Baignade dans la Seine lors des JO 2024 : pourquoi est-ce si compliqué de connaître la qualité de l'eau ?
Baignade dans la Seine lors des JO 2024 : pourquoi est-ce si compliqué de connaître la qualité de l'eau ?

Baignade dans la Seine lors des JO 2024 : pourquoi est-ce si compliqué de connaître la qualité de l’eau ?

09.08.2024
7 min de lecture

L’absence de publication des analyses de qualité de l’eau et des avis des autorités sanitaires sont les principales explications.

L’eau de la Seine est décidément très trouble. De nouvelles données publiées par Mediapart, mercredi 7 août, montrent que l’eau du fleuve parisien n’a été de qualité suffisante pour la baignade qu’entre 10 et 20% du temps entre le 26 juillet et le 5 août. Ces révélations mettent une nouvelle fois à mal les discours des responsables publics qui affirment que la Seine est désormais baignable, tout en refusant de publier les chiffres et les avis sanitaires qui permettent de le vérifier.

Depuis deux semaines, il est en effet très compliqué, voire impossible, d’avoir accès aux analyses de qualité de l’eau du fleuve parisien. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques 2024 (Cojo) ne distille que quelques résultats au compte-goutte. La mairie de Paris et la préfecture d’Ile-de-France ont coupé les vannes de leur propre bulletin hebdomadaire lancé en juin. L’Agence régionale de santé d’Ile-de-France refuse elle aussi de partager les avis sanitaires qui lui ont été commandés par la préfecture de la région. Quant aux chercheurs et aux spécialistes, ils n’ont eux-mêmes pas accès aux analyses.

A l’approche de la fin des Jeux olympiques 2024, franceinfo fait le point sur les raisons pour lesquelles il est si difficile de connaître la qualité de l’eau de la Seine.

1 Parce que les analyses bactériologiques ne sont pas publiées

Les autorités ont vu les choses en grand pour surveiller la Seine. Depuis le début de l’été, l’eau du fleuve parisien est analysée sur 35 points de prélèvements différents répartis en amont, en aval et dans la capitale. Quatre de ces points d’analyse sont localisés sur le seul site olympique, entre le pont Alexandre III et le pont de l’Alma. Ceux-là font l’objet d’un suivi très particulier : des analyses y sont effectuées deux fois par jour depuis le 1er juin, d’après le journal L’Equipe. Mais inutile de rechercher les résultats de ces prélèvements. Ils ne sont pas rendus publics, ou seulement de manière partielle.

Interrogé en mars dernier, Marc Guillaume, le préfet de la région Ile-de-France, s’était engagé à faire preuve de transparence. « Bien entendu, sous une forme ou sous une autre, avec peut-être un décalage de quelques heures, mais évidemment il n’y a pas de raison que la qualité de l’eau ne soit pas rendue publique », avait-il répondu au cours d’une conférence de presse (déclaration à 16’50 min).

Depuis le mois de juin, la Ville de Paris publiait chaque semaine un bulletin intitulé « Météo de la Seine ». Cette publication était partielle : elle ne donnait que les résultats de quatre points de prélèvements sur la quinzaine dont dispose la ville et ces analyses étaient publiées avec une semaine de décalage. Interrogée en juin par franceinfo sur la possibilité de consulter les données manquantes, la municipalité renvoyait à « une publication en fin d’année ».

Mais depuis le début des JO, même le bulletin hebdomadaire de la Ville de Paris est interrompu. Interrogée par franceinfo, la mairie explique que « durant les Jeux, la publication des résultats des tests sur les sites olympiques relève de Paris 2024 ». Elle précise également qu’elle « reprendra la publication de son bulletin hebdomadaire le vendredi, comme c’est le cas depuis le début du mois de juin. Le prochain intégrera l’ensemble des données de la période des Jeux olympiques sur les quatre points testés par la Ville ».

De son côté, le Cojo n’a pas communiqué les analyses dont il dispose pendant les deux semaines de compétitions. Sollicités par franceinfo, fin juillet, les organisateurs des JO avaient renvoyé vers les fédérations sportives, qui n’avaient pas non plus accédé à notre demande. Les seules informations rendues publiques n’étaient désormais plus que celles communiquées au cours des points presse des organisateurs des JO, et uniquement lorsqu’un entraînement ou une compétition avait lieu. Ces communications ne faisaient mention que de simples fourchettes de résultats bactériologiques, sans préciser les lieux des prélèvements, ni l’ensemble des résultats des journées concernées. Toutefois, une partie de ces analyses gardées secrètes ont finalement été rendues publiques mercredi 7 août par Mediapart. Elles montrent que la qualité de la Seine est restée très largement insuffisante depuis le début des JO. Entre le 26 juillet et le 5 août, l’eau était impropre à la baignade entre 80 et 90% du temps, selon la réglementation appliquée.

