Ce décret oblige désormais les médecins à préciser sur les ordonnances la pathologie dont souffre le patient pour justifier la prescription d’un médicament.
« Il est de notre devoir de désobéir ! » Le docteur Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UMFL), n’a pas caché sa colère sur son compte X(Nouvelle fenêtre) après la parution au Journal officiel(Nouvelle fenêtre), mercredi 30 octobre, d’un décret présenté comme devant « renforcer la pertinence des prescriptions médicales ». Il fait suite à la loi de financement de la Sécurité sociale 2024, qui « a prévu que la prise en charge d’un produit de santé puisse être conditionnée au renseignement par le prescripteur d’éléments relatifs aux circonstances ».
Signé par le Premier ministre, Michel Barnier, ce décret « précise que ces renseignements sont portés sur l’ordonnance ou sur un document dédié, joint à l’ordonnance », peut-on lire dans le Journal officiel. Ainsi, il conditionne la prise en charge par l’Assurance-maladie de certains médicaments à ces informations écrites par le médecin, qui peuvent concerner des éléments comme la pathologie dont souffre le patient. Franceinfo vous explique pourquoi une telle évolution fait polémique dans le milieu médical.
Certains y voient la remise en cause du secret médical
Concrètement, pour les médicaments ou soins concernés, le médecin doit désormais éditer un document qui vérifie que la prescription correspond bien aux indications thérapeutiques établies par la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Assurance-maladie. Pour Jérôme Marty, pas de doute : « C’est la fin du secret médical », a-t-il écrit sur X. « Il implique en effet de justifier du motif d’une prescription », a détaillé mardi le médecin généraliste dans le quotidien régional La Dépêche(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre).
« Nos concitoyens souffrent du manque de médecins partout et voilà ce que le gouvernement propose : vérifier nos ordonnances et rompre le secret médical », abonde, lui aussi sur X(Nouvelle fenêtre), le pneumologue François Vincent, chef de service au CHU de Limoges. « Les médecins auront désormais l’obligation de divulguer des informations médicales à l’administration. (…) Qui sont ces guignols qui prennent de telles décisions ? », s’emporte le médecin marseillais Amine Ayari(Nouvelle fenêtre) sur le même réseau social(Nouvelle fenêtre).
Dans un communiqué(Nouvelle fenêtre), le collectif Médecins pour demain dénonce « une mise sous surveillance préalable ». Le décret, lui, assure que « seul le service du contrôle médical de la caisse [d’Assurance-maladie] peut avoir connaissance des informations couvertes par le secret médical ».
Des médecins pensent que leur charge de travail va être alourdie
Parmi les autres craintes, figurent la perte de temps lors des consultations en raison de nouvelles tâches administratives et la responsabilité financière. Ce décret « fera peser financièrement la responsabilité du remboursement du patient par l’Assurance-maladie sur les médecins, les exposant aux indus, et aggravera leur charge administrative déjà lourde de plus de 25% du temps médical », affirme ainsi Médecins pour demain.
Ce décret « va directement aggraver les difficultés d’accès aux soins », « augmenter les pertes de chances des patients en raison d’une surcharge de travail administratif, injustifiée et chronophage », énumère l’UMFL dans un communiqué(Nouvelle fenêtre). « Il est révoltant et antidéontologique de réduire les besoins de soins de nos patients à de simples recommandations d’experts HAS, alors même que certaines sont en désaccord avec les sociétés savantes », ajoute par ailleurs le syndicat.
Des craintes que le directeur général de l’Assurance-maladie, Thomas Fatôme, a tenté de dissiper devant le Sénat, jeudi. « Il faut que les professionnels acceptent qu’il y ait », au moment de la prescription de certains produits de santé, « quelques démarches à faire très simples » pour vérifier que la prescription entre bien dans le champ du remboursement par l’organisme, a-t-il assuré, selon l’AFP.
« Il ne s’agit pas de le faire systématiquement, il ne s’agit pas d’ennuyer chaque prescripteur sur chaque molécule de base. »Thomas Fatôme, directeur général de l’Assurance-maladie
devant le Sénat
« Si nous ne surveillons pas les conditions dans lesquelles ils sont prescrits, je peux vous dire que les centaines de millions d’euros de dépenses, on va les avoir extrêmement, extrêmement, rapidement », a souligné le directeur général de l’Assurance-maladie. « On ne sait pas trop d’où vient cette idée, mais c’est toujours une histoire d’argent au final », lâche le docteur Jérôme Marty dans La Dépêche.
Il pourrait voir son application étendue
Pour le moment, s’agissant des médicaments, la liste des molécules concernées n’a pas été encore publiée au Journal officiel. L’Assurance-maladie vise en particulier les antidiabétiques AGLP-1 comme Ozempic ou Trulicity, a déjà précisé Thomas Fatôme devant les sénateurs. Ces médicaments sont aussi devenus populaires pour de possibles effets bénéfiques sur d’autres pathologies, notamment l’obésité, et la tentation est forte pour les praticiens de les prescrire hors cas de diabète, rappelle l’AFP.
Mais ce n’est peut-être pas terminé puisque le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2025, examiné actuellement au Parlement, prévoit dans son article 16 d’étendre à certains transports de patients et analyses biologiques un système de vérification de la conformité de la prescription. Il a cependant été supprimé par la commission des affaires sociales de l’Assemblée, la semaine dernière. « On attend d’en savoir un peu plus sur ce qui va être discuté au Parlement ces jours-ci (…) mais il faut qu’on sache, et surtout qu’on reste méfiants », déclare Jérôme Marty dans La Dépêche.