"Dati honoraire GDF Suez" : les troublants paiements reçus par Rachida Dati d'un cabinet d'avocats
"Dati honoraire GDF Suez" : les troublants paiements reçus par Rachida Dati d'un cabinet d'avocats

« Dati honoraire GDF Suez » : les troublants paiements reçus par Rachida Dati d’un cabinet d’avocats

04.06.2025 20:22
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C’est un dossier qui empoisonne Rachida Dati depuis plus de 10 ans et sur lequel elle a toujours répondu par la négative. Après des mois d’enquête, « Complément d’enquête », en partenariat avec Le Nouvel Obs, a mis la main sur des documents inédits et exclusifs qui fragilisent les multiples dénégations de l’actuelle ministre de la Culture sur des soupçons de conflits d’intérêt avec GDF Suez (depuis renommé Engie). Ces documents, issus de la comptabilité d’un cabinet d’avocats d’affaires, font apparaître un lien financier indirect entre celle qui a été eurodéputée de 2009 à 2019 et le géant français gazier.

« Non, ce n’étaient pas mes clients »

Pour comprendre ces révélations, retournons en 2020. Ce 26 novembre en fin d’après-midi, la veille de son anniversaire, Rachida Dati est assise dans le bureau des magistrates Bénédicte de Perthuis et Cécile Meyer-Fabre, du Parquet national financier (PNF). Accompagnée par ses quatre avocats, elle est entendue dans le cadre de l’affaire Carlos Ghosn-Renault, dans laquelle elle est aujourd’hui mise en examen, notamment pour « corruption passive » et « trafic d’influence passif ».

« Complément d’enquête » et son partenaire Le Nouvel Obs ont pu consulter ces auditions. Après plus de six heures d’interrogatoire sur la nature de ses prestations d’avocate pour le groupe automobile entre 2010 et 2012, pour lesquelles elle a touché 900 000 euros au total, les magistrates du PNF questionnent Rachida Dati sur une autre grande entreprise française : GDF Suez. Leur question est simple : « Avez-vous travaillé dès 2010 pour GDF Suez et Areva comme le laissent penser les mentions évoquées dans votre cahier ? » La réponse de l’ex-garde des Sceaux l’est tout autant : « Non, ce n’étaient pas mes clients. »

Les magistrates font référence à des cahiers à spirales saisis lors de perquisitions dans le bureau de l’assistante de Rachida Dati à la mairie du 7e arrondissement de Paris. Il s’agit de notes manuscrites, de la main de son assistante. Le nom de GDF Suez y apparaît à de nombreuses reprises, comme dans ce passage : « GDF et Areva sont concurrents, revoir contrat dernière page »ou encore « GDF 250 » . Que signifie cette dernière mention, qui figure à côté d’un « Renault 300 » ? Pour rappel, Rachida Dati a reçu 300 000 euros par an du groupe automobile Renault en 2010, 2011 et 2012.

Pour le savoir, les magistrates interrogent une deuxième fois Rachida Dati en juillet 2021 : « Pourquoi ces mentions figurent-elles sur le cahier de votre assistante ? » Réponse de l’intéressée : « Cela, je n’en ai aucune idée, je sais juste qu’elle écrit au kilomètre » . Elle confirme sa première version : « J’ai peu de clients, peu de contrats, je les connais et ceux-là [GDF Suez et Areva] n’ont jamais été mes clients. »

Deux paiements de 149 500 euros et une mention « DATI HONORAIRE GDF SUEZ »

L’histoire aurait pu en rester là. Mais les documents que « Complément d’enquête » et Le Nouvel Obs se sont procurés, et qui seront diffusés jeudi 5 juin sur France 2, fragilisent la version donnée par Rachida Dati à la justice. Ces pièces sont issues de la comptabilité d’un cabinet d’avocat parisien, aujourd’hui fermé, mais qui, en 2010, compte une centaine de collaborateurs et où Rachida Dati, devenue avocate quelques mois après son élection à Bruxelles, est restée domiciliée jusqu’au 1er février 2012.

