Hydrogène : pourquoi la filière cherche un second souffle, malgré les milliards d'argent public
Hydrogène : pourquoi la filière cherche un second souffle, malgré les milliards d'argent public

Hydrogène : pourquoi la filière cherche un second souffle, malgré les milliards d’argent public

16.04.2025
7 min de lecture

Sur le parking du centre d’ingénierie de Villiers-Saint-Frédéric (Yvelines), des fourgons à la carrosserie flambant neuve prennent depuis plusieurs semaines la poussière. Pour ces vans à hydrogène, qu’une clientèle d’artisans et de livreurs aurait dû s’arracher, Renault et son allié américain Plug Power visaient pourtant le milliard d’euros de ventes cumulées dès l’horizon 2026 ! Mais moins de quatre ans après ses débuts, la marque Hyvia n’aura fabriqué que… 62 engins. En février dernier, les grandioses ambitions ont été remisées avec la liquidation de cette coentreprise.

«C’est un énorme gâchis. Cela aurait pu marcher, il fallait se donner le temps», regrette Laurent Giblot, dessinateur industriel et délégué syndical central CGT chez Renault. Mais le directeur général du groupe au losange, Luca de Meo, ne l’entendait pas de cette oreille. «Il n’y a pas de marché des véhicules à hydrogène. […] On vend des voitures à perte malgré des soutiens très importants», avait-il ainsi indiqué, en guise d’oraison funèbre, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

Série de faillites et de redressements chez les acteurs français de l’hydrogène

Et pourtant, cet hydrogène a tout de la molécule miracle pour verdir nos transports ! Du moins en théorie : il suffit, au sein d’une pile à combustible, de lui adjoindre l’oxygène ambiant pour qu’en réaction de l’électricité soit produite et aille alimenter un moteur, avec pour seul rejet de la vapeur d’eau. Difficile de trouver plus écologique, pour peu qu’en plus l’hydrogène stocké au sein du véhicule ait lui-même été fabriqué avec une énergie bas carbone, comme le nucléaire. Seulement voilà, nombreux sont désormais les industriels à se casser les dents sur cette technologie.

A commencer par Hopium, qui se rêvait en «Tesla de l’hydrogène», avec sa berline made in France. Après avoir frôlé la faillite, la start-up se contentera de fabriquer des piles à combustible pour le transport lourd. Ce n’est pas mieux du côté de Gaussin, une entreprise centenaire qui avait participé au Rallye Dakar avec un camion à hydrogène. Ses projets dans la décarbonation ne l’ont pas aidée à résoudre ses difficultés, et la société spécialisée dans les engins de manutention a dû être liquidée fin 2024. Quant à Safra, le constructeur de bus à Albi (Tarn), leader sur l’hydrogène pour ce type de transport, il a été placé en redressement judiciaire en février.

La débâcle actuelle tranche avec les discours conquérants que tenait le gouvernement il y a de cela quatre ans. Promis : alors qu’on avait laissé les fusées réutilisables aux Etats-Unis (ce qui vaut à Ariane 6 le mépris d’Elon Musk), et les voitures à batterie à la Chine, hors de question, cette fois-ci, de rater une révolution technologique de plus. Et l’Etat d’annoncer, dès 2021, 9 milliards d’investissements dans la filière, en même temps que le plan France 2030 claironnait que le pays devait «devenir le leader de l’hydrogène vert». «Tout cela nous permettra de décarboner notre industrie, d’alimenter nos bus, nos trains et nos camions», fanfaronnait Emmanuel Macron. Mais, alors que l’argent public vient à manquer, les doutes sur la viabilité de la technologie se multiplient, particulièrement en matière de transport sur route.

Débats féroces sur les avantages et inconvénients de l’hydrogène

Car, si on peut produire de l’hydrogène vert à partir de l’eau, via le procédé de l’électrolyse, cela n’en nécessite pas moins de l’électricité. Beaucoup trop, selon les sceptiques : à cause des pertes d’énergie liées à l’électrolyse et à la pile à combustible, l’ONG Transport & Environnement estime qu’il faut deux fois plus d’électricité pour faire fonctionner un véhicule à hydrogène qu’un véhicule à batterie. Dans le camp adverse, on argumente que les réservoirs d’hydrogène se remplissent en quelques minutes, donc plus vite que les batteries.

«Pour les petits trajets, la batterie n’a pas de concurrent. Mais pour les camions lourds, les trains, les tramways, les grandes distances, je ne vois pas d’alternative viable à l’hydrogène. C’est ma conviction d’ingénieur», résume Marc Perraudin, directeur de l’activité hydrogène chez OPmobility, l’ex-Plastic Omnium. Comme son concurrent Forvia, l’équipementier automobile joue gros avec cette technologie, censée palier le déclin des moteurs thermiques. Les deux groupes n’en subissent pas moins un décollage des ventes plus lent que prévu. «J’ai décalé mes objectifs de montée en charge et de rentabilité», admet Marc Perraudin, qui a maintenu le démarrage d’une usine de réservoirs à hydrogène à Compiègne au mois de juin. Le point mort de l’activité devrait être atteint en 2027 et non en 2025.

