Droits de douane : face à Donald Trump, l'Union européenne affine sa stratégie, entre négociation et riposte "graduelle"
Droits de douane : face à Donald Trump, l'Union européenne affine sa stratégie, entre négociation et riposte "graduelle"

Droits de douane : face à Donald Trump, l’Union européenne affine sa stratégie, entre négociation et riposte « graduelle »

11.04.2025
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Les Vingt-Sept ont validé mercredi l’imposition de taxes de 25% sur des importations américaines comme le soja, le bois et les motos.

« Eviter une nouvelle escalade », mais rester ferme. Face aux « perturbations globales » provoquées par les droits de douane instaurés par les Etats-Unis, entrés brièvement en vigueur mercredi 9 avril avant d’être ramenés à 10% pour presque tous les pays pendant quatre-vingt-dix jours, Ursula von der Leyen se montre prudente. La présidente de la Commission européenne a ainsi « appelé à une résolution négociée de la situation actuelle » lors d’un entretien téléphonique avec le Premier ministre chinois, Li Qiang, selon le compte-rendu publié mardi sur le site de l’institution (Nouvelle fenêtre).

La différence de stratégie entre l’Union européenne (UE) et Pékin saute aux yeux. La Chine, surtaxée dans un premier temps à hauteur de 104%, a décidé d’augmenter en retour des droits de douane de 34%, en promettant d’aller « jusqu’au bout » dans la guerre commerciale en cours avec Washington. Au final, les droits de douane seront de 125%, a promis le président américain mercredi. De son côté, l’exécutif européen a opté pour une réponse « graduelle » dans le but de « créer l’espace pour des négociations nécessaires », expliquait il y a quelques jours le commissaire au Commerce, Maros Sefcovic, à Politico (Nouvelle fenêtre). Face aux revirements de Donald Trump« la Commission a engagé le dialogue avec les Etats membres il y a des semaines, et travaille sur différents scénarios depuis des mois« , souligne Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques-Delors, auprès de franceinfo.  

Répliquer mais négocier

La stratégie des Européens relève de l’exercice d’équilibriste : tout en préparant des mesures de rétorsion, les Vingt-Sept ont cherché à discuter avec l’administration américaine dans l’espoir d’arriver à un accord. Les deux jambes de cette tactique ont été mises en mouvement en début de semaine. L’UE a tendu lundi un rameau d’olivier à Washington, en proposant une exemption de droits de douane totale et réciproque pour les produits industriels, dont les voitures. Une offre rejetée le lendemain par le président américain, qui l’a jugée insuffisante. 

Mercredi, avant le revirement américain, l’UE a donc montré les crocs. En réponse aux droits de douane de 25% sur l’acier et l’aluminium, instaurés par les Etats-Unis le 12 mars, les Européens ont donné leur feu vert pour taxer à 25% certains produits importés, pour une valeur estimée autour de 22 milliards d’euros, selon les calculs de Politico à partir des données publiques d’Eurostat (Nouvelle fenêtre). Sont concernés le soja, la volaille, le riz, plusieurs fruits, ainsi que le bois, les motos, des produits plastiques, des équipements électriques et des produits de maquillage.

Une partie de ces taxes doit entrer en vigueur le 15 avril, une autre le 16 mai, afin de respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui imposent un délai avant de pouvoir réagir. D’autres droits de douane, considérés comme néfastes pour les économies européennes, ne sont prévus que pour décembre. C’est le cas des importations de soja, essentielles pour le secteur agricole européen qui l’utilise pour nourrir ses bêtes. Les Etats-Unis sont, de loin, le premier fournisseur de l’UE de soja (49% des importations totales en 2024 selon Eurostat (Nouvelle fenêtre)). 

La réponse à la plus récente vague de tarifs douaniers est encore en discussion et pourrait prendre du temps. La taxe de 20% sur toutes les importations européennes aux Etats-Unis, annoncée le 2 avril, a eu beau finalement être repoussée de trois mois (pendant lesquels un montant de 10% sera appliqué), elle n’en a pas moins constitué « un vrai choc », note Pauline Wibaux, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales, auprès de franceinfo. « Si l’UE fait principalement du commerce avec elle-même, les Etats-Unis en sont le premier partenaire commercial et représentent 15% de ses échanges commerciaux hors UE », précise la spécialiste.

