L’accord trouvé mercredi reprend largement une proposition faite en mai 2024 par Joe Biden, et longtemps restée lettre morte. Plusieurs facteurs, dont l’investiture imminente de son successeur à la Maison Blanche, Donald Trump, ont changé la donne.
Un accord presque inespéré. Après plus d’un an d’une guerre dévastatrice et des mois d’échec des négociations, Israël et le Hamas se sont entendus sur les conditions d’un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, mercredi 15 janvier. Le texte prévoit notamment la libération de 33 otages retenus par le groupe islamiste, l’arrêt des combats durant quarante-deux jours, et de nouvelles discussions sur une « phase 2 » permettant de pérenniser le cessez-le-feu. Il s’agit des grandes lignes de la proposition d’accord de paix formulée par le président américain sortant Joe Biden, en mai 2024. Alors pourquoi ce plan, jusqu’ici rejeté, a été accepté sept mois plus tard ?
« Entretemps, certains blocages ont été levés » par les parties, note David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Du côté du Hamas, l’exigence d’un retrait total et immédiat des forces israéliennes, préalable à toute trêve dans la bande de Gaza, a été abandonnée dès le printemps 2024. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, toutefois « a bloqué les négociations, car c’était un moyen pour lui de continuer la guerre, de tenter d’obtenir ce qu’il n’est pas parvenu à accomplir par la force : la capitulation du Hamas », affirme Leila Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques (Carep).
Le chef du gouvernement israélien considérait aussi que « la guerre lui permettrait d’en terminer complètement avec la question palestinienne », analyse Thomas Vescovi, chercheur et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire d’Israël et des territoires palestiniens occupés. « En Cisjordanie, la colonisation israélienne est déjà très avancée donc, en détruisant Gaza, on rend l’établissement d’un Etat palestinien impossible », détaille-t-il.
« Un probable ‘effet Trump' »
Depuis la première proposition de Joe Biden, le contexte au Proche-Orient a en outre évolué. Au cours des derniers mois, l’Iran, soutien du Hamas et ennemi juré d’Israël, a vu plusieurs de ses alliés affaiblis. Au Liban, les dirigeants du Hezbollah chiite ont été décimés par une série d’attaques de l’Etat hébreu. En Syrie, le régime de Bachar al-Assad a été renversé par une coalition de rebelles islamistes. L’Iran a aussi été directement visé par une riposte israélienne, après des tirs de missiles sur Israël. « La solidarité entre les proxys de l’Iran est largement diminuée, et la menace qu’ils représentaient [pour Tel-Aviv] l’est tout autant, constate David Rigoulet-Roze. Mais ce n’était sans doute pas suffisant pour permettre de finaliser un accord avec le Hamas. »
Pour le chercheur, le véritable changement est venu des Etats-Unis. « Il y a un probable ‘effet Trump' », juge David Rigoulet-Roze. Le futur président américain, dont un conseiller a participé aux négociations aux côtés de l’envoyé spécial de Joe Biden, s’est en effet targué d’avoir obtenu l’accord entre Israël et le Hamas. « Donald Trump avait fait savoir à toutes les parties qu’il voulait un accord avant son entrée en fonction » le 20 janvier, rappelle David Rigoulet-Roze.
« Donald Trump avait promis ‘l’enfer’ au Hamas s’il refusait un accord. Il a aussi mis la pression sur Israël ces derniers jours, en mandatant son envoyé spécial au Proche-Orient, Steve Witkoff. »David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris
à franceinfo
La pression de la future administration américaine a-t-elle suffi à faire plier l’exécutif israélien ? Benyamin Nétanyahou, qui a pourtant promis d’« éradiquer » le Hamas, « a évidemment besoin du soutien américain sur le dossier du nucléaire iranien », et ne peut se permettre d’ignorer les demandes de « son allié le plus important », explique David Rigoulet-Roze.
Leila Seurat « ne croit pas à ce récit ». « Benyamin Nétanyahou a eu besoin de trouver une porte de sortie, parce que son armée enregistre des morts tous les jours à Gaza », avance-t-elle. Mi-janvier, le quotidien israélien Haaretz(Nouvelle fenêtre) rapportait la mort de 15 soldats en une semaine dans l’enclave palestinienne. « Voyant que le Hamas n’allait pas plier », le Premier ministre israélien a « utilisé l’investiture prochaine de Donald Trump pour expliquer à la population qu’il fallait céder », assure Leila Seurat.