Chez Airbus, l’avion à hydrogène décollera plus tard que prévu

Le problème, c’est que, sur les rails et dans les airs aussi, la filière enchaîne les revers. En Allemagne, fin 2024, l’opérateur RMV a annoncé le retrait temporaire des trains à hydrogène du constructeur français Alstom, en critiquant sèchement leurs problèmes techniques à répétition. Doutes aussi chez Airbus, où ZEROe, son projet d’avion à hydrogène, bat de l’aile. D’abord annoncé pour 2035, l’appareil ne devrait pas décoller avant 2040, voire 2045. «A priori, il n’y aura pas de licenciements, mais 300 personnes doivent être reclassées en France. Ce n’est pas simple», décrit Hervé Pinard, coordinateur syndical pour la CFDT chez Airbus.

Ce retard n’étonne presque personne. «L’hydrogène liquide nécessite quatre fois plus de volume que le kérosène, pour la même quantité d’énergie», rappelle Gilles Rosenberger, expert en aviation durable auprès de Bpifrance. Et qui dit plus gros réservoirs dit moins de passagers… alors même que l’hydrogène décarboné coûte, au minimum, 50% de plus que l’hydrogène issu des énergies fossiles, selon l’Agence internationale de l’énergie. Autant de contraintes qui compliquent l’équation économique.

«Nous aurions tort d’avoir raison trop tôt», s’est pourtant défendu le PDG d’Airbus, Guillaume Faury. En voulant éviter un échec commercial, l’avionneur s’expose tout de même aux critiques. Le directeur exécutif de l’ONG Transport & Environnement, ­William Todts, a ainsi dénoncé un «jeu de dupes» entre l’industriel et les décideurs européens : «Airbus se cache derrière le lent démarrage de l’écosystème hydrogène pour justifier le retard de son programme, alors que les premiers avions auraient dû être commercialisés dans… dix ans.»

Les aides à la mobilité hydrogène vont-elles diminuer ?

Pour ne rien arranger, beaucoup redoutent désormais que l’Etat, à la recherche d’économies, ne réduise ses subsides. «A Matignon, une partie des conseillers liés aux transports ont une réticence vis-à-vis de l’hydrogène», confie un connaisseur. Interrogé, le secrétaire général pour l’investissement Bruno Bonnell reste évasif : «Notre stratégie évolue, elle n’est pas remise en question fondamentalement.» En tout cas, on ne fera pas dire au pilote de France 2030 que l’Etat s’est fourvoyé. «Quand je lis dans les journaux qu’on va réduire la voilure sur l’hydrogène, c’est faux ! L’hydrogène est un gaz extrêmement important du XXIe siècle.» Le lobby du secteur approuve : «L’hydrogène ne peut pas accomplir en quatre ans ce que la filière batterie a mis vingt ans à faire. Il y a des entreprises qui tombent, mais cela ne veut pas dire que la filière n’a pas d’avenir», plaide Jean-Michel Amaré, vice-président de France Hydrogène.

D’ailleurs, certains tiennent bon. A Saint-Denis, près de Paris, le patron d’Hysetco, Loïc Voisin, nous fait visiter son garage, rempli de Toyota Mirai. Pour inciter à passer à l’hydrogène, il propose un forfait tout compris qui intègre la location, l’assurance, l’entretien et la recharge. La société compte une flotte de 800 véhicules, servant surtout aux taxis. «Nos tarifs sont très compétitifs par rapport aux véhicules thermiques», souligne le dirigeant. Un autre acteur, GCK Mobility, installé dans le Puy-de-Dôme, mise quant à lui sur le rétrofit, c’est-à-dire la conversion de véhicules thermiques à une motorisation électrique alimentée par de l’hydrogène. «Pour les cars, le rétrofit coûte deux fois moins cher que l’acquisition d’un véhicule neuf», met en avant Eric Boudot, président du groupe GCK.

Débarrassé de son concurrent Hyvia, Stellantis prépare, lui, le lancement de la nouvelle génération de son van à hydrogène, le Peugeot e-Expert. «Il y a de la demande. Nous sommes confiants pour produire 5 000 véhicules par an en France avant la fin de cette décennie», projette Jean-Michel Billig, chargé du développement hydrogène au sein du groupe. Ses vans, qui coûtent aujourd’hui 25% plus cher que leurs homologues à batterie, atteindraient la parité de prix vers 2028-2029. C’est la condition pour que, cette fois-ci, toutes ces belles mécaniques ne restent pas au parking.

Dans l’industrie, un coût encore trop élevé

Autre espoir placé dans l’hydrogène vert : décarboner l’industrie, en venant approvisionner nos usines. «Là où cette technologie est la plus incontournable, c’est dans la raffinerie et la production d’engrais. Il y a aussi de nouveaux usages dans les carburants de synthèse et les aciéries», décrit Vincent Designolle, directeur hydrogène de Vallourec. Le problème, c’est 99 % de la production mondiale de H₂ se fait en recourant à des énergies fossiles. Pour renverser la vapeur, plusieurs usines d’électrolyseurs ont donc poussé sur le territoire français : ces machines produisent de l’hydrogène bas carbone grâce aux énergies renouvelables ou au nucléaire. Mais la filière naissante subit des vents contraires. Après avoir inauguré son usine d’électrolyseurs, le français McPhy a enregistré 74 millions d’euros de pertes en 2024 et a sollicité une procédure de conciliation auprès du Tribunal de commerce de Belfort, ouverte le 10 avril dernier. La société risque d’être à court de trésorerie d’ici à fin juin. «Les électrolyseurs chinois sont regardés, car moins chers», note Ludovic Leroy, ingénieur à l’IFP Training. De plus, ce surcoût lié à l’hydrogène vert n’incite pas vraiment à faire des efforts de décarbonation.

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