Selon ces fichiers comptables, ce cabinet a reçu un paiement de 149 500 euros de GDF Suez le 29 juillet 2010. Moins de trois mois plus tard, le 25 octobre 2010 exactement, le cabinet d’avocats verse ce même montant par chèque à Rachida Dati. Dans les documents comptables, cette transaction à venir porte l’intitulé « DATI HONORAIRE GDF SUEZ » . En recoupant avec le dossier d’instruction de l’affaire Carlos Ghosn, que « Complément d’enquête » et Le Nouvel Obs  ont pu consulter, on constate que le compte de Rachida Dati a bien été crédité de 149 500 euros le 25 octobre 2010.

En février 2011, même schéma : un nouveau paiement de GDF Suez de 149 500 euros apparaît dans la comptabilité du cabinet. Deux semaines plus tard, le 23 février 2011, une somme identique est versée à Rachida Dati par le cabinet, avec l’intitulé « CHQ DATI RACHIDA » .

Des factures signées Dati et adressées au cabinet d’avocats

Le cabinet d’avocat d’affaires aurait-il servi d’intermédiaire entre GDF Suez et l’eurodéputée ? Parmi ses fondateurs, on trouve Xavier de Sarrau, un ami de Nicolas Sarkozy et un précieux soutien de Rachida Dati. 

D’après le réquisitoire du Parquet national financier dans l’affaire Carlos Ghosn, que nous avons pu consulter, Xavier de Sarrau a confirmé, lors de son audition, qu’il avait accompagné Rachida Dati à au moins un rendez-vous avec Gérard Mestrallet, patron de GDF Suez à l’époque. Selon les magistrats, Xavier de Sarrau affirmait ne pas savoir « si ces contacts avaient abouti à des contrats » . Contacté par « Complément d’enquête » au sujet de ces révélations, il reconfirme avoir assisté à un rendez-vous.

Les informations présentes dans les documents comptables semblent recouper plusieurs éléments obtenus par les enquêteurs lors des perquisitions dans l’affaire Renault, en l’occurrence deux factures de 125 000 euros hors taxes (soit un total de 250 000 euros) émises par Rachida Dati à l’adresse du cabinet d’avocats. Mais aussi la fameuse annotation « GDF 250 » retrouvée dans l’un des cahiers à spirales de son assistante.

Une activité d’eurodéputée qui interroge

Quelles missions Rachida Dati a-t-elle effectuées pour le cabinet d’avocats d’affaires en échange de ces paiements ? La réponse se trouverait-elle du côté de son travail au Parlement européen ? Selon ses détracteurs, Rachida Dati s’est largement engagée en faveur du secteur gazier, dont GDF Suez fait partie, à coups d’amendements et de questions écrites à la Commission européenne, notamment lors de son premier mandat, entre 2009 et 2014.

A Bruxelles, le signal d’alarme est tiré par Corinne Lepage, elle aussi eurodéputée. Dans une tribune publiée sur le HuffPost en novembre 2013 , l’ancienne ministre de l’Environnement s’étonne de l’intérêt soudain de Rachida Dati pour les questions énergétiques et s’interroge sur les prises de positions de l’ancienne garde des Sceaux au Parlement Européen et dans la presse : « Elle se fait le porte-parole des énergéticiens pour attaquer sévèrement les énergies renouvelables, soutenir le gaz de schiste, et plus encore elle va reprendre quasiment mot pour mot les déclarations de Gérard Mestrallet » , le patron de GDF Suez à l’époque.

Il est vrai qu’entre décembre 2011 et avril 2013, Rachida Dati a fait preuve d’un intense travail législatif, toujours en faveur du secteur du gaz. L’élue a déposé des dizaines d’amendements sur au moins quatre projets de textes législatifs portant sur des réglementations européennes en matière énergétique.

Sur cette même période, Rachida Dati confirme son intérêt pour le gaz en interpellant à au moins quatre reprises la Commission européenne avec des questions écrites. Comme celle-ci , déposée le 9 février 2012, dans laquelle l’élue demande à la Commission de se positionner sur le rôle du gaz à horizon 2050 dans le bouquet énergétique européen, tout en affirmant que « les larges gisements récemment découverts (tel celui d’Absheron en Azerbaïdjan) (…) portent bon espoir que le gaz restera une source d’énergie fiable, et pour longtemps » . Le gisement en Azerbaïdjan évoqué par Rachida Dati est par ailleurs un projet colossal dans lequel GDF Suez est impliqué à hauteur de 20%, avec Total et Socar, la compagnie nationale du pays.

