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« Les frappes autour de nous ne s’arrêtent pas, il y en a toutes les quelques minutes. » Olga Cherevko, porte-parole du Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha) dans la bande de Gaza, décrit une situation« apocalyptique » dans le territoire palestinien. Les bombardements dans l’enclave se sont brusquement intensifiés depuis le lancement de l’offensive terrestre israélienne baptisée « Chariots de Gédéon », dans la nuit du samedi 17 au dimanche 18 mai.
L’armée israélienne se déploie au sud de la ville de Khan Younès, mais également au nord du territoire. Selon les forces de l’Etat hébreu, cette opération a pour but d' »étendre le contrôle opérationnel » sur l’ensemble de l’enclave palestinienne. Elle vise également à « neutraliser les capacités militaires du Hamas et à libérer les otages israéliens encore détenus », a précisé l’ambassadeur d’Israël en France, mardi au micro de franceinfo.
« Nous prendrons le contrôle de tout le territoire », a affirmé lundi le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Il s’est néanmoins déclaré prêt à un cessez-le-feu à condition que le Hamas accepte son « exil » et le « désarmement »total de Gaza. Des exigences rejetées par le groupe islamiste, qui considère les nouvelles frappes comme « une violation flagrante du droit international ».
« Vous êtes blessé, vous allez à l’hôpital, et il est attaqué »
Cette nouvelle opération militaire a entraîné la mort de centaines de Palestiniens ces derniers jours, avec des frappes ciblant des zones densément peuplées et des infrastructures civiles. Sur le terrain, la détresse humanitaire est totale, comme le rapportent l’ONU et de nombreuses ONG quotidiennement et comme le dénoncent de plus en plus vivement de nombreux pays, à commencer par la France. Certains centres médicaux, déjà asphyxiés par onze semaines de blocus de l’aide humanitaire, « ont été directement ou indirectement touchés », précise Olga Cherevko. L’hôpital européen de Gaza, situé à Khan Younès a notammentété contraint de fermer après avoir été touché par une frappe le 13 mai.
« Imaginez la vie quotidienne ici : Il n’y a pas de nourriture, pas d’argent. Lorsque vous êtes blessé, vous vous rendez à l’hôpital et il est attaqué », se désole Saleh al-Hams, directeur adjoint de l’hôpital européen de Gaza, joint par franceinfo. Si une partie des patients « ont été transférés dans un autre hôpital », la situation est critique alors « qu’une famine s’installe à Gaza » et que « les habitants ont de nombreux problèmes de santé ». Mardi, l’alimentation électrique et en eau de l’établissement n’étaient toujours pas rétablies, une tâche « très complexe »admet le médecin.
La forte dégradation des conditions sanitaires inquiète aussi Safaa, une habitante de l’ouest de Gaza. Seuls quelques camions sont pour l’instant autorisés par Israël à entrer dans le territoire depuis lundi. « Ils ne laissent passer qu’une quantité limitée d’aide qui ne répond pas aux besoins des gens », s’indigne-t-elle. S’ils ne la laissent pas rentrer, nous ferons face à une famine très grave. » Un rapport publié le 13 mai par Médecins sans frontières dénonce l’utilisation de la faim comme « une arme de guerre ».
« Les besoins sont à un niveau catastrophique », confirme Olga Cherevko, qui demande à Israël « une réouverture totale des points de passage » pour laisser passer « tous les articles nécessaires à la vie », comme « de l’eau, de la nourriture, des médicaments, des abris et des produits sanitaires ».
« Je vis un génocide, je ne sais pas comment le dire autrement »
Azar Mohammed, une journaliste qui travaille à Khan Younès, n’est pas« surprise » par l’annonce israélienne. Elle redoute « une escalade importante du nombre de personnes tuées », ainsi que « davantage de destruction et de déplacés ». L’intensification de l’opération militaire autour de Khan Younès se double de nouveaux ordres d’évacuation de la part d’Israël. « En seulement 24 heures, 40 000 personnes ont été déplacées. Depuis le 15 mai, c’est 140 000 », s’alarme Olga Cherevko, qui note que les zones déclarées comme « sûres » par les Israéliens sont pourtant « touchées fréquemment » par des frappes.
