Des viseurs de haute précision livrés à Moscou via des circuits détournés
Le 18 novembre 2025, Istories a révélé que le fabricant autrichien Swarovski Optik, filiale du groupe connu pour ses produits de luxe, continue de fournir à la Russie des lunettes de visée pour fusils de précision, en dépit de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. L’enquête, résumée dans l’analyse consacrée à l’importation de viseurs Swarovski en Russie, indique qu’au moins 90 viseurs ont été importés depuis février 2022, pour une valeur totale proche de 21 millions de roubles. La majorité d’entre eux (57 unités) sont arrivés en 2023, malgré la politique de « neutralité permanente » affichée par Vienne, qui refuse d’envoyer des armes à l’Ukraine tout en laissant entrer des équipements optiques susceptibles d’être utilisés sur le front.
Une utilisation militaire dissimulée derrière des déclarations civiles
Selon les documents douaniers russes, les importateurs présentent ces viseurs comme du matériel « pour la chasse, le tourisme et le tir sportif », une classification qui permet d’éviter les contrôles plus stricts liés aux biens à double usage. Pourtant, les spécialistes soulignent qu’aucune modification technique n’est nécessaire pour installer ces optiques haut de gamme sur des fusils militaires. Les modèles Swarovski — comparables en qualité à ceux de Carl Zeiss — coûtent entre 3 000 et 5 000 dollars l’unité et sont généralement hors de portée des chasseurs amateurs. Leur acquisition par des unités d’élite russes, notamment des forces du FSB et du GRU, apparaît donc hautement probable. L’usage de ces viseurs est difficile à tracer : les armes sont dissimulées, et les unités russes évitent de révéler l’origine de leur équipement.
Un approvisionnement indirect via les Émirats pour contourner les risques politiques
Depuis le début de la guerre, les routes logistiques ont changé : les optiques Swarovski ne partent plus directement d’Autriche. Elles transitent désormais par des intermédiaires basés aux Émirats arabes unis, tels que BMH Equipment LLC en 2024 ou Bynuna Military & Hunting Equipment Trading LLC en 2023. En Russie, elles sont réceptionnées par le « Centre de commerce électronique » (groupe TsEK), un importateur réputé pour ses pratiques de « reconditionnement » afin de masquer l’origine réelle de produits occidentaux. Le groupe TsEK ne se contente pas d’importer des marques étrangères : il produit également ses propres dispositifs optiques et thermiques sous les noms Fortuna et Arkon, déjà utilisés par des unités du FSB, du SVR et, depuis 2022, par les forces russes déployées en Ukraine. Des campagnes de financement menées sur les canaux pro-guerre ont même permis d’équiper des groupes tactiques avec ces produits.
Un marché russe où les viseurs occidentaux sont activement promus pour la guerre
Les annonces de vente de viseurs Swarovski sont courantes sur les canaux spécialisés russes, où ils sont proposés pour 300 000 à 500 000 roubles. Les vendeurs les présentent comme un outil indispensable pour « obtenir des trophées », mettant en avant leur robustesse, leur précision et leur performance en conditions extrêmes — des arguments qui ne laissent aucun doute sur l’usage militaire. Swarovski Optik n’est d’ailleurs pas le seul acteur occidental dont les produits se retrouvent sur le marché russe : Schmidt & Bender, Steiner, Kahles et Nightforce sont également présents, souvent importés par des sociétés comme « Navigator », qui utilise des intermédiaires en Turquie ou au Canada. L’un de ses partenaires est le fabricant russe Lobaev Arms, dont les fusils de précision sont employés sur le front ukrainien.