A deux semaines des élections européennes, l’UE est souvent décrite comme la source de nombreux maux. Il convient pourtant de démystifier son fonctionnement et son impact sur les 27 pays membres.
Des arguments déjà évoqués lors des dernières élections européennes en 2019. Alors que les Européens seront de nouveau appelés aux urnes le dimanche 9 juin, de nombreux élus reprochent à l’Union européenne de contribuer à l’inflation, de produire de la concurrence déloyale ou encore d’imposer trop de normes en France. Alors, ces critiques sont-elles justifiées ? Franceinfo a passé au crible six affirmations sur l’Union européenne.
1 L’euro a fait augmenter les prix en France : faux
Cette idée est très répandue chez les Français. Lors du passage à l’euro le 1er janvier 2002, les commerçants en auraient profité pour augmenter les prix. Pourtant, ce n’est pas ce que démontrent les chiffres. L’inflation est restée plutôt stable au début des années 2000. Selon l’Insee, de 2002 à 2016, les prix ont augmenté en moyenne de 1,4% par an, contre 2,1% entre 1986 et 2001. La hausse générale était donc moins élevée en France après le passage à l’euro. A l’époque, la Commission européenne et les autorités nationales avaient mis en place des politiques pour prévenir une potentielle augmentation des prix : beaucoup de pièces de 1 et 2 centimes avaient par exemple été mises en circulation pour éviter que les commerçants arrondissent les prix à l’euro supérieur.
Mais alors, pourquoi les Français ont-ils ressenti une augmentation des prix ? Cela s’explique par l’augmentation de « manière inhabituelle » du prix des produits achetés fréquemment, précise la Commission, comme le pain, la tasse de café, une coupe chez le coiffeur… Le sentiment de flambée des prix est surtout lié aux augmentations des produits du quotidien, selon l’économiste Aurélien Faubaire, chef du département des prix à la consommation à l’Insee, interrogé par France 2. Selon l’Institut national de statistiques, une baguette coûtait environ 65 centimes d’euro en 2001 et son prix avait augmenté de 10 centimes.
En revanche, le prix d’autres produits achetés moins souvent comme le loyer, l’assurance et un ordinateur portable est resté stable ou a très peu augmenté. C’est pour cette raison que beaucoup de Français ont le sentiment que le passage du franc à l’euro a fait flamber les prix. Les prix ont néanmoins augmenté par la suite. En 2022, l’Insee a relevé une hausse des prix de 30% depuis 2002, mais les salaires ont également augmenté, en moyenne de 50%. L’arrivée de l’euro n’a donc pas fait diminuer le pouvoir d’achat.
2 La hausse des prix de l’énergie est due à l’UE : partiellement vrai
Cette affirmation a beaucoup été relayée lors de la hausse de 10% du tarif de l’électricité le 1er février 2024. Le député Hadrien Clouet, élu de La France Insoumise en Haute-Garonne, a par exemple partagé cette idée sur le réseau social X. Mais cette hausse n’a pas été décidée par l’Union européenne. Elle découle de la volonté du gouvernement français de sortir progressivement du bouclier tarifaire, mis en place en 2022. Quant à la prochaine hausse annoncée pour le 1er juillet 2024, celle-ci est « essentiellement liée au fait que la consommation baisse », a justifié Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie. L’UE n’est donc pas non plus responsable.
Néanmoins, il est vrai qu’être membre du marché européen de l’électricité augmente les prix. Ce marché a été mis en place en 1990, il a pour objectif d’aligner les prix pour tous les pays membres et créer un prix de gros commun quels que soient les coûts de production nationaux. Sur ce marché, le prix de l’électricité est basé sur le coût des combustibles fossiles utilisés pour la production. Le prix de l’électricité s’aligne ainsi sur celui du gaz. En France, l’électricité produite est peu chère. Elle est pourtant vendue au prix du gaz sur le marché européen. Celui-ci s’est envolé au moment de la guerre en Ukraine.
Après l’avoir déjà réformé en octobre 2023 pour lisser l’impact de la volatilité du prix du gaz, l’Union européenne prévoit une nouvelle réforme de son marché de l’énergie pour limiter ces augmentations. Concrètement, les récentes hausses du prix d’électricité ne sont pas liées à l’UE, mais son marché unique de l’électricité fait bien payer l’électricité plus chère qu’elle ne coûte à produire en France.
3 L’Europe impose des normes à la France : faux
L’idée que l’Union européenne impose des normes aux Vingt-Sept sans qu’ils puissent donner leur avis est récurrente. Pourtant, si les normes européennes sont bien effectives dans les pays membres, et priment parfois sur les normes nationales, elles ne sont pas pour autant imposées. En effet, les lois adoptées par l’UE font toutes l’objet d’un vote des institutions européennes.
Et il est possible de retrouver l’historique des votes des Etats membres en ligne. Depuis 2009, sur le thème de l’agriculture, sur les 103 lois adoptées, seules trois n’ont pas été approuvées par la France. Même constat du côté environnemental : deux lois seulement ont été adoptées sans que la France y soit favorable. Quant aux lois relatives à l’économie, les 104 textes votés depuis 2009 ont tous obtenu le vote « pour » français.