Au téléphone, Ahmed Alnaja doit s’interrompre en pleine conversation. On entend au loin le bruit d’une forte explosion, toujours près de Khan Younès. Le journaliste gazaoui est pourtant en zone sûre. « C’est la quatrième fois que je suis déplacé », soupire-t-il, s’apprêtant à devoir repartir dans quelques jours. « Je vis un génocide, je ne sais pas comment le dire autrement », dit-il, d’une voix calme et résignée. Autour de lui, des familles tentent déjà de fuir, « à pied, sans voiture, en trainant leurs valises ».
« Ils marchent vers l’inconnu, mais ils n’y trouveront que ce à quoi ils tentent d’échapper : les bombardements, les attaques israéliennes et plus de souffrance. Personne n’est en sécurité. »
Safaa, ressent, elle aussi, « un niveau extrême d’anxiété et de peur » devant les plans israéliens. La Gazaouie s’inquiète de devoir « fuir sa maison » avec sa famille et de « se retrouver dans un camp de réfugiés ou dans des tentes ». De son côté, Ahmed Alnaja pense que l’armée israélienne a pour objectif « de nous repousser à Rafah », à la frontière avec l’Egypte. « Comment pourrons-nous vivre là-bas ? La ville a été rasée par les Israéliens, c’est devenue une zone aride. »
« Que des mots » des pays occidentaux
Difficile, pour les habitants de la bande de Gaza, de rester optimistes face à l’intensification de l’opération militaire israélienne. « Je pense que ce qui va se passer va être sanglant et apocalyptique », lance Ahmed Alnaja pour qui le but d’Israël est « d’annihiler ou au moins de nettoyer ethniquement la population de Gaza ». Le médecin Saleh al-Hams, tout en admettant ressentir aussi de la « peur et de l’anxiété », se concentre sur son travail. « Lorsque vous êtes responsable de la sécurité de vos patients, il faut mettre de côté ce que vous ressentez et agir », lance-t-il.
Aucun de nos interlocuteurs ne mise sur un sursaut des pays occidentaux, même si depuis le début de la nouvelle offensive, les critiques internationales se sont intensifiées. L’Union européenne a notamment annoncé qu’elle allait réexaminer son accord d’association avec l’Etat hébreu. La France, le Canada et le Royaume-Uni ont quant à eux publié une déclaration conjointe lundi pour dénoncer les « actions scandaleuses » d’Israël à Gaza.
Des prises de positions jugées insuffisantes par nos interlocuteurs. « Je ne pense pas que cela affectera Israël. Si ces pays avaient voulu réellement agir et prendre des sanctions, ils l’auraient déjà fait il y a longtemps », tranche Ahmed Alnaja. Un sentiment partagé par sa consœur Azar Mohammed : « Nous ne pouvons pas vivre sans espoir, mais l’expérience nous a appris à être prudents », souffle-t-elle, redoutant que les menaces « ne restent que des mots ».
« Les habitants de Gaza sont tués en direct à la télévision. Et aucune aide n’est donnée. Nous ne nous attendons à rien, car tout le monde s’en moque. »
Saleh al-Hams, directeur adjoint de l’hôpital européen de Gaza
Azar Mohammed espère que les pays occidentaux se souviendront que les Gazaouis « ne sont pas juste des chiffres, mais des hommes et des femmes avec des rêves ». « Ne nous oubliez pas, arrêtez la guerre et le génocide », dit-elle. Une demande qui fait écho à celle d’Ahmed Alnaja : « Nous ne voulons pas d’avions de combat ou d’armes pour nous protéger. Tout ce que nous voulons, c’est qu’Israël arrête ce qu’il est en train de faire ».