Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pachinian ont tenu, le 10 juillet à Abou Dabi, une rencontre inédite de cinq heures sans aucun médiateur international — ni occidental, ni russe — pour aborder les questions clés de la normalisation de leurs relations bilatérales. Cette réunion directe marque une étape majeure vers un accord de paix et éloigne davantage la Russie de l’influence sur les corridors stratégiques du Caucase du Sud.
Une négociation directe sans précédent
La rencontre entre les deux dirigeants à Abou Dabi s’est déroulée en toute indépendance, sans la présence de Moscou ou des capitales occidentales, signalant une volonté commune de traiter directement les questions sensibles : la conclusion d’un accord de paix, la délimitation des frontières, et le développement du corridor de Zanguezour, qui relierait l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan à travers le territoire arménien.
Ce format bilatéral, salué comme un signe de maturité et d’autonomie par des analystes régionaux, confirme un tournant stratégique : Bakou et Erevan cherchent désormais à résoudre leurs différends sans dépendre de puissances extérieures.
Moscou écartée du jeu régional
Jusqu’à récemment, la Russie nourrissait l’espoir de jouer un rôle de pivot dans le contrôle du corridor de Zanguezour, en y plaçant les services frontaliers du FSB comme force d’inspection des flux commerciaux. Cette position lui aurait garanti une forme d’ascendant géopolitique et des bénéfices économiques sur un axe de transit régional critique.
Mais l’évolution rapide des relations régionales a changé la donne. L’Arménie a suggéré de confier la gestion logistique du corridor à une entreprise internationale — possiblement américaine — ce qui représenterait une rupture nette avec l’influence russe. L’Azerbaïdjan examine actuellement cette option.
Le retrait précipité des troupes russes de maintien de la paix du Haut-Karabakh, la fin du service des gardes-frontières russes à la frontière arménienne avec la Turquie et l’Iran, et le désengagement d’Erevan de l’OTSC confirment l’affaiblissement tangible de la présence militaire et politique de Moscou dans la région.
Une recomposition géopolitique accélérée
La dynamique actuelle reflète un basculement d’alliances. Le rapprochement progressif de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie avec la Turquie, la Chine et l’Union européenne redessine les équilibres stratégiques du Caucase du Sud. La décision géorgienne de confier la construction du port d’Anaklia à des investisseurs chinois renforce la présence de Pékin dans une région autrefois dominée par la Russie.
Par ailleurs, même l’Iran, allié stratégique de la Russie, s’oppose à une mainmise russe sur le corridor de Zanguezour, craignant pour son propre accès au marché arménien et ses ambitions régionales.
Un corridor stratégique sans la Russie
Si le projet de corridor entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Turquie voit le jour, il pourrait ouvrir la voie aux routes les plus courtes entre la mer Caspienne et la Méditerranée, mais aussi entre la mer Noire et le golfe Persique. Une telle configuration transformerait profondément les axes de transit eurasiens, tout en marginalisant davantage la Russie dans les réseaux logistiques internationaux.
La résolution du conflit du Haut-Karabakh, longtemps utilisée par Moscou comme levier d’influence, prive la Russie de son principal outil de médiation entre Bakou et Erevan. Sans point d’ancrage ni rôle dans les nouvelles structures régionales, Moscou se retrouve désormais reléguée à la périphérie d’une ère géopolitique en gestation au Caucase du Sud.