Droits de douane, Ukraine, Otan... Face à Donald Trump, l'Union européenne cherche la stratégie à adopter, entre angoisse et pragmatisme
Droits de douane, Ukraine, Otan... Face à Donald Trump, l'Union européenne cherche la stratégie à adopter, entre angoisse et pragmatisme

Droits de douane, Ukraine, Otan… Face à Donald Trump, l’Union européenne cherche la stratégie à adopter, entre angoisse et pragmatisme

23.01.2025
7 min de lecture

Les dirigeants européens observent avec inquiétude et résignation le retour du milliardaire américain à la Maison Blanche.

« Nous nous montrerons pragmatiques, mais nous ne renoncerons pas à nos principes ». Cette phrase, lâchée mardi 21 janvier par Ursula von der Leyen, résume bien la position de l’Union européenne (UE) face au retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. La présidente de la Commission européenne s’exprimait depuis le Forum économique mondial de Davos, en Suisse, au lendemain de l’investiture du président américain pour un second mandat. 

Tout en s’alarmant des nouvelles « rivalités géostratégiques impitoyables », la dirigeante européenne n’a mentionné qu’une seule fois les Etats-Unis dans son discours, préférant s’exprimer sur la Chine. On est bien loin de la sidération qui avait saisi les capitales et institutions européennes en 2016, après la première victoire de Donald Trump à la présidentielle. « Cette fois, c’est la prudence et le flou qui dominent et si l’on sait que ça va être une période difficile, on essaie de comprendre l’étendue des défis qui attendent l’UE », explique à franceinfo Eric Maurice, analyste au European Policy Centre à Bruxelles.

Si la « prudence » est de mise, il est impossible, pour les décideurs européens, d’être naïfs. « Ils savent exactement qui est Donald Trump, puisqu’il a déjà occupé le pouvoir », rappelle Sophie Pornschlegel, directrice adjointe de l’Institut Jacques-Delors. La spécialiste émet cependant une mise en garde : « Le grand danger, c’est que l’on se dise que l’on sait déjà ce que ça va être, alors que le second mandat de Donald Trump risque d’être encore plus négatif pour l’Europe. » 

Un risque de guerre commerciale

La volonté du 47président américain de mettre « l’Amérique en premier » risque de venir violemment secouer l’UE, en premier lieu sur le front économique. Donald Trump, jugeant « l’UE très mauvaise » pour son pays, a ainsi confirmé mardi son intention d’imposer des droits de douane aux produits européens. Les Etats-Unis sont le premier partenaire commercial de l’UE, qui y exporte davantage qu’elle n’importe. Selon une note(Nouvelle fenêtre) d’analyse publiée par la banque Goldman Sachs en décembre, l’imposition de droits de douane à hauteur de 10% réduirait de 1% le PIB de la zone euro et de 0,73% celui de la France. Un manque à gagner difficilement envisageable pour l’UE, déjà engluée dans une économie mollassonne et dont la première économie, l’Allemagne, est en récession.

Face à ces menaces, le commissaire européen à l’Economie, Valdis Dombrovskis, a déclaré mardi que l’UE était « prête à défendre ses intérêts économiques » si nécessaire, comme elle l’avait déjà fait en 2017, en imposant des droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Face au risque de guerre commerciale, « l’Europe doit offrir un deal » à Donald Trump, a suggéré le chef des eurodéputés conservateurs, Manfred Weber, sur X(Nouvelle fenêtre). Mais l’UE n’a pas encore défini de position commune sur le sujet.

L’UE accusée de ne pas en faire assez pour sa défense

Un autre domaine inquiète particulièrement les Européens, notamment à l’Est et en Scandinavie : la défense. « Les pays européens restent très dépendants de Washington et de l’Otan pour assurer leur sécurité », rappelle Sophie Pornschlegel. En 2017, Donald Trump avait qualifié l’Otan « d’obsolète » et invité les pays membres de l’Otan à augmenter leur budget de défense à hauteur de 2% de leur PIB avant 2024. Lors de sa campagne pour la présidentielle 2024, il a parlé d’un nouvel objectif de dépense à hauteur de 5%. Une cible difficile à atteindre en cas de « guerre commerciale qui nous coûte énormément », a prévenu le Commissaire européen à l’Industrie, Stéphane Séjourné, sur France Inter(Nouvelle fenêtre) mardi.  

Pas étonnant, donc, que les leaders européens cherchent pour l’instant à brosser le locataire de la Maison Blanche dans le sens du poil. Donald Trump « a raison » de dire que l’Union européenne ne dépense pas assez sur la défense, a ainsi affirmé mercredi la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas. C’est simple, « si l’Europe veut survivre, elle doit s’armer », a lancé mercredi le Premier ministre polonais, Donald Tusk, devant le Parlement européen.

Dans la balance s’ajoute le soutien de Washington à l’Ukraine dans sa guerre avec la Russie. Le 47président américain avait promis durant la campagne de mettre fin à la guerre en un jour. L’administration américaine affiche son ambition d’aboutir rapidement à un accord avec Moscou, avec ou sans les Européens, quitte à forcer Kiev à faire des concessions territoriales encore inenvisageables il y a quelques mois.