Pas d’intérêt financier déclaré auprès du Parlement européen

En décembre 2013, l’hebdomadaire Le Point révèle les honoraires de Rachida Dati : plus de 500 000 euros sur la seule année 2012, auxquels s’ajoutent les 95 000 euros perçus en tant qu’eurodéputée. Au Parlement européen, Rachida Dati a bien déclaré son activité d’avocate et coché la case qui correspond à son niveau de revenus de plus de 10 000 euros par mois. En revanche, elle ne mentionne aucun intérêt financier susceptible d’influencer l’exercice de ses fonctions. Même scénario auprès de la Haute Autorité de la transparence et de la vie publique (HATVP), créée en 2014 en France. Rachida Dati y déclare ses revenus d’avocate (625 000 euros en 2010, 539 000 euros en 2011, 704 000 euros en 2012 et 205 000 euros en 2013) mais aucun potentiel conflit d’intérêts susceptible d’influencer l’exercice de ses fonctions.

Certains détracteurs de Rachida Dati suspectent que ces importants revenus proviennent de grandes entreprises. Interpellé par l’ONG de défense de l’environnement Les Amis de la Terre, en février 2014, Martin Schulz, alors président du Parlement européen, demande l’ouverture d’une pré-enquête  par le comité consultatif sur la conduite des députés. L’eurodéputé vert allemand Daniel Freund se souvient parfaitement de cet épisode. Il était à l’époque l’assistant du président de ce comité d’éthique et était chargé de préparer l’entretien de Rachida Dati. Auprès de « Complément d’enquête » Freund est formel : « Elle nous a dit qu’elle ne travaillait pas pour Gaz de France et que ces allégations étaient fausses » . Et d’ajouter que Rachida Dati affirmait travailler sur« des questions de violences familiales et de droit des femmes » mais « surtout pas des sujets industriels, gaz ou énergie ».

Les propos de Daniel Freund sont corroborés par le compte-rendu de l’entretien de Rachida Dati, envoyé à la présidence du Parlement européen et que nous avons eu en notre possession. Il conclut : « En ce qui concerne un éventuel conflit d’intérêts, ce premier entretien (…) a laissé la réponse ouverte et le reproche ne peut être ni confirmé ni écarté » . A deux mois des européennes de 2014, le Parlement européen préfère laisser passer les élections. L’enquête initiée par Martin Schulz sera brièvement relancée après le scrutin, avant d’être abandonnée.

Les nombreuses dénégations de Rachida Dati

Rachida Dati est interrogée à de nombreuses reprises par des journalistes sur ces éventuels liens avec GDF Suez. Par Elise Lucet, pour « Cash investigation » en 2015, qui lui demande, dans les couloirs du Parlement , si elle a un « lien direct ou indirect avec GDF Suez » , et à qui l’intéressée refuse de répondre ; par Jean-Jacques Bourdin, à deux reprises (2014 et 2015), sur BFMTV, à qui elle affirme que « GDF n’est pas son client » ; ou encore sur un plateau de France 2, en novembre 2014, où elle martèle n’avoir « aucun conflit d’intérêts, sinon ça se saurait » .

A l’époque, via un communiqué de ses avocats, Rachida Dati « tient à souligner que ses activités d’avocat et ses revenus sont déclarés au Parlement européen conformément au règlement et cela depuis le début de son mandat sans qu’aucun incident ne soit intervenu. Il n’a jamais existé et il n’existe absolument aucun conflit d’intérêts entre son activité et son mandat de député européen. »

Les révélations de « Complément d’enquête » et de son partenaire Le Nouvel Obsremettent en cause ces affirmations et laissent penser que Rachida Dati aurait été rémunérée de façon indirecte par GDF Suez. Elles font écho à l’affaire Renault, dans laquelle l’élue est accusée de corruption passive et de trafic d’influence passif au profit du groupe automobile au sein du Parlement européen. Rachida Dati a toujours nié en bloc ces accusations. 

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