Comment expliquer la crise automobile actuelle ? Un économiste a répondu à nos questions
Comment expliquer la crise automobile actuelle ? Un économiste a répondu à nos questions

Comment expliquer la crise automobile actuelle ? Un économiste a répondu à nos questions

02.04.2025
5 min de lecture

GRAND ENTRETIEN. Comment expliquer la crise automobile actuelle ? Un économiste a répondu à nos questions

Le marché de l’automobile est en panne en France. Ce secteur de l’industrie a connu une année 2024 compliquée, illustrée par des ventes en baisse de plus de 20% par rapport à 2019, la dernière année avant la pandémie de Covid-19. Ces résultats provoquent un phénomène de surcapacité, en partie responsable des plans sociaux qui se multiplient en France chez les constructeurs et les équipementiers.

Mais l’industrie souffre aussi du difficile passage à l’électrique : les ventes ne décollent pas et elles ne représentent que 15% des voitures vendues en France. Alors que l’industrie de l’automobile est à la croisée des chemins – les véhicules neufs à moteurs thermiques ne pourront plus être vendus dans l’Union européenne à l’horizon 2035 – franceinfo a interrogé Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux et spécialiste de l’industrie automobile.

France info : Comment se porte la filière automobile aujourd’hui ?

Bernard Jullien : La régression de la filière est en train de s’accélérer. Il y a d’abord une baisse des volumes de ventes, qui touche toute la production européenne et génère un phénomène de surcapacité à l’origine de la plupart des restructurations observées un peu partout, et particulièrement en France. L’autre effet, moins conjoncturel, est plus ancien et plus structurel : les délocalisations dans les pays du centre et de l’est de l’Europe et même au-delà n’ont pas été enrayées par l’électrification du parc automobile et s’accentuent.

Le vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, a récemment parlé d’une filière « en danger de mort ». La crise est-elle aussi grave ?

On parle d’une crise quand les entreprises perdent de l’argent mais ni les grands constructeurs ni les grands équipementiers n’en perdent actuellement. On a des groupes qui considèrent qu’ils n’en gagnent pas assez parce qu’ils ont des usines qui sont remplies à moitié ou aux trois quarts. Les ventes de voitures en 2023 et 2024 sont très en deçà de 2019, avant la pandémie de Covid-19, et on considère que c’est le nouvel état du marché. C’est une analyse tronquée puisqu’on pourrait tout à fait retrouver les volumes de 2019 si les prix baissaient.

Comment expliquez-vous la chute des ventes de voitures neuves ?

Elle est liée à la politique de prix des constructeurs et à la manière dont ils construisent leur catalogue de voitures. Les entreprises automobiles ont connu une parenthèse enchantée après la crise du Covid, entre 2020 et 2023, durant laquelle il y avait moins de véhicules que de clients. C’est très inhabituel.

Les constructeurs avaient alors ce que Carlos Tavares [ancien directeur général du groupe Stellantis] avait appelé le « pricing power ». Ils étaient en mesure de ne pas brader leurs voitures. Et ils ont plutôt tiré profit de ce « pouvoir » sur les modèles les plus juteux, en privilégiant les berlines qui sont vendues plus cher que les petites citadines et qui permettent donc de réaliser de plus grosses marges.

Cette situation est-elle tenable pour les constructeurs ?

Oui et non. Elle est en train d’être remise en cause, mais trop lentement. Comme les constructeurs sont actuellement en situation de surcapacité, ils sont poussés à faire des efforts sur les prix. Une partie des volumes de ventes devrait donc revenir. Mais cela ne suffira pas si les gammes de voitures ne changent pas. Il faut absolument que les constructeurs mettent au catalogue des modèles plus petits et moins chers.

Les études montrent que les voitures électriques coûtent actuellement plus cher que les véhicules thermiques, notamment en raison du coût des batteries. Est-ce un problème ?