« La paix doit être celle choisie par l’Ukraine et les Ukrainiens », a rappelé le président du Conseil européen(Nouvelle fenêtre), Antonio Costa, devant le Parlement européen. Pas de quoi rassurer le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. « Il n’est pas certain que l’Europe aura même une place à la table des négociations lorsque la guerre contre notre pays prendra fin », s’est-il alarmé à Davos mardi, rapporte Politico(Nouvelle fenêtre). 

Un manque de leadership

Face à la nouvelle donne américaine, l’UE, avec sa culture du dialogue et des compromis, semble construite pour un monde qui n’existe plus. « Donald Trump, comme la Russie et la Chine, participe à la déstabilisation de l’ordre international fondé sur des règles communes et la diplomatie », souligne Eric Maurice. « Cette organisation était plutôt avantageuse pour l’UE, avec son économie faible et son absence de visée impérialiste », ajoute le spécialiste.

De quoi pousser le bloc à se chercher de nouveaux partenaires, au moins commerciaux. En témoigne la volonté d’Ursula von der Leyen, ces derniers mois, de finaliser rapidement l’accord du Mercosur. L’UE n’est pas aidée par son processus de décision, qui peut parfois être lent. « Il est difficile, à 27, de se mettre d’accord, d’autant que tous les Etats membres n’ont pas les mêmes rapports aux Etats-Unis et les mêmes intérêts économiques », souligne Eric Maurice.

L’UE souffre aussi d’un manque de leadership, en premier lieu à cause de son organisation. Présidente de la Commission, président du Conseil, dirigeants des Etats membres, Banque centrale européenne… les interlocuteurs pléthoriques complexifient le dialogue avec un président « adepte du chantage, qui favorise les relations transactionnelles », relève Sophie Pornschlegel. D’autant que « Donald Trump n’est pas du tout intéressé par l’UE », ajoute la spécialiste. Cette absence de leadership est aussi conjoncturelle, dans une période où le couple franco-allemand tourne au ralenti : à Paris, Emmanuel Macron est très affaibli depuis la dissolution de juin 2024, tandis qu’à Berlin, Olaf Scholz est occupé par une campagne difficile pour sa réélection, après l’éclatement de sa coalition.

Le risque de remettre en cause le Pacte vert

Pour faire pression sur l’UE, Donald Trump peut compter sur la montée en puissance de l’extrême droite sur le Vieux Continent. La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, était ainsi la seule dirigante européenne présente lundi à la cérémonie d’investiture du président. « Le monde n’est plus le même depuis hier. Il n’y a qu’à Bruxelles qu’on ne s’en soit pas rendu compte », a taclé le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, dans un message posté sur X(Nouvelle fenêtre) mardi.

Les défis sont immenses, et l’Europe risque bien d’être « écrasée par les Etats-Unis », s’est alarmé François Bayrou mardi, depuis Pau. La présidence de Donald Trump risque en tout cas « d’avoir un impact sur nos priorités, l’ambition que l’on peut avoir et notre marge de manœuvre », en particulier sur la question climatique, souligne Sophie Pornschlegel. Alors que l’UE s’est engagée à atteindre la neutralité carbone pour 2050, le président américain pousse déjà pour déréguler les secteurs de la tech et les protections climatiques. 

L’UE semble pour l’instant déterminée à maintenir ses objectifs climatiques. Jusqu’à quand ? Ursula von der Leyen a défendu l’accord de Paris mardi, estimant qu’il était « le meilleur espoir pour l’humanité », selon Politico(Nouvelle fenêtre). Mais le député Friedrich Merz, issu de la même famille politique que la présidente de la Commission et probable futur chancelier allemand selon les sondages, a passé la campagne à tirer à boulets rouges sur le Pacte vert.

Un premier crash-test avec X

Quelle stratégie les Européens choisiront-ils face à Donald Trump ? L’un des premiers crash-tests pourrait être la réponse aux accusations d’ingérence à l’encontre du milliardaire Elon Musk et de son réseau social X. L’UE a annoncé vendredi avoir approfondi son enquête sur le réseau social, ouverte dans le cadre du respect du Digital Services Act, qui régule les plateformes en ligne.

La commission ira-t-elle jusqu’à condamner le réseau social ? C’est ce qu’ont demandé mardi les eurodéputés lors d’un débat au Parlement de Strasbourg, les sociaux-démocrates dénonçant dans un communiqué(Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre)les « oligarques » de la tech. Donald Trump risque de faire pression pour que l’UE laisse les géants du web américains tranquilles. « Ne pas appliquer les lois au nom de circonstances politiques serait plus dommageable pour l’UE que de respecter nos valeurs », prévient Eric Maurice. 

Les prochaines années promettent donc d’être houleuses. Le nouveau mandat de Donald Trump pourrait cependant être la « thérapie de choc » dont l’Europe a besoin, estime l’ancien président de la Commission, José Manuel Barroso, dans un article(Nouvelle fenêtre) publié par le think tank britannique Chatham House. « L’UE a la possibilité de cesser d’être une adolescente géopolitique et de s’affirmer progressivement sur la scène mondiale aux côtés de l’Amérique et de la Chine », veut croire l’ancien responsable européen. Encore faudra-t-il qu’elle sorte de son attentisme.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Dernières nouvelles