Les enjeux de l’intelligence économique en France
Pionnier de l’intelligence économique en France, praticien-chercheur reconnu et engagé depuis plus de trente ans dans la diffusion d’une culture stratégique, Nicolas Moinet publie un ouvrage à la croisée du témoignage et de l’analyse. Dans L’école des nouveaux espions, il retrace la genèse d’un écosystème encore mal connu, éclaire les parcours de ses figures marquantes, et revient sur les résistances, parfois tenaces, auxquelles cette démarche s’est heurtée. Une plongée dans les coulisses d’une guerre de l’information où l’éthique, la stratégie et la lucidité collective tiennent lieu de boussole, rapporte TopTribune.
Les moments clés de l’intelligence économique en France
Nicolas Moinet évoque plusieurs étapes déterminantes ayant marqué l’émergence de l’écosystème français de l’intelligence économique dans les années 1990. Un tournant majeur fut la lecture de l’ouvrage de Christian Harbulot, « La machine de guerre économique ». En janvier 1993, il y a eu le lancement de la première école française d’intelligence économique, Intelco, qui a été fondée au sein du groupe Défense Conseil International. Des figures militaires influentes, telles que le général Mermet et l’ancien amiral Lacoste, ont joué un rôle essentiel dans l’établissement de cette culture du renseignement. Le rapport Martre, rendu public en février 1994, a popularisé le terme « intelligence économique » et a présenté des recommandations pour introduire des formations spécifiques. La première formation universitaire a fait ses débuts en 1996 à l’université de Poitiers, et l’École de Guerre Économique (EGE) a vu le jour en 1997. Mon équipe d’Intelco, avec Christian Harbulot, a été à l’origine de nombreuses initiatives dans ce domaine.
Portraits des acteurs de l’intelligence économique
Lors de son parcours, Moinet a rencontré divers acteurs tels que des chefs d’entreprise et des universitaires. Ce qui l’a le plus frappé chez ces « nouveaux espions », c’est une combinaison de compétences intellectuelles, de détermination et d’humilité. Des personnalités comme Christian Harbulot, décrit comme « inclassable », et le Général Jean Pichot-Duclos, avec leur vision stratégique et leur capacité à innover, illustrent cette école qui a osé défier les normes de la mondialisation. Les contributions de figures telles qu’Édith Cresson et Claude Revel démontrent une énergie particulière et une philosophie d’intelligence collective qui éclaircissent le chemin à suivre. Moinet a également eu l’honneur de collaborer avec Alain Juillet, Haut Responsable à l’Intelligence Économique, soulignant l’importance de soutenir leur héritage en œuvrant pour le bien de la nation.
Les résistances institutionnelles face à l’intelligence économique
Moinet se remémore les résistances institutionnelles qui prévalaient à l’époque, dues à un retard culturel en matière de renseignement économique en France. Les élites françaises avaient tendance à minimiser l’importance du renseignement, le considérant comme une simple collecte d’informations plutôt qu’une culture stratégique fondée sur les rapports de force économiques. Cette période était marquée par de nombreux cloisonnements et un manque de coordination réel entre les acteurs du secteur, illustrant une arrogance épistémique qui entravait le progrès. Les initiatives étaient souvent isolées, manquant de ressources et de continuité dans les politiques publiques.
Depuis lors, des signes d’évolution positive mais encore perfectible ont vu le jour. L’intelligence économique bénéficie désormais d’une reconnaissance accrue, et le dispositif de sécurité économique a été renforcé grâce à des rapports incisifs comme celui de Bernard Carayon. Les services de renseignement prennent davantage la parole, mais des lacunes subsistent. Le cadre national demeure dépourvu de doctrine solide et de coordination efficace. La résistance au concept de « guerre économique », perçu comme trop agressif, demeure parmi certains responsables, témoignant d’un changement culturel lent, où les innovations se heurtent parfois à l’inertie bureaucratique.
Éthique et intelligence économique : un impératif pour les nouvelles générations
Moinet souligne le lien indéfectible entre éthique et intelligence économique, mettant en avant qu’elle repose uniquement sur des informations obtenues par des moyens légaux. L’espionnage, une modalité illégale, ne doit pas être confondu avec le renseignement. Les jeunes praticiens et étudiants doivent comprendre que l’intelligence économique, souvent désignée comme l’« école des nouveaux espions », vise à cultiver une culture du renseignement ouverte et éthique. La première leçon pour les aspirants spécialistes est de refuser toute instrumentalisation pour des pratiques contraires à l’éthique. Ils doivent appréhender les dynamiques de la guerre économique tout en menant une lutte éthique, où la victoire ne peut être acquise à n’importe quel prix.
Les étudiants doivent également adopter une attitude d’humilité et de remise en question pour éviter les dérives de l’« arrogance épistémique », et promouvoir la coopération et le partage de l’information en vue de créer une force collective. La gestion de la sécurité de l’information doit être considérée comme une question de management et de comportement. Enfin, il est essentiel d’apprendre à pensée stratégiquement et anticiper les défis futurs plutôt que simplement réagir.