La majorité des lois adoptées par l’UE sont votées grâce à la procédure législative ordinaire introduite par le traité de Maastricht. Selon ce texte de 1992, ce processus de codécision débute par l’élaboration d’une proposition législative de la Commission européenne. Celle-ci consulte en amont différents acteurs : associations, ONG, scientifiques, citoyens… Une fois rédigée et approuvée par les commissaires européens, la loi est envoyée au Parlement. Si les eurodéputés votent le texte, il est transmis au Conseil de l’Union européenne. C’est là que les représentants des Etats membres donnent leur avis.
4 La France donne plus d’argent qu’elle n’en reçoit : vrai
L’Europe coûte-t-elle trop cher à l’Etat français ? C’est ce que laisse entendre Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national aux prochaines élections européennes. D’après l’eurodéputé d’extrême droite, interrogé fin janvier sur CNews, « la France donne beaucoup plus au budget de l’Union européenne qu’elle ne reçoit ». « Je souhaite baisser la contribution française au budget de l’Union européenne, précisément pour que ce trop-plein d’argent soit versé directement à l’économie française », a-t-il déclaré.
Avec 28,8 milliards d’euros versés en 2021 à l’Union européenne, la France est en effet le deuxième pays contributeur au budget de l’Union, derrière l’Allemagne, détaille la Commission européenne sur son site. Toutefois, « l’essentiel de cette contribution est proportionnel à la richesse du pays », rappelle-t-elle, représentant « autour de 1% » du revenu national brut, une valeur assez proche du PIB. Pour 2024, le budget français consacré à l’Europe est ainsi fixé à 21,61 milliards d’euros, selon le ministère français de l’Economie.
Lorsqu’on soustrait les fonds européens perçus par la France, il ressort que celle-ci a versé 5,9 milliards d’euros à l’Europe de 2014 à 2020. C’est moins que l’Allemagne (12,7 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (6,9 milliards d’euros), note la Commission européenne. Pourtant, d’un point de vue strictement commercial, la France a bénéficié de son adhésion à l’UE. Selon une étude de 2019 (PDF) menée par la Commission européenne, la création d’un marché unique en 1993 a contribué à l’augmentation du PIB de l’UE de 8 à 9% en moyenne.
5 Il y a moins de fermes en France à cause de l’UE : à nuancer
« L’anéantissement de notre agriculture est voulu par l’UE », a accusé l’ancien candidat à la présidentielle François Asselineau sur le réseau social X. Pour étayer son propos, le fondateur de l’Union populaire républicaine (UPR), fervent partisan d’une sortie de l’Union européenne, a partagé un visuel montrant supposément comment « la France perd un quart de ses fermes en dix ans » entre 2010 et 2020. Mais que signifient réellement ces statistiques ? S’agit-il d’un phénomène propre à la France ?
La diminution du nombre d’agriculteurs en France est avérée. Dans son recensement agricole de 2020, le dernier en date, le ministère de l’Agriculture dénombre près de 390 000 exploitations en France métropolitaine, contre environ 490 000 en 2010, soit une baisse de 20%, souligne l’Agreste, l’organisme statistique du ministère, sur son site. « Les exploitations se regroupent, elles sont moins nombreuses tout en travaillant un espace équivalent », explique-t-il. Selon une note (PDF) du même organisme, leur surface moyenne a augmenté de 25%, passant de 55 à 69 hectares entre 2010 et 2020, alors que la surface agricole utilisée n’a diminué que de 0,8%.
Ce phénomène n’est pas propre à la France : selon Eurostat, le nombre de fermes dans l’Union européenne a chuté de 37% entre 2005 et 2020, avec une disparition marquée des petites exploitations. Pour Gérard Béaur, historien spécialiste du monde rural, interrogé par France 3, un « grand virage » productiviste a été pris avec l’adoption de la Politique agricole commune (PAC) en 1962. Selon une étude d’avril 2022, celle-ci favorise les « grandes fermes intensives ». Il faudrait donc l’adapter davantage aux petites exploitations.
6 Les travailleurs détachés instaurent une concurrence déloyale : plutôt faux
Lors d’un débat pour les européennes de 2019 sur France Télévisions, l’eurodéputée insoumise Manon Aubry avait taxé l’Europe de « machine à dumping social », citant la directive européenne sur les travailleurs détachés. Cette directive permettrait « aux entreprises allemandes d’embaucher des travailleurs roumains, tout en payant les cotisations… en Roumanie », selon l’élue, ajoutant qu’elle « instaure une compétition au moins-disant social ».
Il existe bien une directive depuis 1996, permettant à un employeur d’engager temporairement un salarié d’un autre pays de l’Union européenne. Mais comme l’a rappelé sur franceinfo l’avocate Isabelle Savier-Pluyette, le travailleur détaché doit travailler et être payé selon le droit français. « Un salarié qui serait détaché dans un pays, mais qui n’aurait pas le même niveau de rémunération que les salariés français dans la même activité, ça inscrirait une concurrence déloyale », estime-t-elle. Le principe est consacré par une directive européenne de 2018, appliquée depuis fin juillet 2020.
De plus, l’employeur français faisant appel au travailleur détaché doit payer les frais de déplacement et d’hébergement. Il n’a toutefois pas à payer les cotisations sociales du travailleur détaché, puisque le pays d’origine de celui-ci s’en charge. Selon un rapport de 2022 de la Dares, l’institut statistique du ministère du Travail, les salariés détachés représentaient moins de 2% des salariés en France en 2021. Leurs missions duraient en moyenne 100 jours, principalement dans le bâtiment.