2 Parce que l’Agence régionale de santé ne communique pas ses avis sanitaires

En France, lorsque l’on souhaite se baigner dans un point d’eau, il faut se référer aux avis de l’Agence régionale de santé (ARS) pour savoir si la baignade est dangereuse ou non pour la santé. C’est en ce sens que, depuis le début de l’été, la préfecture de la région d’Ile-de-France a demandé deux avis sanitaires consultatifs à l’ARS d’Ile-de-France. Le premier a été rendu le 12 juillet. Il avait été demandé en vue de l’autorisation de la baignade dans la Seine de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et du préfet Marc Guillaume, le 17 juillet. Un deuxième avis sanitaire a été rendu le 24 juillet, celui-ci en vue de la tenue des épreuves de triathlon et de natation marathon pendant les Jeux olympiques.

Mais il est impossible de savoir ce que contiennent ces avis sanitaires. Interrogée par franceinfo jeudi 8 août, l’ARS refuse de les partager. Elle renvoie vers la préfecture, qui ne transmet pas non plus les documents demandés. Impossible également de connaître les conclusions de ces avis. L’ARS refuse de préciser s’ils sont favorables ou défavorables à la baignade dans la Seine.

Des athlètes nagent dans la Seine lors de l’épreuve de relais mixte du triathlon à Paris, le 5 août 2024. 

Ces documents sont pourtant considérés comme communicables par la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Cette autorité indépendante est chargée d’estimer si une administration est censée publier un document donné. Franceinfo l’avait saisie à l’automne dernier, afin d’avoir accès aux avis sanitaires rendus entre 2019 et 2023 par l’ARS sur la baignade dans la Seine. Le verdict rendu en novembre avait donné raison à franceinfo, et l’ARS s’était pliée à cette décision en transmettant les avis demandés.

Leur publication, en janvier dernier, avait permis de révéler que les préconisations de l’ARS n’avaient pas été respectées au cours des tests réalisés pour l’épreuve de triathlon, organisée en août 2023. Les athlètes avaient été autorisés à nager pendant deux jours, alors que les seuils fixés par l’Agence de santé avaient été dépassés. Franceinfo avait également révélé que des adjoints à la mairie de Paris avaient participé à une baignade dans la Seine en juillet 2023, sous les yeux de la maire de Paris, malgré un avis défavorable de l’ARS sur cette manifestation.

3 Parce que les chercheurs et les spécialistes ne peuvent pas se prononcer 

En l’absence de publication des analyses de qualité de l’eau, les scientifiques ne sont eux-mêmes pas capables de juger l’état de la Seine depuis le début de l’été. Jean-Marie Mouchel, chercheur à Sorbonne Université, explique qu’il ne peut pour l’instant compter que sur ses propres modèles statistiques pour mesurer l’impact du plan de baignade à 1,4 milliard d’euros engagé par l’Etat et ses partenaires locaux pour les Jeux. « Je suis à peu près convaincu que le nombre de jours baignables dans la Seine sera dorénavant d’un jour sur deux, sur certains sites », estime ainsi cet éminent spécialiste. « Mais je dis ça un peu au pif puisque je n’ai pas accès aux données », précise-t-il aussitôt.

Cet expert en analyses bactériologiques dans la Seine fait pourtant partie d’un groupe de travail chargé d’analyser les données de qualité de l’eau du fleuve parisien pour le compte des services de l’Etat et de la Ville de Paris depuis cinq ans. « Cela nous permet d’avoir accès aux données, mais avec un an d’écart. Donc les données de 2024, je les aurai en 2025 », rapporte-t-il.

D’autres spécialistes sont tout bonnement tenus au silence, accuse Mediapart. Il en va ainsi des scientifiques et des ingénieurs qui travaillent à Eau de Paris, la régie municipale de la capitale parisienne. Ce sont les laboratoires de ce service qui prélèvent et analysent l’eau de la Seine. « Mais depuis l’ouverture des JO, l’établissement n’ose répondre à aucune question sur l’état du fleuve », écrit le site d’information. Ce silence concernerait aussi le personnel des services d’assainissement de la ville. Toujours selon Mediapart, un mail a été envoyé aux employés, leur demandant « la plus grande discrétion » lorsqu’ils échangent « sur ces sujets », y compris « dans la sphère personnelle ». Interrogée par franceinfo, la Ville de Paris déclare qu’il est « tout à fait classique qu’une organisation demande à ses agents ou employés d’orienter les éventuelles sollicitations presse vers le service dédié à cet effet ».

« Déjà en août 2023, la communication était complètement verrouillée à l’occasion des ‘test events’ dans la Seine. Mais là, ça s’est encore renforcé », juge Antton Rouget, l’un des journalistes auteurs de l’enquête de Mediapart, interrogé par franceinfo. « Les seules personnes habilitées à parler de la Seine, ce sont les politiques ou les organisateurs des Jeux. Et les médias et les citoyens sont priés de les croire sur parole », regrette le journaliste.

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