virginie Van Ingelgom.

Les sujets européens, facteurs de mobilisation

Malgré une faible connaissance du fonctionnement de l’UE, les Français ne désintéressent pas pour autant des problématiques européennes. La récente colère des agriculteurs, qui a particulièrement visé la politique agricole commune, en est le dernier exemple. « Les agriculteurs qui ont manifesté au pied du Parlement européen, c’était aussi un signe que cette profession, très liée à la politique européenne sur le sujet, sait qui agit sur quoi », constate Valérie Hayer.

L’eurodéputée écologiste Karima Delli ne pense pas « que les Européens se désintéressent de l’Union européenne autant que ce que l’on peut penser, mais qu’ils ne sont pas suffisamment entendus ». L’élue en veut notamment pour preuve la mobilisation autour de la réautorisation du glyphosate pour dix ans par la Commission européenne en novembre 2023, alors même qu’en 2016, une initiative citoyenne européenne avait recueilli plus d’un million de signatures pour interdire l’herbicide.

Sylvie Guillaume observe, elle aussi, cette « constante dans la politisation » sur les sujets européens. « Bien que le fonctionnement de l’Union européenne paraisse pour certains abstrait, lointain ou difficile, cela n’apparaît pas comme un obstacle à l’implication sur tel ou tel enjeu », remarque-t-elle. Reste cependant que le taux de participation aux européennes a pour habitude d’être faible. Il a atteint 49,9 % lors des dernières élections en 2019. L’ampleur de la participation citoyenne est l’une des principales inconnues du scrutin du 9 juin.

Source: franceinfo

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