La mécanique, une compétence qui s’efface avec la technologie
Une étude menée par Meyle et OpinionWay, publiée le 14 octobre 2025, met en lumière une tendance marquante : 86 % des citoyens français pensent qu’ils ne peuvent pas réparer leur voiture par eux-mêmes, tandis que 58 % se sentent complètement démunis face à cette tâche. Ce manque de familiarité avec les compétences mécaniques souligne un changement profond. L’automobile, autrefois symbole de liberté et d’autonomie, devient un bien de consommation sophistiqué, largement dépendant des réseaux de maintenance et de services, rapporte TopTribune.
La révolution numérique et l’introduction accrue de l’électronique ont transformé notre rapport avec la mécanique automobile. Selon L’Argus, plus de 40 % du temps consacré à l’entretien est désormais dédié au diagnostic électronique, une augmentation significative par rapport aux moins de 20 % qui prévalaient il y a dix ans. En conséquence, 73 % des automobilistes se tournent directement vers les garagistes au moindre souci, même lorsque celui-ci est insignifiant. Ainsi, l’entretien d’une voiture est devenu un service externalisé, représentant un segment de marché estimé à plus de 37 milliards d’euros en France en 2024.
L’entretien automobile : un secteur sous tension mais en expansion
Ce transfert de savoir-faire vers des professionnels de la réparation contribue à un secteur en pleine expansion. D’après la Fédération des Services de l’Automobile (FNA), le chiffre d’affaires des garages français a enregistré une hausse de 4,3 % en un an. Les véhicules hybrides et électriques, qui présentent des complexités et des coûts d’entretien plus élevés, accentuent cette dynamique. En effet, le coût moyen d’un entretien sur un véhicule électrique dépasse de 15 à 20 % celui d’une automobile à moteur thermique, principalement en raison des pièces de haute tension et de l’équipement de diagnostic spécifique requis.
La branche de la maintenance automobile, comprenant 130 000 entreprises et représentant plus de 400 000 emplois, devient un élément clé de la valeur ajoutée locale. Néanmoins, cette dépendance pose également un risque d’augmentation des coûts pour les familles : selon Le Figaro Économie, le coût annuel moyen d’entretien s’élève aujourd’hui à 650 euros, en hausse par rapport à 580 euros en 2020.
Les réseaux majeurs tels que Norauto, Midas, Feu Vert et Speedy investissent largement dans la formation aux technologies électriques et hybrides pour capter cette croissance. Dans le même temps, les garages indépendants tentent de se démarquer par leur proximité et leurs conseils avisés. L’enquête conduite par Meyle révèle également que 60 % des Français perçoivent leur garagiste comme un “spécialiste fiable”, ce qui témoigne d’un lien émotionnel fort entre le client et le réparateur.
Auto-réparation et e-commerce : la résistance des particuliers
Malgré la montée en professionnalisation du secteur, une partie des automobilistes aspire à retrouver une certaine autonomie en matière de réparation. 38 % d’entre eux affirment avoir déjà effectué eux-mêmes des réparations, souvent mineures (comme changer des ampoules, une batterie ou des essuie-glaces). De plus, 43 % ont déjà passé commande de pièces détachées en ligne, un marché avec un chiffre d’affaires prévu atteignant 2,6 milliards d’euros en 2025, d’après Auto Plus.
Les acteurs du e-commerce automobile, tels qu’Oscaro et Mister Auto, misent sur cette convergence entre consommation et compétences : tutoriels vidéo, diagnostics interactifs et kits préassemblés. Le « do it yourself » dans le domaine automobile demeure une pratique marginale, mais il favorise une économie alternative de pièces détachées, en connexion avec le grand public et les garages indépendants.
Pour les investisseurs, ce phénomène signale une polarisation du marché : d’une part, une maintenance technologique avancée, concentrée dans les réseaux agréés, et d’autre part, une demande encore présente pour des réparations accessibles, soutenue par les plateformes numériques.
Une opportunité industrielle et culturelle
Au-delà des implications sociales, la décadence des compétences mécaniques soulève la question de la souveraineté économique. La dépendance accrue aux pièces importées, en particulier électroniques, fragilise l’industrie européenne. Par conséquent, les équipementiers explorent la relocalisation d’une partie de la production et cherchent à améliorer la traçabilité. Les gammes dites HD (Haute Durabilité) ou les pièces « premium » conçues pour une longévité accrue, comme celles offertes par plusieurs marques allemandes et françaises, répondent à un double impératif : durabilité et autonomie industrielle.
La mécanique automobile, loin d’être en voie de disparition, évolue vers un secteur d’innovation et de formation, à l’intersection du service, du numérique et des enjeux de transition énergétique. Les Français ne maîtrisent peut-être plus l’art de démonter un moteur, mais à travers leurs choix de maintenance, ils contribuent à la redéfinition d’un écosystème économique crucial — où la compétence se transforme en service, et la confiance devient un atout précieux.