Une trêve dont chaque camp veut tirer profit
Benyamin Nétanyahou « ne peut pas justifier auprès de son électorat d’approuver un accord qui n’apporte aucune garantie sécuritaire ou sur la fin du Hamas dans la bande de Gaza », relève toutefois Thomas Vescovi. Comme les autres experts interrogés par franceinfo, le chercheur estime que le Premier ministre israélien, qui doit encore faire approuver l’accord par un vote de son cabinet, a pu obtenir des « contreparties » auprès de Washington.
« Il est possible que Donald Trump ait donné des garanties sur [son soutien à la poursuite de] la colonisation et l’annexion de la Cisjordanie, ce qui permettrait à Benyamin Nétanyahou de ménager ses ministres d’extrême droite [opposés au texte]. »Thomas Vescovi, historien
à franceinfo
Si l’accord a été si long à trouver, c’est également parce que « le Hamas comme Benyamin Nétanyahou jouent chacun leur survie politique dans ces négociations », résume Thomas Vescovi. Le mouvement palestinien espère, lui aussi, tirer profit de cette trêve pour reconstituer ses forces. Loin d’avoir été détruit, le groupe islamiste est « toujours présent militairement » dans la bande de Gaza, constate Leila Seurat. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a révélé, mardi, que « le Hamas a recruté presque autant de nouveaux militants qu’il en a perdu » depuis les attaques du 7-Octobre. « Plus les Gazaouis meurent sous les bombes, plus les jeunes Palestiniens en âge de combattre sont prêts à le faire », confirme Leila Seurat.
Depuis la proposition de Joe Biden en mai, le mouvement a certes « été amoindri », mais il reste « en capacité de négocier avec Israël », abonde Thomas Vescovi. Malgré l’opposition de l’Etat hébreu et de l’Autorité palestinienne, au pouvoir en Cisjordanie occupée, le Hamas espère même « pouvoir faire partie de la future gouvernance de Gaza, d’une manière ou d’une autre », une fois le conflit terminé, souligne David Rigoulet-Roze.
Un cessez-le-feu précaire
Reste à savoir si la seconde phase de l’accord va effectivement se réaliser. Le texte prévoit de nouvelles négociations, portant sur la libération des derniers otages détenus par le Hamas et la « fin définitive de la guerre », a précisé Joe Biden. « Sceptique », Thomas Vescovi a « du mal à imaginer comment Benyamin Nétanyahou pourrait revenir sur son refus total de laisser les Palestiniens retourner dans le nord de Gaza ou de retirer totalement son armée » de l’enclave à l’issue du conflit.
Un point de vue partagé par Leila Seurat, qui relève d’ailleurs de premiers signes de fragilité de l’accord. Jeudi matin, Tel-Aviv a accusé le Hamas de remettre en cause certains points du texte et de tenter « d’extorquer » des concessions supplémentaires avant sa mise en œuvre. Une affirmation aussitôt rejetée par le groupe islamiste. Le risque d’une reprise du conflit n’est pas écarté. Le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Mike Waltz, a d’ailleurs assuré, mercredi sur la chaîne américaine Fox News(Nouvelle fenêtre), que les Etats-Unis soutiendraient la reprise des combats par Israël « si le Hamas ne respectait pas les termes de l’accord ».
« Si la trêve échoue, Israël et les Etats-Unis essaieront, une fois encore, d’en faire porter la responsabilité au Hamas. »Leila Seurat, chercheuse au Carep
à franceinfo
« Une issue positive à la suite des négociations n’est pas garantie, mais Donald Trump tient absolument à la concrétisation de cet accord », estime le chercheur de l’Iris. Selon Michael Koplow, analyste à l’Israel Policy Forum interrogé par le New York Times(Nouvelle fenêtre), l’avenir du cessez-le-feu dépendra de la volonté du président américain à poursuivre sur ce cap. « Si Trump (…) se concentre sur d’autres problématiques, il sera plus difficile de maintenir le cessez-le-feu », avance l’expert. Dans le cas contraire, il sera « plus compliqué pour Nétanyahou de rechigner à prolonger l’accord ».