Les voitures électriques coûtent plus cher lorsqu’on fabrique des copies de SUV qui pèsent deux tonnes. Cela donne des véhicules à 45 000 euros qui ne se vendent pas et on dit que les clients n’en veulent pas. Ce n’est pas très sérieux : les clients ont toujours fait ce que les constructeurs, leur publicité et leurs vendeurs voulaient qu’ils fassent. Il faudrait que les commerciaux soient formés à vendre des véhicules avec une autonomie de 250 km, en rappelant aux clients que les pleins d’essence sont le principal poste de dépense des ménages. Et que perdre une heure sur un Paris-Brest pour recharger sa voiture, ça peut valoir les économies faites. Il faut de la pédagogie. Mais plus on différera le moment où les constructeurs seront obligés de se conformer à la réglementation, moins ils seront prompts à jouer le jeu.

Vous faites référence à l’assouplissement des normes européennes en matière d’émissions de CO2, consenti début mars par la Commission européenne. Quel impact cela aura-t-il ?

Veut-on maintenir le cap de l’électrification à 100% pour 2035 [le Parlement européen a voté la fin de la vente des véhicules neufs à moteurs thermiques en 2035], en forçant un peu la main aux industriels ? Ou bien veut-on revenir aux années qui ont précédé 2015, avant que n’éclate l’affaire Volkswagen sur la triche aux contrôles antipollution, lorsque les constructeurs avaient la mainmise sur les politiques automobiles ? S’ils ont le choix, les constructeurs ne vont pas faire de la décarbonation. Ils vont plutôt produire des voitures très polluantes qui rapportent beaucoup d’argent. L’électrification ne peut se faire que contre les constructeurs.

Le passage à l’électrique est-il pour l’instant loupé ?

On savait qu’un palier serait atteint en 2024 et nous aurions dû voir cette année les immatriculations électriques passer de 15% à 20-25% des ventes, grâce à des voitures vendues entre 20 000 et 30 000 euros. Mais compte tenu des assouplissements qui ont été consentis sur la réglementation européenne, 2025 devrait finalement ressembler à ce qu’on a connu en 2024. C’est-à-dire des constructeurs qui gagnent beaucoup d’argent en vendant des voitures thermiques et des hybrides.

On parle souvent de l’avance prise par la Chine dans la course à l’électrification. Dans quelle mesure le géant asiatique représente-t-il une menace pour notre industrie automobile ?

La Chine menace les constructeurs et davantage encore les équipementiers, car l’Union européenne a mis des barrières douanières sur les importations chinoises de véhicules, mais pas sur les importations de composants, qui peuvent être cinq fois moins chers.

Elle bénéficie aussi d’un avantage sur les coûts de l’énergie puisqu’elle échange avec tous les pays et peut acheter du gaz et de l’électricité à la Russie, ce qui n’est pas le cas des pays européens.

L’industrie électrique chinoise est aussi performante car elle possède la première industrie mondiale de la batterie et des acteurs qui travaillent bien, avec notamment BYD. Ce constructeur s’installe en Europe, ce qui pourrait créer des surcapacités supplémentaires en Europe et entraîner des restructurations chez Renault, Stellantis ou Volkswagen.

Selon notre décompte, au moins 80 sites industriels sont menacés. Cette vague de plans sociaux est-elle liée à la transition vers l’électrique ?

Le cœur du problème n’est pas – en tout cas pas pour l’instant – un problème d’électrification. L’essentiel des dégâts est lié au déclin des moteurs diesel, qui nécessitaient davantage de pièces que les moteurs hybrides ou électriques. Il y a aussi les problèmes de surcapacité engendrés par la chute des ventes. Et dans le même temps, il y a les délocalisations. Quand les groupes ont une activité qui décline et une surcapacité qu’ils estiment durable, ils ont plutôt tendance à fermer l’usine la plus ancienne située dans un pays avec des salaires importants plutôt que l’usine récente dans un pays où les salaires sont plus bas.

Le tableau que vous décrivez est très négatif. Quelles sont les perspectives à court et moyen terme ? 

L’électrification était sur le papier une occasion de réindustrialisation relativement forte. Avec l’électrique, le coût de production des voitures devient moins dépendant de la main-d’œuvre tandis que les dépenses d’énergie prennent plus d’importance. Les raisons qui avaient conduit les constructeurs à aller mettre leur production de voitures loin de la France sont donc assez largement démenties par la fabrication électrique.

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