À Paris, le musée du Quai Branly propose à partir de mercredi une exposition consacrée à la « mission Dakar-Djibouti », une expédition ethnographique menée au début des années 1930 dans 14 pays africains qui, sous couvert de recherche scientifique, a surtout consisté à piller le patrimoine culturel du continent africain.
Un butin et une contre-enquête. C’est ce que le musée du Quai Branly offre à ses visiteurs à partir de mercredi 15 avril, avec une exposition consacrée à la « mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti ». Une expédition qui, dans les années 1930, a servi à s’approprier des milliers d’objets du patrimoine culturel africain.
Le grand musée parisien des « arts premiers » s’est ainsi penché sur les méthodes de travail et d’acquisition de cette mission pluridisciplinaire, ouvrant ses fonds et ses archives à des chercheurs – notamment africains – appelés à s’interroger sur les procédés de l’équipe expéditionnaire.
Entre 1931 et 1933, à travers 14 pays du continent africain – tous sous domination coloniale, à l’exception de l’Éthiopie –, tous les moyens sont bons pour prendre possession des quelque 3 000 objets expédiés ensuite au Musée d’ethnographie du Trocadéro, à Paris, l’ancêtre du Musée de l’Homme.
L’objectif annoncé de cette « mission ethnographique » était de documenter des cultures africaines supposées en voie de disparition sous l’effet de la colonisation. Mais sous couvert de recherche scientifique, le groupe chapeauté par l’ethnologue Marcel Griaule et l’écrivain Michel Leiris se livre à un pillage en bonne et due forme. Les méthodes de l’expédition soulèvent des questions éthiques, notamment sur les relations de pouvoir entre colonisateurs et colonisés.
Inverser les points de vue
En 2020, le musée du Quai Branly décide de se lancer dans une contre-enquête. Une expression employée dans le titre de l’exposition, qui transcrit la volonté de changer les points de vue et de questionner le narratif des onze membres de la mission des années 1930.
Une dizaine de scientifiques – dont six chercheurs africains originaires des pays traversés par le groupe – ont ainsi été invités à plonger dans les agendas de Marcel Griaule, à parcourir les 3 000 objets, les milliers de photographies, les spécimens naturalistes et les 10 000 fiches de terrain rapportées par la mission. Pour les besoins de cette « contre-enquête », une partie de l’équipe est également retournée dans certaines localités visitées par l’expédition.
Les textes, les cartels et les films de l’exposition traduisent les résultats de leurs recherches. Outre l’analyse des méthodes d’acquisition à travers les archives, ces investigations ont permis de recueillir des témoignages offrant un point de vue africain contemporain.
Pillage du patrimoine africain
Plus des trois quarts des collections de la mission proviennent de pays ayant appartenu à l’Empire colonial français : Mauritanie, Sénégal, Soudan français (actuel Mali), Haute-Volta (actuel Burkina Faso), Dahomey (actuel Bénin), Niger, Tchad, Cameroun, Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine) et Côte française des Somalis (actuel Djibouti). Pour la moitié des objets, les modalités d’acquisition restent cependant inconnues.
Le succès apparent de la mission a été terni par les méthodes controversées d’appropriation de certains objets : le vol, bien sûr, mais également les « dons » issus de saisies militaires ou coloniales. Les vols prenaient plusieurs formes : réquisitions sous la menace ou prélèvements furtifs et clandestins dans les cavernes ou les sanctuaires, en particulier en pays dogon.
Au Mali, l’appropriation, en passant outre le refus du chef de culte, d’un « boli » (fétiche), d’un masque zoomorphe « tête de fauve » aux oreilles larges et à la gueule béante, ainsi que d’une « tunique de fauve » couverte de plumes – trois objets de la société d’initiation masculine dite « Kono » – est emblématique. Ils étaient conservés dans un sanctuaire de cette société avant d’être volés par Marcel Griaule et Michel Leiris à Kéméni, un village du nord-ouest du pays.
Dans son journal, Michel Leiris qualifie lui-même de « rapt » l’appropriation d’objets rituels de la société Kono à Kéméni et à Diabougou, une autre localité malienne.
Des anonymes remis dans la lumière
Cette mission, qui se voulait humaniste et antiraciste, était aveugle aux réalités coloniales dont elle a profité. En effet, l’administration coloniale a apporté un appui logistique considérable à l’expédition, en mettant notamment à sa disposition des guides locaux ou des manœuvres soumis au travail forcé.
Des centaines d’Africains – chefs traditionnels, rois, interprètes, prêtres, traducteurs ou guides – ont été impliqués dans les travaux ou au service de la mission Dakar-Djibouti. Si la plupart d’entre eux sont nommés dans les fiches d’enquête ou dans les agendas de la mission, ils sont généralement restés dans l’ombre des ethnologues français.
Quant aux femmes, européennes ou africaines, elles sont quasi invisibilisées. Les rares mentions de leurs activités concernent l’artisanat ou les mutilations génitales : des exciseuses comme Bataké Sidibé ou Ma Bagayoko sont ainsi interrogées à Bamako sur les techniques ou rituels d’excision des petites filles (ablation du clitoris et parfois des petites lèvres).
Parmi les femmes européennes oubliées figurent les épouses restées à Paris. C’est le cas de Jeanne Griaule, qui exerçait d’importantes responsabilités en lien avec l’expédition dirigée par son mari.
En « mettant en lumière le contexte colonial et les récits de femmes et d’hommes restés jusque-là anonymes », comme l’écrivent les responsables de l’exposition, ce travail montre à quel point un réexamen de tout l’héritage colonial est nécessaire.