Tous les Etats membres ne sont pas exposés de la même façon

Les chiffres donnent le tournis. Près de 380 milliards d’euros (sur les plus de 500 milliards) de biens exportés vers les Etats-Unis sont concernés, selon les calculs de la Commission (Nouvelle fenêtre). Mais tous les Etats membres ne sont pas exposés aux mêmes risques. Si les exportations vers les Etats-Unis représentent 3,8% du PIB de l’Allemagne et 3,1% de celui de l’Italie, elles descendent à 1,6% en France, détaille la Banque de France, citée par l’AFP. 

La Commission, qui est la seule à pouvoir négocier au nom des Vingt-Sept, doit ménager des volontés contraires. Elle a ainsi déjà retiré les bourbons américains de la liste de produits taxés, sous la pression exercée par la France et l’Italie après les menaces de Donald Trump de droits de douane de 200% sur les vins européens. Chacun entend défendre de ses intérêts. Au risque de tarder à répondre à Donald Trump ? « Face à la volatilité du président américain, il est important de ne pas se précipiter », tempère Elvire Fabry. 

« Ce qui compte, c’est que les Européens travaillent à leur unité. C’est ça leur véritable force. »

Plus grand espace de libre-échange au monde, l’Union européenne est la deuxième économie mondiale, juste derrière les Etats-Unis. Elle est rompue aux négociations commerciales, et a déjà préservé son unité dans des moments difficiles, comme le Brexit. Surtout, si elle affiche bien un excédent commercial avec Washington de 150 milliards d’euros pour les biens, elle possède aussi un déficit de 100 milliards d’euros sur les services, selon Maros Sefcovic. De quoi faire pression en retour sur l’économie américaine.

Certains pays, dont la France, n’hésitent d’ailleurs pas à demander la taxation des activités européennes des géants de la tech. Ces derniers « réalisent 25% de leurs revenus en Europe », a ainsi affirmé le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, devant l’Assemblée nationale (Nouvelle fenêtre), le 1er avril. L’option n’est pour l’instant pas évoquée par la Commission. L’économie de certains Etats membres, en particulier l’Irlande et les Pays-Bas, qui hébergent notamment les sièges européens de Google ou d’Apple, dépend fortement des investissements des entreprises américaines de ce secteur.

« L’UE doit miser plus sur son marché intérieur »

Face à la menace américaine, l’UE dispose aussi « d’un outil puissant », jamais encore utilisé. L' »instrument anti-coercition », adopté en 2023, est considéré comme l’arme nucléaire des négociations commerciales. « Il permet à l’UE de mettre en place des mesures protectionnistes fortes, dont des droits de douane, mais aussi de limiter ou d’interdire l’accès aux marchés publics européens à des entreprises étrangères », détaille Pauline Wibaux.

Les Vingt-Sept espèrent ne pas en arriver là et pouvoir entamer des négociations avec Donald Trump. La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, doit se rendre à Washington le 17 avril pour discuter du sujet. Dans le même temps, Bruxelles compte consulter les gouvernements nationaux sur le sujet des concessions qui pourraient être offertes aux Etats-Unis.

Cela n’empêche pas les Européens de s’interroger sur le crédit à accorder à la parole d’un président qui estime que l’UE a été créée pour « entuber les Etats-Unis ». « Il y a une perte de confiance profonde envers Donald Trump, qui n’est plus perçu comme un partenaire commercial sérieux, alors qu’il s’assoit sur toutes les règles », point Elvire Fabry. 

Peu importe la promesse du président américain, devant la presse mercredi soir, d’arriver à « un accord avec tous [les pays]« , l’UE se prépare encore au scénario du pire : l’absence de deal. « Quoi qu’il arrive, les Etats-Unis vont devenir plus protectionnistes, l’UE doit miser plus sur son marché intérieur, en allant chercher la croissance à domicile », suggère Pauline Wibaux. Les responsables européens envisagent aussi de lier de nouveaux partenariats commerciaux et se cherchent des alliés, comme le montre la discussion entre Bruxelles et Pékin. Sans oublier l’accord de libre-échange avec le Mercosur, massivement rejeté en France, mais dont les partisans estiment qu’il est plus que jamais d’actualité.

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