Sébastien Lecornu face au Rassemblement national : une relation délicate
A priori, Sébastien Lecornu ne bénéficie pas du soutien du Rassemblement national (RN). Jordan Bardella a établi ses conditions le 10 septembre lors d’une conférence de presse au Parlement européen. Bien qu’il souhaite écouter la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, il exige un « durcissement de la politique migratoire » et s’oppose à toute augmentation de la fiscalité pour les travailleurs français. Bardella prévient : « Soit il y a rupture, soit il y aura censure« , annonçant un « bail très précaire » pour Lecornu, rapporte TopTribune.
Dès mardi soir, la nomination du nouveau Premier ministre a été accueillie par des remarques ironiques de la part des responsables du RN. Sur son compte X, Marine Le Pen a évoqué la dissolution comme une possibilité politique. Elle devrait réitérer ce message lors de son discours aux « Estivales de Bordeaux », un événement marquant la rentrée politique de son mouvement, en ciblant principalement le président de la République et non le Premier ministre. Lecornu est systématiquement associé à Emmanuel Macron par les cadres du mouvement nationaliste, selon Sébastien Chenu, vice-président du RN : « C’est surtout le premier et le dernier soldat de la macronie« .
Le journal Libération a récemment révélé que Lecornu a rencontré à plusieurs reprises des responsables du RN, notamment lors de dîners chez son ami Thierry Solère, un ancien député LR. Ce dernier jouerait un rôle de facilitateur entre la macronie et l’extrême droite. Il est aussi rapporté que Lecornu a reçu à deux reprises les têtes dirigeantes du RN au ministère des Armées pour discuter de la situation en Ukraine, un fait signalé par Marine Tondelier, leader des Ecologistes, lors de la nomination de Lecornu.
Laurent Jacobelli, porte-parole du RN et membre de la commission de la Défense, a travaillé avec Lecornu durant le débat parlementaire sur la loi de programmation militaire. Il a décrit Lecornu comme quelqu’un d’d’à l’écoute, mais a également souligné que « c’est un caméléon » qui adapte son discours en fonction de ses interlocuteurs, et que ce comportement ne suffira pas à empêcher le RN de le censurer.
La nécessité pour Lecornu de maintenir des liens avec le RN est exacerbée par la situation politique dans l’Eure, département qu’il dirigeait avant de devenir Premier ministre. Quatre des cinq circonscriptions du territoire sont détenues par des députés du RN. Un de ces députés, Kévin Mauvieux, a qualifié le choix de Lecornu comme Premier ministre de « signe de déconnexion par rapport aux aspirations des Français« .
Dans ce contexte, il semble que Macron n’ait pas chargé Lecornu d’établir des accords avec le RN. Selon des sources internes, le président aurait plutôt ciblé le groupe Liot, le PCF, le PS et les Ecologistes pour des discussions d’accord de non-censure. Face à la montée de la popularité du RN, de nombreux députés du bloc central ne considèrent plus ce dernier comme un partenaire fiable, notamment depuis la censure de Michel Barnier en décembre dernier.
Sur le plan politique, bien que la neutralité du RN, qui compte 142 députés, puisse offrir une stabilité à Lecornu, les tensions demeurent. La possibilité d’une censure est bien présente, surtout si les négociations avec le PS échouent. Dans cet environnement, certains au sein du RN affirment qu’il faudra envisager de laisser passer des gestes de Lecornu dans un souci de responsabilité, ce qui montre une division interne sur la stratégie à adopter face au gouvernement.
Malgré l’appréciation personnelle que pourrait avoir Lecornu au RN, l’opposition ferme et intransigeante des dirigeants du parti pourrait bien entraver ses manœuvres politiques futures. L’approche de Lecornu sera scrutée de près alors que la dynamique politique continue d’évoluer avant les prochaines élections.