Jeux paralympiques de Paris 2024 : pourquoi les personnes sourdes et malentendantes ne participent-elles pas aux épreuves ?
Jeux paralympiques de Paris 2024 : pourquoi les personnes sourdes et malentendantes ne participent-elles pas aux épreuves ?

Jeux paralympiques de Paris 2024 : pourquoi les personnes sourdes et malentendantes ne participent-elles pas aux épreuves ?

30.08.2024
5 min de lecture

S’ils sont absents des Paralympiques, ces sportifs se réunissent tous les quatre ans pour les Deaflympics, des Jeux d’hiver et d’été qui ne bénéficient toutefois pas de la même exposition.

En 2024, Paris a fêté deux centenaires. Celui des Jeux olympiques, mais aussi celui, beaucoup moins connu, des Deaflympics qui se sont tenus dans la capitale française durant le mois d’août 1924. Il s’agit de la compétition dédiée exclusivement aux athlètes sourds et malentendants. La 20e édition de ceux d’hiver a eu lieu à Erzurum, dans le nord-est de la Turquie, en mars et avait réuni 34 pays et 534 athlètes. Les derniers Deaflympics d’été ont eu lieu à Caxias do Sul (Brésil) en mai 2022 et avaient rassemblé 2 412 athlètes et 73 nations. Pour pouvoir y participer, il faut avoir un seuil d’audition inférieur à 55 décibels.

Pourquoi ce handicap, la surdité, n’est-il pas intégré, comme la malvoyance, aux Jeux paralympiques ? « Le mouvement sportif sourd préexistait au mouvement paralympique, il est donc logique que les Deaflympics n’aient pas disparu avec l’apparition des Jeux paralympiques », assure, en premier lieu, Jean Minier, directeur des sports au sein du Comité paralympique et sportif français (CPSF).

Un retour de cent ans en arrière s’impose donc. En 1924, vingt-quatre ans avant Stoke Mandeville (Royaume-Uni), l’acte de naissance des Paralympiques, le Français Eugène Rubens-Alcais, sportif sourd, a fondé « avec son ami belge, Antoine Dresse, les premiers Jeux mondiaux des sourds », retrace Julien Goy, président de la commission dédiée aux sports sourds du CPSF. Neuf nations y avaient participé.

Être maître de son destin

Surnommé le « Coubertin des sourds » et atteint lui-même de ce handicap, Eugène Rubens-Alcais a permis « au sport sourd de voir le jour et aux sportifs sourds de participer aux compétitions mondiales », explique Julien Goy. Au début du XXe siècle, la communauté des personnes sourdes et malentendantes vit encore avec le mauvais souvenir du congrès de Milan, qui s’est tenu en 1880. Il acte la préférence pour la méthode d’enseignement orale pour les sourds, marginalisant la langue des signes dans les écoles françaises, rappelle France 3 Nouvelle-Aquitaine.

« Depuis ce congrès, perdure l’idée que lorsqu’on laisse les entendants décider pour les sourds et malentendants, ça se fait à leurs dépens. »Jean Minier, directeur des sports au sein du Comité paralympique et sportif français

à franceinfo

La communauté sourde et malentendante a donc voulu garder la main sur son destin, et « utiliser le sport pour faire communauté et construire une culture commune », note Jean Minier. Coexistent ainsi trois institutions aujourd’hui : le Comité international olympique (CIO) pour les JO, le Comité international paralympique (IPC) pour les Jeux paralympiques et le Comité international des sportifs sourds (ICSD) pour les Deaflympics. 

« Elles sont en lien, il n’y a pas de scission, mais les personnes sourdes et malentendantes préfèrent garder leur hégémonie et gérer leur spécificité », ajoute Marion Sahbani, responsable du haut niveau des sports non paralympiques à la Fédération française handisport. Durant dix ans, entre 1985 et 1995, l’ICSD et l’IPC ont bien été liés. Mais ce partenariat n’a pas duré en raison de « plusieurs différends », détaille Julien Goy : le coût de la traduction en langue des signes et la perception de la surdité, considérée par certains « comme un handicap de moindre importance ».

L’envie de reconnaissance

S’ils ne participent pas aux Jeux paralympiques, certains athlètes en situation de handicap auditif ont déjà concouru aux JO. La basketteuse belge Emma Meesseman, la nageuse australienne Meg Harris, la footballeuse australienne Mackenzie Arnold, la golfeuse indienne Diksha Dagar, le kayakiste américain Aaron Small et le volleyeur américain David Smith, étaient présent à Paris pour les JO 2024, rappelle France 3 Ile-de-France.

Ceux qui n’ont pas cette chance vont regarder en tant que spectateurs les Jeux paralympiques. Avec un peu d’envie aussi. « Cette absence n’est pas choquante, estime Marion Sahbani, mais les sportifs sourds et malentendants déplorent la non-reconnaissance des Deaflympics », en France notamment. Ainsi, les athlètes valides et ceux en situation de handicap auront droit de défiler sur les Champs-Elysées le 14 septembre, mais « les médaillés français des Deaflympics ne sont toujours pas reçus à l’Elysée par le président », remarque Julien Goy.

Pourtant, ces médaillés existent : lors des derniers Deaflympics d’hiver en Turquie, les cinq athlètes tricolores ont remporté sept médailles, dont une en or. Au Brésil, lors de l’édition d’été, les 56 sportifs français avaient rapporté huit médailles et huit titres. « Les sportifs souffrent de ne pas être aux Paralympiques », confirme Jean Minier. Le skieur alpin multiple médaillé aux Deaflympics, Nicolas Sarremejane, cité par franceinfo sport, ne dit pas le contraire.

« On serait reconnu à la même hauteur que les autres handicaps et moi, je me bats pour ça. Il faut essayer de faire évoluer les choses et ouvrir nos frontières. »Nicolas Sarremejane, skieur alpin multiple médaillé aux Deaflympics

à franceinfo sport

Sans les primes, ni la visibilité croissante des Jeux paralympiques, « la concurrence est déloyale pour les Deaflympics, souffle Jean Minier. Ils aimeraient profiter de la force que représentent les JO et les Jeux paralympiques, tout en gardant leur esprit. » Durant cette compétition, les sportifs sourds et malentendants ont l’habitude de choisir un lieu au sein de la ville organisatrice pour s’y retrouver. « Des centaines de personnes se réunissent pour échanger autour de leur langue, leur communauté, leur difficulté, décrit-il. Ca, ça n’existe pas dans les Jeux paralympiques ou olympiques. »

Ne pas noyer les spécificités des athlètes sourds et malentendants

Mais une organisation conjointe entre Jeux paralympiques et Deaflympics semble utopique. A l’image de l’impossibilité logistique de réunir tous les athlètes au sein d’une même compétition. « L’hébergement, les infrastructures, tout serait multiplié par presque deux », prévient Marion Sahbani. « A tout réunir, est-ce qu’on ne va pas se perdre dans les spécificités de chacun ? », interroge-t-elle. Il faudrait trouver de la place pour les plus de 2 000 athlètes et 22 disciplines en été (un peu moins de 600 athlètes et six disciplines en hiver).

« Un rapprochement ne pourrait augurer qu’une inclusion limitée, met en garde Jean Minier. Or, le mouvement sourd souhaite exister de manière globale et non que quelques épreuves, seulement, aient l’honneur d’entrer aux Paralympiques. » Ce sera donc tout ou rien, et pour le moment, ce n’est plutôt rien. Une des solutions pour mettre plus en lumière les Deaflympics serait de les organiser dans la foulée des JO, des Jeux paralympiques, et dans la même ville. « Ce n’est pas encore dans les cartons, mais c’est une option », concède le directeur des sports au sein du CPSF. En attendant, les Deaflympics restent déconnectés du grand raout estival ou hivernal. La 25e édition des Deaflympics d’été se tiendra à Tokyo du 15 au 26 novembre prochain.

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